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Mali : Bamako inquiète après l’attaque

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Angoisse. Après l’attaque djihadiste qui a fait 21 morts vendredi à l’hôtel Radisson, les rescapés retracent une matinée de cauchemar. Sur l’écran plat qui trône dans le sas de l’entrée, les mêmes images défilent toujours, les mêmes messages : des piscines fabuleuses, des restaurants feutrés, des promesses d’exception. « Welcome to our world », celui de la « world class hospitality », celui du Radisson, peut-on lire avant de franchir les portes en verre de l’hôtel de Bamako. Si ce n’est qu’en dessous sont amoncelés des gants chirurgicaux, à côté d’une montagne de verre pilé et de bouteilles d’eau vides. Le chariot à bagages abandonné devant l’ascenseur, la lotion hydroalcoolique sur la table, fréquente dans les hôtels de la région depuis Ebola, racontent la surprise de l’attaque terroriste de vendredi matin. Un chapeau décoratif a roulé au sol.

Sekouba Bambino : « Les assaillants parlaient en anglais »
« Je suis complètement traumatisé, les mots me manquent, déclare le chanteur guinéen Sekouba Bambino Diabate. Je me suis réveillé, j’ai entendu des tirs à droite et à gauche, pour moi, au départ, c’étaient des pétards, mais ensuite j’ai entendu des coups de feu, vraiment comme de la guerre. Les assaillants parlaient en anglais, ils disaient : vas-y, cours, par là. Quand la police malienne est venue taper à la porte, je n’avais pas confiance, je n’ai ouvert que quand je les ai entendus parler en bambara. » Comme d’autres, au lendemain de l’attaque revendiquée par le groupe djihadiste Al Mourabitoune qui a fait 21 morts, Sekouba Bambino Diabate est venu rechercher ses affaires. L’appellation d’hôtel « de luxe » est un peu pompeuse : seules les rues qui le touchent directement sont goudronnées, l’architecture du bâtiment est datée, la façade abîmée comme elle peut l’être dans les climats extrêmes.

Le président Keita remercie
Samedi matin, alors que le président Ibrahim Boubacar Keïta s’adresse aux journalistes, devant l’hôtel, le mercure grimpe à 38 degrés. Il fustige ces hommes qui ont « décidé de rompre avec l’humanité », à qui « la valeur vie est étrangère ». Il loue la « solidarité entre les peuples », l’aide de la France. Derrière lui s’affairent des gendarmes et des policiers français, des carabinieri italiens, des « politie » belges. Le bilan fait état de six morts russes, trois Chinois, un Belge, un Sénégalais, un Israélien, cinq Maliens, un Américain et trois inconnus. L’hôtel était plein, de multiples nationalités, d’autant que se tenaient les sixièmes Journées minières et pétrolières.

La peur de Monique, le fatalisme de Daniel, la détresse de Moussa
Monique est ivoirienne. Elle n’a pas pu éviter de voir un corps dans l’escalier, quand elle a été sauvée par l’armée malienne : « J’étais couchée quand ça a commencé, un peu avant 7 heures. Je voulais me mettre sous le lit, mais ce n’était pas possible, alors je me suis cachée derrière le fauteuil. J’ai attendu pendant 4 heures, je les ai entendus, ils parlaient anglais. À un moment, j’ai l’impression qu’on a frappé à ma porte, mais je n’ai pas bougé. » Monique a bien fait. Les attaquants ont méthodiquement abattu quiconque leur ouvrait. Elle se dit encore « très, très inquiète », et même si elle se rend souvent à Bamako pour la compagnie ivoirienne d’électricité, elle ne pense pas revenir de sitôt.
Ce n’est pas le cas de Daniel, un client français venu pour affaires : « Cela peut arriver n’importe où, c’est tellement facile, ce qu’ils ont fait. Il ne faut pas s’en prendre au Mali. » Il a reçu des consignes de sécurité de son employeur par SMS. « L’objectif, c’est de faire le mort, raconte-t-il. J’ai éteint tout ce qui fait du bruit, le PC, tout. J’ai mis un linge humide au bas de la porte parce qu’il y avait de la fumée, à cause de l’incendie. Et quand ils ont toqué, je n’ai pas regardé par l’œilleton, parce que je ne voulais pas qu’ils voient les variations de lumière. »
L’incendie, d’après Moussa Sada Traoré, directeur technique de l’hôtel, a été déclenché dans le restaurant. Lui était en congé, il est venu quand il a su ce qui se passait. « J’ai reçu des textos : Moussa, si tu es là, il faut te planquer. J’ai pensé à mes collègues, à mon entreprise. Aujourd’hui, je suis entré. À l’intérieur, ils ont tout cassé, il y a des traces de balles dans les murs des chambres. Il y a du sang un peu partout, et il a fallu sécuriser le circuit de gaz. »
Ali Yazbeck, l’assistant-pâtissier, teint clair et petites lunettes, peut en témoigner. Il a vu la mort en face, sous les traits d’un jeune homme d’une vingtaine d’années, képi sur la tête, chèche autour du cou, jean et chemise. Il se souvient qu’il était très noir de teint. Et que, s’il ne lui a pas parlé, il l’a entendu s’exprimer en tamachek, la langue touareg, et en anglais. Allongé sur son lit de la clinique Pasteur, il médite sur la matinée cauchemardesque de vendredi, qui pourtant l’a laissé en vie. « J’étais en train de préparer le petit déjeuner quand, un peu avant 7 heures, on a entendu le bruit. On a tenté de faire monter les clients par l’ascenseur, mais il y en avait trop, une vingtaine. L’ascenseur s’est bloqué. Et le type a tiré d’abord sur moi qui étais à côté, deux balles, une dans le cou et une dans le dos. Et ensuite, il a arrosé tout l’ascenseur. Il en a tué beaucoup. Je me suis échappé en prenant par la main deux serveuses, Sara et Awa, pour aller dans un bureau. On a bloqué la porte avec un petit frigo. Mais il a enfoncé la porte. Awa a paniqué, elle était blessée, il l’a tuée de deux balles. Moi, j’ai fait le mort. Il a vérifié en me touchant le visage. Et Sara était cachée sous la table. Elle est dans la chambre à côté, une balle a traversé son cou », confie-t-il. Caché dans le bureau, il a eu le temps de voir le terroriste allumer la gazinière, pour tout faire sauter. Ali a trente ans, il n’en revient toujours pas. « Le docteur m’a dit : tu vas vivre 100 ans », sourit-il.

La peur sur Bamako
Devant la clinique, des collègues sont venus les voir. Ils ne sourient pas, eux. « Je suis réceptionniste au Spa, explique Cathy Dikal, 25 ans. Vers 7 h 40, je suis arrivée, dès la porte j’ai vu des policiers et j’ai compris que quelque chose se passait. C’était trop dur de savoir qu’on avait nos collègues et nos clients dedans, c’est trop triste de savoir qu’on ne reverra jamais nos amis. Une heure plus tard, on aurait tous été à l’intérieur… » Cathy a entendu parler de l’état d’urgence instauré pour dix jours. Elle trouve que c’est une bonne idée. Ce week-end, malgré la fin de l’assaut donné par les forces spéciales maliennes, puis françaises et américaines, vendredi à la mi-journée,
Bamako a peur.

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