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«Le Point des Espions» : Steven Spielberg, travelling arrière

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Le réalisateur américain retrouve Tom Hanks et s’attaque à la guerre froide avec son vingt-huitième film, « Le Pont des espions », un thriller historique. L’occasion d’un flash-back sur ses années de cinéaste.

«Le pont des espions » est l’histoire vraie d’un homme ordinaire confronté à une situation extraordinaire. James Donovan (Tom Hanks), un avocat d’assurances américain, est choisi en 1957 pour défendre Rudolf Abel (Mark Rylance), un agent soviétique accusé d’espionnage. Après l’incursion d’un avion U-2 américain dans l’espace aérien russe, l’affaire devient une confrontation mondiale entre les deux puissances, qui trouvera son issue dans un Berlin-Est encore sous le choc de la construction du mur. Trois ans après « Lincoln », Spielberg signe une nouvelle fresque historique haletante, qui lui a notamment permis de travailler pour la première fois avec les frères Coen, crédités au scénario. Et de retrouver son ami Tom Hanks pour leur quatrième collaboration.

Paris Match. Vous êtes vraiment drogué au cinéma. Un film à peine terminé, vous en commencez déjà un autre. Comment faites-vous ?
Steven Spielberg. Je ne sais pas d’où me vient cette compulsion maladive, mais c’est vrai que je ne peux pas vivre sans tourner. Je ne prends même pas le temps de profiter d’un succès. Si je savais pourquoi je fonctionne comme ça, j’arrêterais tout !

Qu’est-ce qui vous excite tellement ?
L’inconnu, la nouveauté. Une idée peut me tenir éveillé toute une nuit, et il y a de fortes chances qu’un jour ou l’autre j’en fasse un film. Lincoln m’a hanté pendant des années. Je ne savais pas comment m’y prendre, mais j’ai toujours su qu’un jour ou l’autre je raconterais son histoire. De la même façon, j’ai toujours su que je ferais un film d’espionnage qui se passerait pendant la guerre froide. Abraham Lincoln comme James Donovan, chacun à sa manière, sont de grands personnages de l’Histoire.

Est-il vrai que vous aviez peur de tout quand vous étiez jeune ?
C’est vrai. Chaque film que j’ai dirigé a une connexion personnelle avec ma vie. Notre ennemi quand j’étais enfant, c’était l’Union soviétique. Khrouchtchev tapant sur la table avec sa chaussure et hurlant “on vous enterrera tous !” m’a hanté pendant des années. J’étais obsédé par l’idée que quelqu’un, en appuyant simplement sur un bouton, puisse déclencher une guerre nucléaire. J’avais peur des intimidateurs, des gens qui ne m’aimaient pas parce que j’étais juif, peur des maths. Un jour, à l’école, un professeur m’a dit qu’il avait vu une lumière blanche qui traversait le ciel. Je me suis caché sous mon bureau, terrorisé. Je ne suis pas sûr, avec le recul, que c’était le meilleur moyen d’échapper à une bombe de plusieurs mégatonnes…

À 14 ans, vous tournez votre premier film en 8 mm, “Escape to Nowhere”, qui parle déjà de la guerre. D’où vous vient cette fascination ?
La guerre a toujours plané comme une menace sur mon imagination. Mon père avait combattu pendant la dernière guerre, j’étais baigné des histoires qu’il me racontait. Les adultes y faisaient sans arrêt référence. J’ai vu tous les films de John Wayne sur le sujet, lu tous les livres. J’étais assez nul à l’école, mais l’histoire me fascinait. Quand je fais un film, je ne cherche pas à être politiquement correct mais ­historiquement correct.

«J’ESPÈRE QUE CERTAINS DE MES FILMS ÉCLAIRERONT UN JOUR L’HISTOIRE»

Il y a toujours une dimension politique dans vos réalisations.
En 1997, j’ai réalisé “Amistad”, le récit d’une mutinerie d’esclaves sur un bateau, parce qu’on m’avait parlé de la décision de la Cour suprême de libérer ces hommes. C’était le premier pas dans la direction d’une totale émancipation des Noirs. Et je n’avais jamais entendu l’histoire de James Donovan avant qu’on me la raconte. Je n’essaie pas d’éduquer, je suis un conteur, pas un metteur en scène-­professeur. Mais j’espère que certains de mes films éclaireront un jour l’Histoire.

