Plus qu’un phénomène, le transfert illicite de capitaux vers l’étranger est devenu un fléau qui grève fortement l’économie nationale. En effet, que ce soit dans les propos répercutés par la vox populi où grâce aux analyses d’experts et d’économistes, il est très largement fait cas des «investissements» consentis à l’acquisition à l’étranger, par des Algériens, de biens immobiliers. ,Pour ainsi dire, c’est une vogue à la mode, actuellement. La population en effet ne se fait pas prier afin de dénoncer l’achat par nos responsables, politiques ou autres, de biens immobiliers, citant à l’appui ceux opérés en Europe, plus particulièrement l’Espagne et la capitale Paris. Mais à signaler que des fonds transférés vers l’étranger ont été aussi transformés en prises de participation dans des sociétés privées spécialisées notamment dans le commerce extérieur et le conseil. Le président Bouteflika, en personne, a instruit le gouvernement Sellal à l’effet de circonscrire ce qui est devenu, immanquablement, un crime économique et à scandales. C’est ainsi que le directeur général des Douanes, Mohamed-Abdou Bouderbala en l’occurrence, revient à la charge, et s’exprime publiquement sur le sujet. C’est à ce titre qu’il a révélé que des dossiers d’importateurs, auteurs de fuite de devises vers l’étranger, ont été transférés à la justice. Des dossiers d’importation de marchandises, non importantes et prohibées, abandonnées ensuite au port après avoir transféré leur valeur en devises vers l’étranger, ont été déférés devant la justice qui statuera, alors que d’autres affaires similaires font l’objet d’enquête et de constitution de dossiers en collaboration avec les différents services de sécurité, a indiqué le DG des Douanes promettant que les inculpés dans ces affaires seront poursuivis avec une grande rigueur. «Les containers importés de l’étranger et abandonnés au port seront ouverts en présence d’un huissier de justice, après expiration du délai juridique, fixé à deux mois et 21 jours, et les marchandises seront saisies et vendues aux enchères s’il s’avère qu’elles sont propres à la consommation, ou traitées juridiquement si elles sont prohibées», a ajouté le DG des Douanes algériennes. Par ailleurs, Bouderbala prévoit la stabilisation, cette année, du volume de recouvrement douanier au même niveau qu’en 2014, soit 930 milliards DA contre 1 000 milliards DA en 2013. Une baisse justifiée par la non importation du mazout l’an dernier, a-t-il expliqué, soulignant toutefois que ce recouvrement est en nette évolution par rapport aux années précédentes, où il était à 250 milliards DA par an.
Formes prévues par les textes législatifs
Un transfert illicite de devises peut prendre toutes les formes prévues par l’ordonnance n°96-22 du 9 juillet 1996, relative à la répression de l’infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux, de et vers l’étranger. En foi de quoi, cette ordonnance stipule que «constitue une infraction ou tentative d’infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux, de et vers l’étranger, par quelque moyen que ce soit : la fausse déclaration, l’inobservation des obligations de déclaration, le défaut de rapatriement des capitaux, l’inobservation des procédures prescrites ou des formalités exigées, le défaut d’autorisations requises ou le non-respect des conditions, dont elles sont assorties». Cependant, ce texte a été complété par l’ordonnance n°10-03 du 26 août 2010 et, depuis, il englobe «l’achat, la vente, l’exportation ou l’importation de tout moyen de paiement, valeurs mobilières ou titres de créance libellés en monnaie étrangère, l’exportation et l’importation de tout moyen de paiement, valeurs mobilières ou titres de créance libellés en monnaie nationale, l’exportation ou l’importation de lingots d’or, de pièces de monnaie en or ou de pierres et métaux précieux».
Dans un entretien accordé à un confrère, l’avocat d’affaires Nasreddine Lezzar explique que sur le plan pratique «les transferts illicites de capitaux peuvent se faire à plusieurs niveaux: depuis les petites ou grandes opérations du secteur informel, durant les opérations régulières d’importation ou d’exportation via le canal bancaire, et aussi à l’occasion des transferts des dividendes des entreprises étrangères, installées ou activant en Algérie».
Nasreddine Lezzar considère que trois facteurs expliquent le phénomène, à savoir l’insuffisance ou l’inadaptation du dispositif législatif et réglementaire, l’inefficacité des organes de contrôle que sont les banques, le fisc, les Douanes et la justice. Enfin, le troisième facteur découle de la vie et la pratique économiques, donc relevant du domaine du social et rendant de ce fait difficile de réprimer, efficacement, les transferts illicites de capitaux. Et pour l’avocat de proposer à ce que «l’accès à la devise pour un investissement à l’étranger soit encadré dans un véritable et rigoureux cahier des charges qui délimite les obligations vis-à-vis de l’État algérien, et aussi les possibilités de contrôle de l’exécution effective de ces obligations».
Les listings de la HSBC
Pour beaucoup de banquiers et de responsables, les listings de la HSBC, relatifs aux transferts illicites de capitaux, ne sont que l’arbre qui cache la forêt. Les fortunes en devises transférées par des Algériens vers l’étranger, notamment vers les paradis fiscaux en Europe, aux Amériques et en Asie, sont beaucoup plus importantes que ce qui a été révélé jusque-là. Mahdjoub Bedda, un économiste cité par des confrères, estime qu’il y aurait entre 1,8 et 2 milliards de dollars de transferts illicites de fonds vers l’étranger annuellement, soit l’équivalent de 1% du Produit intérieur brut (PIB). Pour l’économiste, les fraudeurs ont recours à la surfacturation des importations ou simplement à de fausses importations domiciliées auprès des banques ou au non-rapatriement du produit des exportations. Ce crime économique se décline sur trois principales sources: la corruption à travers les pots-de-vin versés dans le cadre de l’obtention des marchés, la surfacturation des importations et le marché parallèle des devises, souligne l’économiste.
Mohamed Djamel