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Mémoire : Abdelhamid Ababsa, le chanteur qui a éternisé Hiziya

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C’est la célèbre chanson Hiziya du non moins célèbre poète Cheikh Benguitoune qui propulse Abdelhamid Ababsa sur le devant de la scène artistique algérienne. Cela se passe en 1947, bien qu’il ait déjà interprété cette chanson en 1938. Cette chanson d’amour, inscrite comme l’un des plus grandes odes à la femme du patrimoine lyrique et poétique de l’humanité, marque le départ définitif d’une carrière qui ne finira jamais, pas même après la mort de l’artiste.

Par Ali El Hadj Tahar

Né à Barika, 15 décembre 1918 et décédé à Alger, le 15 mai 1998, Abdelhamid Ababsa est orphelin de mère à dix mois. Il grandit à Biskra où il fait l’école primaire française, puis à Constantine où, à huit ans, il commence à travailler comme apprenti typographe de la revue Echihab de cheikh Abdelhamid Ben Badis. Son père exerce comme journaliste dans les revues algériennes de l’époque. Le titre pompeux de la fonction du paternel n’empêche pas la famille de vivre dans la pauvreté dans sa ville natale puis à Constantine, car à l’époque du nationalisme et de la nahda, le journalisme relève plus du volontariat que de salariat. C’est pour cette raison d’ailleurs, que dès l’âge de huit ans, Abdelhamid commence à travailler à l’imprimerie arabe (matbaâ al arabya), en dehors de ses cours, apprenant ainsi à compter sur soi et à aider sa famille en même temps.
C’est le tajwid qui forge sa voix d’enfant mais c’est la chanson arabe d’Oum Kalthoum, Mohamed Abdelwahab et Farid El Atrache qui éveille en lui le besoin de l’expression artistique. Quand la famille s’installe à Alger, en 1930, toujours en quête de meilleures conditions d’existence, il suit les classes d’arabe à l’école Chabiba, qui appartient aux oulémas. Il a pour maître Mohamed Mohamed Laïd Al-Khalifa. Le célèbre poète, qui était aussi directeur de cette médersa de la Jeunesse musulmane d’Alger pendant dix ans, lui demande de mettre en musique un chant patriotique, le nachid Alaïki mini salam ya arda ajdadi (Salut ô terre de mes ancêtres). Ouvert sur la modernité, le nationalisme algérien suscitait même au sein de la medersa des vocations artistiques, puisque parmi les camarades de classe d’Ababsa, il y avait aussi Abderrahmane Aziz.
En 1931, son père lance à Alger la revue Al Mirçad, aussitôt interdite mais vite remplacée par Eṭabat (La Constance), toujours à caractère nationaliste, comme l’indiquent les noms des publications. Sans complexe, l’adolescent n’hésite pas à aller apprendre la musique en tapotant du piano dans une taverne appartenant à un Italien du côté de l’Amirauté. Il s’initie aussi au luth et à l’orgue (el manfakh). Il ne manque pas, non plus, de perfectionner l’amour de la composition que lui a insufflé Mohamed Laïd Al-Khalifa, en mettant en musique un poème de son propre père. En 1936, s’étant fait une réputation de compositeur, c’est lui aussi qui crée la musique du chant patriotique Fidaou el Djazair de Moufdi Zakaria, son ainé de huit ans seulement. La même année, sur la place El Kheddam de Tlemcen, et devant douze mille personnes, il chante ce nachid, qui était le premier hymne national algérien. Avant d’écrire Qassaman, Moufdi Zakar a écrit Fidaou el Djazair  en l’honneur de Messali Hadj et du MTLD.
Ce chant patriotique, qui se termine par une revendication de l’indépendance, vaut à Ababsa d’être proscrit de la ville de Tlemcen et un passage dans la salle de torture. L’ambiance stimulante du nationalisme et de la poésie populaire éveille davantage sa conscience politique et son ancrage dans sa culture, tandis que l’expérience renforce ses capacités de chanteur de qacidates (poèmes populaires). Sa culture et sa maîtrise de la langue arabe et de la daridja, couplées à sa verve poétique l’incitent à composer lui-même ses qacidates et chansons. Puis, se sentant prêt à entrer sur scène comme artiste, il accepte l’invitation de Radio-Alger, où il chante Hiziya, en 1938.
Ses premiers succès l’incitent à continuer. Conscient qu’une carrière artistique l’attend, il réalise un premier enregistrement, Talet aâlya, en 78 tours, en 1942. Séduit par sa voix puissante et limpide, l’éditeur Pacific l’encourage à sortir un autre disque, Ya rahala, en 1944. Hiziya, enregistrée sur disque en 1947, connaît un immense succès. Cet accueil public l’encourage à monter sa propre troupe Djawala Ababsa (1937‑1976) et de continuer à composer lui-même les textes de ses chansons. Foisonnante est déjà la scène artistique à l’époque, notamment dans le genre bedoui prisé par les Algériens. De nombreux interprètes lyriques veulent faire découvrir le terroir de leur pays et le réinventer en même temps pour exprimer leur identité : Khelifi Ahmed, Cheikh El Meliani, Cheikh Ahmed Palikao, El Bar Amar, Rahab Tahar ou Khoudhir Mansour dont l’interprétation de Hiziya est toute aussi forte que celle d’Ababsa.
Les massacres de mai 1945 ne laissent pas Abdelhamid insensible : il les dénonce dans une chanson en 1946, qu’il chante lors d’un meeting à Paris : cela lui vaut de passer deux années en prison, en compagnie de Cheikh El Hasnaoui. En 1947, Boudali Safir, qui était le directeur artistique des émissions en arabe et berbère de Radio-Alger, fait appel à Khelifi Ahmed et lui confie l’orchestre bédouin qu’il vient de créer. Lorsque ce dernier fait sa première émission, il est accompagné au piano par Abdelhamid Ababsa, déjà sorti de prison. Les concerts d’Ababsa se succèdent jusqu’à l’avènement de la guerre de libération. En France, il organise des galas privés pour la communauté émigrée, qui était aussi un grand foyer de la révolution. À la veille de l’indépendance, il renoue avec les nachid et les chansons patriotiques.
Fécond, Ababsa a laissé plus de 350 poèmes. Parmi ses albums, citons Qame Saadek Ya Eldjazaire, Hada Houa Takaddoum, Ethaoura Elli Bdat‎ (7″, Single), Matebkichi Ya Loumina ‎(7″, Single). S’étalant sur des décennies, son parcours est ponctué de succès dans différents genres musicaux autres que le bedouin dit Aye, Aye. Il a aussi composé et écrit pour nombre de chanteurs, dont une pour la chanteuse kabyle H’nifa. Ce parcours n’occulte pas Hiziya, texte auquel Ababsa a estampillé une force particulière, sa griffe de maître de la chanson algérienne. Ce qui est terrible, c’est que les chansons de cet artiste sont très rares sur Youtube ou Dailymotion, d’autant qu’on ne les trouve plus sur le marché.
Cet artiste immense, qui a aussi écrit des scenarii de films de la télévision algérienne, n’a pas manqué d’imprégner à son tour sa famille de son art : sa femme Fatma Zohra, ses filles Naïma Ababsa et Fella Ababsa, son fils Salah Eddine dit Mobarek sont des musiciens et interprètes également.

A. E. T.

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