Par Ali El Hadj Tahar
Lundi, le président Tebboune a reçu un appel téléphonique d’Angela Merkel, portant également sur la situation en Libye. Dans cette affaire, l’Algérie revient avec force comme partie incontournable, imposée par la légitimité d’un président élu qui a exprimé fort la position nationale sur de nombreuses questions, notamment sur cette crise que vivent nos frères Libyens depuis 2011 et qui n’a cessé de s’aggraver.
Mais comment en est-on arrivé à la situation actuelle dans ce pays ? Alors que les deux protagonistes, le maréchal Haftar et Faïez Serradj, le Premier ministre du Gouvernement d’union nationale, étaient sur le point de s’entendre et qu’une date approximative a même été définie pour la tenue d’élections, Haftar a lancé une offensive le 4 avril, espérant prendre le pouvoir par la force. A-t-il décidé de son propre chef ou bien a-t-il été encouragé par l’Égypte, l’Arabie saoudite ou les Émirats ? Pour sauver Tripoli, Serradj signe un accord de défense avec la Turquie. Ce mémorandum redéfinit les frontières maritimes des deux pays, notamment dans les eaux entre la Crète et Chypre, où l’on soupçonne l’existence de gisements de gaz. Cela ne fait qu’aggraver la situation puisque l’Égypte veut mettre fin à cet accord qui menace aussi les intérêts de la Grèce, de Chypre…
Le 16 décembre 2019, le Parlement turc entérine cet accord militaire et sécuritaire qui donne à Ankara la possibilité d’être présente sur le territoire libyen en plus de prévoir la formation de cadres militaires et sécuritaires en Libye ainsi que la fourniture par Ankara de toutes sortes d’armes à ce pays.
L’Union Européenne a rejeté cet accord, l’estimant « invalide ». Ainsi donc, considérant les oppositions entre membres de l’OTAN, Ankara n’est pas en Libye en tant que représentant de l’Alliance atlantique, loin de là. Dans cette crise, Erdogan défend les intérêts strictement nationaux : restaurer l’aura ottomane tout en prenant sa revanche contre les « kouffar » qui l’ont rejeté de l’UE. Évidemment, en faisant payer la facture par les musulmans, comme cela s’est passé 4 siècles durant sous le règne des beys et des deys. La Sublime Porte dont rêve Erdogan se soucie peu des détails, tout comme l’ancien Pharaon ne se préoccupait point du sort des États vassaux. Puisque le président Sissi fait presque la même chose qu’Erdogan. C’est lui qui aurait poussé Haftar à mener l’offensive alors que les deux rivaux s’étaient même entendus sur « la fin de la période de transition » et que des élections étaient prévues pour l’été 2019. En outre, une grande conférence nationale devait rassembler les Libyens vers la fin mars 2019 près de Tripoli. Mais coup de théâtre : le 4 avril, Haftar lance son offensive.
La Libye dispose de réserves avérées estimées à 48 milliards de barils de pétrole et une réserve de gaz estimée à 1 495 milliards m3. Ce pays est un enjeu immense, pour plusieurs raisons, économique et géopolitique, stratégique. Porte de l’Afrique, il fait aussi le lien avec l’Europe et le Proche- Orient. Mais l’instabilité ne profitera à aucune des parties étrangères qui se disputent ce pays. Une Libye faible est un problème pour tous ses voisins, et même au-delà. Une Libye stable est, au contraire, une garantie de paix et de sécurité pour tout le Maghreb mais aussi pour l’Afrique et l’Europe.
L’Algérie a toujours considéré la Libye comme un voisin essentiel, et l’amitié avec elle comme un gage de notre propre sécurité. Boumediène considérait tous les pays voisins comme la profondeur stratégique fondamentale de l’Algérie, et tout particulièrement la Jamahiriya. Car il n’y a pas de stabilité interne sans l’amitié du voisinage. Il soutenait donc fermement Kadhafi, qui constituait l’un des maillons les plus forts de la chaîne d’amitié tissée avec d’autres pays allant de la Jamahiriya jusqu’en Irak, en passant par la Syrie et l’Égypte.
Les Maghrébins et les Africains étaient les premiers perdants de la chute de Kadhafi. Ils ont perdu davantage avec l’aggravation de la crise. Le conflit actuel n’a donc pas d’autre solution que pacifique, et l’Algérie y veille désormais, avec une vigilance sans pareille au moins depuis 20 ans. Attachée aux principes du droit international, Alger n’a pas manqué de demander, lundi, au Conseil de sécurité à « imposer un cessez-le-feu » ainsi qu’à toute la communauté internationale d’assumer ses responsabilités, tout en exhortant les belligérants à mettre fin à l’escalade.
Il est dommage que l’Égypte ait, quant à elle, fait le mauvais choix en suivant les Saoudiens et les Émiratis, après les avoir suivis dans leur aventure syrienne et yéménite. La neutralité aurait été à l’avantage non seulement du peuple libyen mais de tous les peuples de la région. L’Égypte aura plus d’amis et moins d’ennemis en se dotant d’une politique indépendante, et surtout en revenant à l’Afrique au lieu de lui tourner le dos. Elle ne doit pas oublier qu’elle a une frontière de 1115 km avec la Libye, en plus de sa frontière avec un Soudan instable.
A. E. T.