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MIMOUNA HADJAM, PRÉSIDENTE DE L’ASSOCIATION AFRICA, À LA COURNEUVE (FRANCE), AU «COURRIER D’ALGÉRIE» : «Le racisme en France se manifeste avec un nouvel habillage»

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Rencontrée au siège de l’association Africa, situe au cœur d’un quartier d’une des cités de la Courneuve, à Paris, sa présidente Mimouna Hadjam dans cet entretien parle du racisme en France qui a pris «un nouvel habillage» affirme-t-elle, différent de celui des années 80, citant l’expression raciste de Le Pen : «ils sont inférieurs» ou celle de Jacques Chirac :
«le bruit et les odeurs des émigrés». Elle évoque les violences policières, notamment dès 2015 et «le retour du coup de bâton à partir de l’an 2000» contre les sans-papiers et le recul des droits des étrangers en France. Elle réaffirme son «opposition à toute ingérence» de la France dans les affaires algériennes, notamment en cette période où notre pays connaît une crise, et de souligner que le président Macron  « ne perd pas de vue que l’Algérie c’est important et que les enjeux économiques sont bien là » et et que le souci et la priorité des responsables français est « de  continuer à assurer les intérêts économiques de la France » indique la présidente de l’Association Africa, Mimouna Hadjam.

Entretien réalisé par Karima Bennour

– Le Courrier d’Algérie : L’association Africa, à travers son travail et ses activités, ne manque pas d’aborder les questions liées à l’Algérie, notamment par l’organisation de rencontres, des expositions et des conférences sur des thématiques précises, pouvez-vous nous en dire davantage et les raisons à l’origine de cet intérêt particulier ?
-Mimouna Hadjam : Pour notre association Africa, l’Algérie a quand même une place très spécifique, ce qui est normal, je vous rappelle qu’Africa a été créée, il y a 32 ans, par des Algériens ou des personnes issues de l’immigration algérienne et il y a eu, depuis ce jour, des combats qu’on a toujours mené, sur différents fronts, qu’il s’agisse d’ici ou pour des questions concernant l’Algérie, on a toujours répondu présents et puis en ce qui nous concerne ça a été si fort par rapport à la valorisation de la mémoire de l’immigration et sa contribution aussi bien aux luttes en France qu’en Algérie. Je citerai, à titre d’exemple : le rôle joué par l’immigration algérienne et sa contribution durant la guerre de libération et aussi le mouvement du 17 octobre 1961, des évènements et des faits qui sont devenus, des marques de l’Histoire de la ville. Je vous raconterais que sur les massacres d’Algériens, du 17 octobre 1961, au début le Maire ne connaissait même pas, et là-dessus on avait été écouté, et on a été la première ville de France, dont le maire avait ordonné une commémoration de ces évènements tragiques avec un Monument aux morts. Ériger des monuments où sont inscrits les noms des victimes algériennes et ceux des victimes françaises, il y en a maintenant un peu partout en France, c’est le fruit de notre combat, nous l’avons mené sans relâche, et après d’autres villes (et elles sont plusieurs) nous ont emboité le pas et l’ont fait, comme à Nanterre et à Aubervilliers, ça c’est pour dire également qu’on n’a pas voulu faire de notre mémoire historique, aussi bien pendant la guerre de libération de l’Algérie qu’aujourd’hui, un moyen d’agitation politique ni de vengeance contre les Français, on ne cesse de le dire chaque année, notamment lors de la commémoration des massacres du 17 octobre 1961, c’est vraiment pour le rétablissement des faits et dire aussi bien aux Algériens là-bas qu’aux Français que l’immigration a payé vraiment un lourd tribu et l’immigration algérienne en France, c’est quand même une partie importante du mouvement de lutte, en Algérie.