Il y a aujourd’hui un profond sentiment d’insécurité en Europe. N’avez-vous pas l’impression que nous vivons une nouvelle guerre froide ?
Il y a toujours eu des dénominateurs communs, comme les divisions entre les religions et les idéologies. Les superpuissances au travers d’une histoire collective ont créé d’énormes schismes. Mais ces mêmes schismes nous ont permis d’apprendre de nos erreurs.

Aujourd’hui, on construit des murs de barbelés pour repousser les migrants. Vous trouvez qu’on a progressé ?
Les murs sont des excuses pour arrêter les conversations ! A l’heure de la technologie, ils ne servent plus à rien. Je suis par nature optimiste, je n’ai pas une vision catastrophiste du futur. Ce qui me rend triste, en revanche, c’est que je ne vois pas beaucoup de gens autour de moi qui utilisent l’art de la conversation pour régler les problèmes. Je ne vois que des gens obsédés par le pouvoir, des batailles d’ego, la faiblesse d’un côté et la force de l’autre. Sans parité, on ne peut rien faire.

Vous croyez encore en la nature humaine ?
Oui. Je suis et reste un humaniste. Nous vivons une période très triste, mais j’ai confiance en l’être humain. Je crois en quelque chose qu’on appelle le bon sens, quelque chose qui serait évident pour tout le monde, qui serait la base de la conversation qui nous emmènerait sur la route de la guérison. Cela semble un défi impossible, mais je préfère croire qu’on va y arriver.

C’est la quatrième fois que vous dirigez Tom Hanks. Qu’est-ce qui vous lie ?
Tom est ma muse ! On partage les mêmes valeurs, le même sens de la moralité et de l’égalité. On se fait du bien. Tom pourrait être un formidable politicien, mais il a choisi de faire passer dans ses rôles ce en quoi il croit. C’est presque du service public ! Les grands politiciens sont de bons acteurs car ils doivent parfois nous convaincre de choses auxquelles eux-mêmes ne croient pas totalement et nous faire avaler que c’est la vérité.

«LES BLOCKBUSTERS EXISTENT DEPUIS LA NAISSANCE DU CINÉMA»

C’est ce qui explique à votre avis en Amérique le succès de Donald Trump ?
La situation en Amérique est assez inquiétante car il y a une guerre froide entre les républicains et les démocrates. L’obstruction est telle à Washington qu’on ne peut prendre aucune décision sans les ordres de l’exécutif. Je me sens frustré, comme beaucoup d’Américains, de ne pas voir les choses avancer. Les Américains canalisent leur colère en mettant toute leur confiance en Donald Trump. Ils se disent qu’ils n’ont plus rien à perdre.

Dans un livre sorti aux Etats-Unis, on raconte que c’est vous en secret qui ­coachez Hillary Clinton pour la campagne de la présidentielle. Vrai ?
Totalement faux et ridicule ! Je suis très ami avec Bill et Hillary, mais je peux vous assurer qu’elle ne m’a jamais demandé de la coacher, pas plus que je ne lui ai proposé de le faire. Je ne le ferais que si elle avait l’intention de se lancer dans le cinéma, ce dont je doute, car je ne coache que mes acteurs devant la caméra.

Vous qui aimez tellement le cinéma, vous n’en avez pas assez des grosses machines hollywoodiennes ?
Les blockbusters existent depuis la naissance du cinéma. Quand une grosse machine débarque, c’est vrai qu’elle prend de l’oxygène à d’autres projets, mais il y aura toujours des jeunes cinéastes qui réaliseront des films pour vous faire réfléchir. Il y a de la place pour les deux.

Billy Wilder vous décrivait, vous et George Lucas, comme de grands enfants avec une barbe. A-t-il toujours raison ?
C’est très exactement comme ça que je me sens : un grand enfant avec une barbe ! Je déjeunais aujourd’hui même chez ­Martin Scorsese en compagnie de George Lucas. J’ai dit à Marty que, s’il se faisait pousser la barbe comme nous, on ne pourrait plus nous différencier que par nos films !

La légende veut que quand vous étiez plus jeunes avec George Lucas, pour savoir si un film allait marcher ou pas, vous faisiez des châteaux de sable sur la plage à Hawaii.
[Il rit.] C’est tout à fait vrai. Par superstition, on avait pris cette habitude avant chaque sortie. Si le château partait avec la première vague, ce serait un flop ; en revanche, s’il résistait, ce serait un énorme succès.
In Paris Match

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