Casque de réalité virtuelle sur la tête, Aziza s’installe au volant d’un simulateur de course et appuie sur l’accélérateur: 110 km/h, 130, 140 … Cette Saoudienne pourra enfin conduire dans son propre pays dimanche, dès la levée d’une interdiction en vigueur depuis plusieurs décennies.
L’Arabie saoudite autorisera, à partir du 24 juin, les femmes à conduire, une réforme historique pour le royaume ultraconservateur qui met fin à une interdiction unique au monde. «Ce sera un grand jour pour nous», s’enthousiasme Aziza, 22 ans et étudiante en psychologie. «Nous avons attendu longtemps», affirme-t-elle en se concentrant sur la simulation, les mains sur le volant et les pieds sur le frein et l’embrayage. L’euphorie se mêle à la nervosité au Riyadh Park, un parc d’attraction où les autorités ont organisé un évènement pour permettre aux femmes de s’essayer au volant avant la levée de l’interdiction. Des dizaines de femmes se sont installées dans des voitures de karting, d’autres dans des simulateurs, aidées de monitrices couvertes d’un long niqab qui leur expliquent le code de la route. Un peu plus loin, pour sensibiliser au port de la ceinture de sécurité, un responsable du département de la circulation routière fait une démonstration dans une voiture en simulant un retournement. Cet atelier, également organisé dans les villes de Dammam, Jeddah et Tabouk, illustre l’ampleur et le caractère inédit de l’évènement. Pour beaucoup, ce dernier fera entrer dans une nouvelle ère cette pétromonarchie du Golfe que le puissant prince héritier Mohammed ben Salmane cherche à moderniser. Des auto-écoles ont vu le jour dans les grandes villes pour apprendre aux femmes la conduite des voitures mais aussi des motocycles, inimaginable il y a encore un an.
«Plus besoin d’un homme»
La levée de l’interdiction, devenue symbole du statut inférieur des femmes en Arabie saoudite décrié à travers le monde, permettra de réduire leur dépendance à l’égard des chauffeurs privés ou des hommes de leurs famille. «On va désormais pouvoir aller seules partout –hôpital, hôtel, restaurant. Nous n’avons plus besoin d’un homme», se réjouit Hatoun ben Dakhil, étudiante en pharmacie de 21 ans. «Le temps où on devait attendre un chauffeur est révolu», affirme-t-elle à l’AFP. Quelque trois millions de femmes pourraient se voir attribuer un permis et commencer à conduire d’ici 2020, selon le cabinet de consultants PricewaterhouseCoopers. Mais dans un pays déchiré entre tradition et modernité, la réforme suscite aussi des remous. Pour les ultraconservateurs, la conduite des femmes est un péché qui favoriserait la promiscuité. Certaines craignent le harcèlement de rue et les comportements sexistes: deux Saoudiennes titulaires d’un permis international ont ainsi déclaré à l’AFP qu’elles préféraient «attendre et voir» pendant quelques mois avant de penser à conduire. Le gouvernement a récemment pris des mesures contre le harcèlement sexuel, avec des peines pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et une amende de 300.000 rials (69.000 euros). Malgré l’ouverture d’auto-écoles, beaucoup de femmes se plaignent du manque d’instructrices et du coût élevé des cours. Au cours de ce mois de juin, les autorités ont délivré les premiers permis de conduire à des femmes. Après avoir passé un test, certaines ont échangé leur permis étranger contre un permis saoudien.
Répression
Pour tenter de dissuader la conduite sans permis, les autorités ont annoncé une amende de 900 rials (205 euros) pour celles qui se risqueraient à prendre le volant sans autorisation dimanche, ont rapporté les médias. Des représentantes des compagnies d’assurances s’apprêtent également à traiter les accidents impliquant des femmes. Mais l’enthousiasme suscité par ces réformes semble être entaché par une vague de répression visant les militantes qui se sont entre autres opposées à l’interdiction de conduire. Selon les autorités, neuf de plus d’une dizaine de personnes -dont des femmes- arrêtées sont toujours en prison. Elles sont accusées d’atteinte à la sécurité du royaume et d’avoir aidé les «ennemis» de l’Etat. Des ONG ont identifié certaines d’entre elles comme des militantes ayant fait campagne contre le système de tutelle permettant aux hommes de décider à la place des femmes. Les autorités ont néanmoins assuré que les Saoudiennes n’auront pas besoin de la permission d’un tuteur pour demander un permis de conduire. «J’encourage pleinement ma femme à conduire», confie Naief Abdelrahmane, à Riyadh Park. «Quiconque peut élever des enfants et s’occuper de son mari est parfaitement capable d’utiliser une voiture.»