-Le mouvement du 22 février a, dès les premiers vendredis de sa mobilisation pour le changement pacifique du système politique, refusé toute ingérence étrangère dans les affaires du pays, notamment à travers le slogan «ni Washington, ni Paris, Echaâb yekhtar Erraïs : ni Washington, ni Paris, le peuple élira son président :NDLR), comment capte -t- on ce slogan ici, en France ?
– C’est un mot d’ordre du peuple algérien qui est mien aussi. Quand on parle de la non-ingérence, évidement on ne parle pas du soutien des peuples entre eux, et donc du soutien de la population française à celle d’Algérie. L’ingérence émane des États, en l’occurrence la France et d’autres, les États et tout ce qui va derrière, les tenants du pouvoir, et je refuse et je m’oppose à l’ingérence étrangère dans les pays. Et on voit bien, en France, que le président Macron a eu à manifester un timide, timide soutien, mais sur le fond on voit bien, dans le fond qu’il s’agit d’une autre posture, il ne perd pas de vue que l’Algérie c’est important, les enjeux économiques sont bien là, entre la France et l’Algérie et pour la première ce qui est primordial c’est de garantir justement la stabilité à commercer tranquillement et continuer à assurer les intérêts économiques, et donc l’ingérence je suis contre, comme je le suis pour le délit de solidarité avec le peuple algérien , je suis pour la solidarité et le soutien entre l’ensemble des peuples et qu’on ne mélange pas ceci avec l’ ingérence étrangères dans des pays.

-Que pouvez-vous nous dire sur les enseignements tirés par l’association Afrika, depuis ses débuts, à ce jour, notamment dans ses actions contre le racisme, de soutien et d’accompagnement des personnes en situation vulnérable, notamment les migrants, les sans-papiers, les demandeurs d’asile de divers pays, les sans-emploi, les femmes en détresse ainsi que vos actions pour l’épanouissement des enfants des quartiers populaires, dont ceux de la Courneuve ?
– Ce qui est sûr, quand je suis arrivée ici, au début des années 80, il y a avait une situation très difficile : début de la grande crise économique, la misère, les conditions de vie des émigrés très difficiles et notamment un racisme qui s’exprimait d’une manière très violente, puisque durant les années 80 et 90, je vous rappelle, il y avait des dizaines et même des centaines de jeunes qui ont été assassinés, ici en France, soit par des policiers ou par des racistes. Et cette période a été, pour nous, extrêmement meurtrière notamment pour les algériens et les enfants d’Algériens, ce qui nous avait fait dire à l’époque, il y avait un journaliste italien, Fausto Giudice, qui avait écrit un excellent livre,(«une chronique française (1970-1991) -paru à La Découverte en 1992 »), dans lequel il a répertorié les victimes assassinés et le premier qui a parlé d’ « Arabicides »,et la majorité des victimes étaient, je vous rappelle, des Algériens, parmi d’autres, des Marocains et des gens plutôt de peau basane. L’écrivain a même émis l’hypothèse que nous avons reprise que c’était un fil rouge qui avait commencé en Octobre 1961 et qui continuait, c’est la même idéologie coloniale, puis postcoloniale, qui faisait, et ce n’était pas un hasard, que c’était souvent des Algériens qui étaient assassinés , et c’était une période très difficile, il faut le souligner, pour les émigrés et l’immigration en général. Et pour nous militants et militantes anti-racisme, à l’époque, d’ailleurs ce n’est pas un hasard si notre association a vu le jour, en 1987, à un moment ou la Courneuve a été endeuillée par trois crimes racistes de jeunes. En 1983, c’était le petit Toufik, âgé à peine de 9 ans, en 1986, Adel Benyahia assassiné par un policier, et une année après, un autre, Ali Mahfoufi assassiné, lui aussi par un policier. Après avoir été dans des collectifs de nombreuses associations, plus générales de lutte contre le racisme, nous avons pensé qu’on ne pouvait continuer ainsi, et qu’il fallait qu’on s’auto-organise pour un travail de proximité avec les citoyens, on s’est dit que si on ne prenait pas nos affaires en main pour mieux avancer, certainement personne ne le fera à notre place et de là il y a eu la création d’Africa. Nous avons été marqués par d’autres drames, les années suivantes, notamment la décennie noire qu’a traversée l’Algérie durant les années 90, et nous n’avons pas été, par ailleurs, épargnés par les idées islamistes extrémistes, et même ici nous avons été appelés à notre niveau, ici en France, de combattre cette idéologie obscurantiste et meurtrière, et ça s’est aggravé avec l’arrivée de ces extrémistes et aussi de terroristes qui ont trouvé refuge en France, notamment dans notre département en plus de l’envahissement des idées de l’islamisme radical, que nous avons combattu car ils ont rendu la vie des citoyens et citoyennes, notamment de la Courneuve, difficile et infernale, en tentant d’imposer leur diktat. C’est des combats qui ont été marqueurs, pour nous et pour les citoyennes et citoyens de la Courneuve, dont ceux issus notamment de l’immigration algérienne et à ce jour nous continuons au vue des avancées et des progrès notables enregistrés pour faire reculer les idées obscurantistes.

