Emmanuel Macron, candidat iconoclaste à l’élection présidentielle française, dérange non seulement de par sa candidature et l’engouement qu’il suscite, mais aussi par ses prises de position à l’opposé de ceux de la classe politique française.
Ainsi, en affirmant, haut et fort, dans une interview à une télévision privée algérienne que «la colonisation est un crime contre l’humanité», Emmanuel Macron a provoqué des réactions et des cris d’orfraie de ceux qui continuent à défendre la «grandeur coloniale» de la France. François Fillon qui ne joue plus au candidat vertueux a déclaré que «c’est indigne d’un candidat à la présidence», dans une même réprobation que Marine Le Pen. Car jamais un homme politique français n’avait utilisé un terme aussi fort au sujet du passé colonial de la France. En 2007, à Constantine, Nicolas Sarkozy s’était contenté de parler d’un «système injuste par nature». En 2012 à Alger, François Hollande avait dénoncé un «système profondément injuste et brutal». Mais en qualifiant la colonisation de crime contre l’humanité, ce qu’elle est au regard de l’Histoire, Emmanuel Macron met les points sur les “i”. D’autant qu’il dérange non seulement les nostalgiques de la colonisation et de l’’Algérie «française», très présents dans l’électorat Fillon-Le Pen, mais aissi les gardiens du Temple, le lobby sioniste en France qui impose que l’on ne parle de crime contre l’humanité que pour l’holocauste. Il impose, ainsi, dans l’opinion publique française, que le terme «crime contre l’humanité» ne renvoie qu’aux seuls crimes de masse, commis par les Allemands pendant la Seconde-Guerre mondiale. Oubliant, par là même, les 20 millions de Soviétiques morts durant la Deuxième-Guerre mondiale.
En déclarant, aussi, “la France doit présenter des excuses aux victimes de la colonisation”, Emmanuel Macron adopte également une position inédite. En 2012 à Alger, François Hollande s’était contenté de reconnaitre les «souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien», mais n’avait pas présenté des excuses. Et cette ligne s’applique aux massacres commis par la France coloniale, à Thiaroye au Sénégal en 1944, à Madagascar en 1947 et au Cameroun dans les années 1950 et 1960. Lors de visites dans ces trois pays, François Hollande a rendu hommage aux victimes, mais n’a pas présenté d’excuses. Pour l’historien Thomas Deltombe, le chef de l’État français est même dans «une logique de minimisation, d’euphémisation, voire de maquillage». Si demain Emmanuel Macron est élu président, beaucoup de Maghrébins et de Sub-sahariens vont certainement demander à la France “comment elle entend rendre justice aux victimes de ces massacres qui, aux yeux du candidat au mouvement «En Marche !», sont a fortiori des «crimes contre l’humanité».
Les déclarations du candidat à la présidentielle ont entraîné, à la droite et à l’extrême droite, des réactions parfois violentes. Emmanuel Macron «méprise la souffrance du million de déracinés d’Algérie qui ont fait le choix de la France en 1962», a ainsi déclaré l’ancien ministre de la Défense, Gérard Longuet, pur produit de l’extrême droite et ancien militant d’ordre nouveau, faisant allusion aux «pieds-noirs» et aux harkis. Une tentative d’emmener Emmanuel Macron sur un terrain idéologique très conflictuel, celui de la concurrence des victimes. D’une certaine façon, sur ce terrain, Macron et Fillon rejouent le match Hollande-Sarkozy de 2012. Mais au-delà, on voit chez Fillon et Macron deux visions de la France. En mai 2009 à Yaoundé, le Premier ministre, François Fillon, avait déclaré que les crimes reprochés à l’Armée française au Cameroun étaient «une pure invention». En août dernier, le même Fillon a lancé: «La France n’est pas coupable d’avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique.» Dans son approche de l’Histoire, le candidat des Républicains veut donc privilégier le «roman national». Emmanuel Macron, lui, semble aux antipodes de cette vision. Il veut s’imposer un devoir de vérité douloureuse. Comme son ex-mentor François Hollande, il prétend regarder l’Histoire en face, et pourrait reprendre ce mot de l’actuel chef de l’État, lors d’une visite au Sénégal en octobre 2012: «Comme toute nation, la France se grandit lorsqu’elle regarde lucidement son passé.» Dans son approche, le candidat Macron veut donc regarder le passé de la France avec «lucidité», et n’hésite pas à s’engager sur le terrain de la repentance.
M. Bendib