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La France, ce pays que les djihadistes aiment haïr

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Durant toute la nuit du vendredi 13 au samedi 14 novembre, les sympathisants de l’état Islamique (EI) ont bruyamment célébré sur les réseaux sociaux le carnage perpétré dans les rues de Paris et de Saint-Denis sous le hashtag #Parisbrûle. C’est vers cette dernière pourtant que se tournent tous les regards au lendemain de l’attaque terroriste la plus meurtrière que la France ait jamais endurée. Parce que le mode opératoire rappelle la déjà sanglante équipée des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly, les auteurs de l’attaque contre Charlie Hebdo et le supermarché casher de la porte de Vincennes, au mois de janvier. Mais plus profondément, parce que la France, pour de multiples facteurs, qui tiennent à sa sociologie, ses valeurs et sa relation passée et présente au Proche-Orient, constitue une cible rêvée, quasi exemplaire, pour l’organisation djihadiste.

La raison la plus apparente tient à l’engagement de Paris dans la coalition anti-EI conduite par les états-Unis. Si la France ne s’est mise à bombarder les positions des extrémistes en Syrie que sur le tard, en septembre de cette année, elle fut l’un des premiers partenaires de l’offensive américaine, en décidant, dès septembre 2014, de bombarder des cibles en Irak. Le dispositif de cette double opération, baptisée « Chammal », comprend 700 militaires, avec 12 avions de chasse basés aux Emirats arabes unis et en Jordanie. L’Elysée a annoncé le doublement de ce potentiel, avec l’envoi dans le golfe Persique, le 18 novembre, du porte-avions Charles-de-Gaulle.

Politique anti-Assad intransigeante
L’engagement français comprend aussi une centaine de conseillers et des forces spéciales, qui sont déployées en Irak, auprès des peshmergas kurdes à Erbil et au sein de la sixième division d’infanterie à Bagdad. Vendredi 13 novembre, les Kurdes, appuyés par l’aviation américaine, ont d’ailleurs réussi à bouter les djihadistes hors de la ville de Sinjar, à l’ouest de Mossoul. Une victoire importante, susceptible de faciliter l’offensive attendue contre Rakka, la «capitale» syrienne de l’EI, mais que les tueries de Paris ont complètement éclipsée.
Au total, en un an, avec 280 frappes en Irak, la France a contribué à 4 % des bombardements de la coalition. L’essentiel de sa contribution consiste en des vols de reconnaissance. La priorité de l’état-major demeure l’engagement contre les « groupes armés terroristes » au Sahel, qui mobilise 3 500 soldats.
Mais l’extension à la Syrie du domaine d’intervention des Rafale et des Mirage français a radicalisé le face-à-face entre Paris et les djihadistes. Justifiée au nom de la «légitime défense», elle intègre une traque des recrues françaises de l’EI, qui menacent de revenir en France commettre des attentats. Comme l’a révélé Le Monde, le deuxième des trois raids anti-EI réalisés à ce jour par l’aviation tricolore en Syrie, dans la nuit du 8 au 9 octobre, contre un camp d’entraînement de Rakka, visait entre autres un ressortissant hexagonal. Très précisément, Salim Benghalem, un trentenaire de Cachan (Val-de-Marne) qui, aux dires des services de renseignement, officie comme «responsable de l’accueil des Français et des francophones au sein de l’état islamique».

Paris, gardien honni du «temple Sykes-Picot»
Paradoxalement, la France, pays le plus exposé en Europe à cette confrontation, est aussi, de toutes les puissances occidentales engagées au Proche-Orient, le plus prosunnite et le plus favorable à l’opposition syrienne. Si l’on en croit les témoignages des rescapés du Bataclan, les assaillants de la salle de spectacle parisienne ont justifié leur action par « ce que fait la France en Syrie ». Or depuis le début de la crise dans ce pays, en 2011, celle-ci n’a pas dévié d’une politique anti-Assad intransigeante. En sus de l’aide fournie aux rebelles et de son opposition, sur la scène diplomatique, à toute solution qui ne prévoirait pas une mise sur la touche du tyran syrien, Paris fut, en août 2013, le plus chaud partisan de frappes contre Damas, en représailles à l’attaque chimique menée quelques jours plus tôt contre la Ghouta, la banlieue de la capitale syrienne.
L’interdiction du voile intégral dans l’espace public nourrit un ressentiment fondateur chez les extrémistes
Si ce positionnement n’émeut pas l’organisation au drapeau noir, qui prétend pourtant défendre l’honneur sunnite face aux menées de l’Iran dans la région, c’est parce que Bachar Al-Assad est un adversaire négligeable – voire même utile, dans la mesure où il combat ses rivaux sunnites par rapport à son but ultime, la restauration d’un empire islamique perdu. Et à ce titre, la France fait encore une fois figure d’ennemi privilégié. Dans la logorrhée djihadiste, Paris est le gardien honni du «temple Sykes-Picot». Cet accord secret, signé en 1916, a acté le démantèlement de l’empire ottoman et le partage de ses dépouilles entre Paris et Londres, sous la forme d’états aux frontières arbitrairement dessinées. En tant qu’ancienne puissance coloniale, défenseur de l’intégrité du Liban, un état créé, là encore, par ses soins, en soutien aux minorités chrétiennes du Levant, et allié de l’état d’Israël, la France est ce pays que les djihadistes aiment haïr, presque autant que les Etats-Unis.
à cela s’ajoute un ensemble de valeurs, au premier rang desquelles la laïcité, qui heurte de front le credo des extrémistes. Pour beaucoup d’entre eux, l’interdiction du voile islamique intégral dans l’espace public nourrit un ressentiment fondateur, qui a conditionné leur relation à la France. La présence, au sein de sa population, d’une importante communauté musulmane constitue un ultime aimant pour les djihadistes. Le sentiment de relégation sociale qu’éprouve une partie de ses membres leur offre une porte d’entrée rêvée, un terreau potentiellement fertile. Comme en Irak et au Liban, où il vise principalement les chiites, pour les dresser contre les sunnites, l’état islamique joue, avec un plaisir pervers, sur les fractures sociales et identitaires françaises.

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