-Qu’en est-il du racisme, d’autant plus que des observateurs parlent de sa persistance, à travers un nouveau discours et pratiques, notamment chez des acteurs politiques ?
– Et pour revenir au racisme, alors que dans les années 80, on avait un Le Pen qui disait ouvertement que « nous étions inférieurs », il y avait Chirac qui parlait « de bruit et des odeurs des émigrés », tout ça aujourd’hui ne passe pas, car les luttes citoyennes contre le racisme, ont déstructuré ce discours et mieux encore, ont contribué fortement pour voir la rédaction et l’adoption de législation en matière de condamnation d’actes de racisme. De nos jours, ce sont des petits groupes néo-nazis, extrémistes qui continuent de porter ce discours, ce qui ne veut pas dire que le racisme n’existe plus. Des acteurs politiques, dans leurs discours, notamment depuis 2015, pour contourner les acquis des luttes, notamment la prise de conscience du danger de ce phénomène sur la société et les lois adoptées, l’habillent autrement, pour mieux mener leur politique anti-migration. Après deux périodes de régulation de situation des sans-papiers et à notre niveau, nous nous sommes rendus compte qu’à partir de l’an 2000, il y a eu un retour du coup de bâton et le discours raciste ne s’habillait plus de la même manière qu’avant, comme ce qu’il fut dans les années 80, aujourd’hui il y a un consensus, y compris chez les Lepinistes, résultats des acquis de lutte ici en France, contre le racisme, qui de nos jours, se manifeste et opère différemment, ce n’est plus la couleur de la peau qui est mise en avant ou les déclarations dont j’ai fait part auparavant de Le Pen et de Chirac. Et pour contourner les acquis de lutte contre le racisme de nos jours, on assiste à un discours raciste habillé différemment, en invoquant la culture,ils ne mangent pas, ne s’habillent pas comme nous et surtout, ils n’ont pas la même Religion que nous. Moi qui ai combattu l’idéologie islamiste, je peux vous dire par ailleurs, que nous avons assisté et vu toute cette campagne de racisme culturelle mais qui en vérité était le prolongement du racisme très violent et assassin qu’on a connu et vécu dans les années 80. Après le vécu et analyse, je peux vous dire que ce que eux appellent islamophobie, terme que je n’emploie pas, car, il s’agit, pour ma part, d’actes racistes. Et en revanche assassiner des personnes au nom d’une Religion c’est du racisme aussi.
Je voudrais vous dire, qu’au terme de notre décompte, sur les assassinats, y compris suite à des actes antimusulmans, ce sont des maghrébins, principalement des Algériens ou des personnes d’origine algérienne qui ont été les plus visés par ces actes racistes avec son nouvel habillage d’«islamophobie », différent de celui que nous avons connu auparavant, notamment dans les années 80, alors qu’il y a des musulmans d’autres origines, (turcs, pakistanais pour ne citer, qu’eux), et les débats marquants la scène politio-médiatiques française, sur les questions liées au voile, à titre d’exemple, nourrissent le racisme avec son, nouvel habillage dont j’ai fait part auparavant. Nous on voit bien que la majorité de la jeunesse, notamment issue de l’immigration sont plongées dans la galère de leur vie quotidienne, certes ils et elles sont nombreux (ses) à avoir réussi dans leur vie, jusqu’à être des élus et des cadres dans différents secteurs. Certes il y a eu des améliorations à divers niveau en matière de lutte contre le racisme, mais malheureusement celui-ci persiste, en les contournant, avec son nouvel habillement. En même temps, depuis 2015,  on remarque le retour de la violence policière, ça a commencé avec l’affaire de Téo, et ça nous rappelle les violences de la police durant la période des années 80- 90, que nous avons vécues douloureusement et l’avions senties très fortement. Une période rendue possible avec le laxisme qui était encouragé pas l’État, qui laissait faire les policiers, car non inquiétés par d’éventuels poursuites ou d’enquêtes pour définir les responsabilités. Et parfois, c’était par des encouragements, notamment du temps de Pasqua, au moment où il occupait le poste de ministre de l’intérieur. Et la violence policière même quand elle touche d’autres ; comme c’est le cas des manifestants des gilets jaunes, les policiers ne sont pas inquiétés. je ne vise aucun policier, je parle de l’Institution elle-même, qui ne cesse de laisser passer des bavures et des violences contre des citoyens, notamment ceux des quartiers difficiles. Et là je peux dire que ça va mal, alors que pour les étrangers et leurs droits c’est une catastrophe.
K. B.

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