Le bras de fer engagé entre les médecins résidents et le ministère de la Santé n’est pas près de connaître son épilogue. Alors que la grève la plus longue et la plus suivie menée par le CAMRA est à son 6e mois, Mokhtar Hasbellaoui, ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, affirme ne pas être «prêt» à s’asseoir avec les grévistes s’ils n’arrêtent pas tout d’abord leur débrayage. Dans un entretien exclusif diffusé, mercredi à la télévision publique, le professeur Hasbellaoui a révélé l’existence de divergences entre lui et les résidents, notamment sur les questions de fond à la base de leurs revendications. Il a affirmé qu’il ne comprenait pas la grève des résidents alors que le gouvernement «a fait des concessions» en direction du CAMRA. Il a cité l’exemple de la mesure portant regroupement familial accordé aux médecins exerçant dans des zones éloignées de leur lieu de résidence. Hasbellaoui a affirmé encore qu’il ne voyait aucune raison qui motiverait le maintien de la grève de la part des blouses blanches. «Je profite pour lancer un appel à ces médecins. Premièrement, nous sommes en plein mois de piété et de miséricorde. Dès lors, il ne faut pas laisser le malade sans soins. Deuxièmement, on est à la fin de l’année, donc il faut arrêter le boycott et regagner les bancs des salles d’examens. Cela va de leur (résidents, ndlr) avenir et de leur devenir», a indiqué le ministre. «Donc, pas de spectre d’une année blanche ?», interroge l’interviewé. «Non. Il ne peut pas y avoir d’année blanche. Une année blanche c’est seulement quand les enseignants font la grève et boycottent les cours. Or, ce n’est pas le cas », a-t-il justifié. «Y’a-t-il un plan pour récupérer les retards dans les cursus après près de 6 mois de retards ?». Là, le ministre préfère mettre ce souci sur le dos de son collègue de l’Enseignement supérieur. «Le volet pédagogique est du ressort du ministère de l’Enseignement supérieur. Nous, on n’a pas à interférer dans leur travail», a-t-il dégagé sa responsabilité. Après avoir annoncé l’arrêt définitif des soins d’urgences pour protester contre le gel de leurs salaires, les médecins résidents ont tenté d’organiser une marche, mardi, à l’hôpital Mustapha-Pacha d’Alger. Les forces de l’ordre les ont empêchés de sortir de l’enceinte de l’hôpital. Pour le ministre de la Santé, arrêter les soins aux urgences n’est «pas acceptable». « Cela n’est arrivé nulle part dans le monde. Ailleurs, quand on fait grève, on continue à travailler mais avec des bandeaux autour des bras pour montrer qu’on est en grève. Je parle en tant que médecin. On n’a pas le droit de refuser des soins à un patient. Et, encore plus, quand le patient est dans les urgences», a critiqué le ministre comme pour rappeler à l’ordre les grévistes. Par contre, il réaffirme que le gouvernement est déterminé à « maintenir les portes de dialogue ouvertes » et cela dans « la concertation et le dialogue ». « Soigner et sauver des vies c’est tout ce qu’il y’a de plus noble au monde. Certes, des solutions existent. Mais je n’ai pas le cœur pour aller négocier avec des médecins qui refusent de soigner des patients. Quand on arrête la grève, alors il y aurait des solutions», a conditionné Hasbellaoui toute reprise de dialogue avec les blouses blanches.
Les infrastructures de santé «incessibles»
Abordant le projet de loi sur la Santé, le ministre a défendu les nouvelles réformes introduites dans le texte. Objet de plusieurs objections depuis l’ère du ministre Boudiaf, les critiques de la loi sur la Santé focalisent sur la problématique posée au principe de gratuité des soins, dont on craint d’aller vers une privatisation du secteur public. «Sur instructions du président de la République, la gratuité des soins ne sera pas touchée. Il n’y a pas de retour là-dessus», a rassuré encore une fois le ministre, qui tient cependant à clarifier les articles sources d’appréhensions sur ce principe constitutionnel.
Ainsi, à en croire ses assurances, l’établissement de soins public pourrait uniquement demander des frais dans des cas bien spécieux. Cela concerne la possibilité d’exiger au patient de contribuer aux frais, qui ne sont pas basiques ni élémentaires. Par exemple, c’est le cas pour la chirurgie esthétique et plastique. «Ceci pour faire comprendre au citoyen que les soins ont un prix et lui faire sentir les efforts consentis», explique le ministre. Sur la privatisation, le ministre estime que les infrastructures de soins resteront toujours des propriétés de l’État. « Il n’est pas question de privatisation. Il s’agit uniquement d’un changement d’appellation et d’un cadre réglementaire adéquat. Dans la nouvelle loi, on parle de gestion autonome. Ce qui ne veut pas dire privatisation», éclaircit Hasbellaoui. Selon ses dires, les Établissements publics de santé (EPA) resteront des biens de l’État et seront toujours financés par l’État. Dans le nouveau règlement, les EPS deviendront ESGS (Établissement de santé à gestion spécifique). Derrière le nom : nouveau mode de fonctionnement pour « rationaliser et optimiser » les moyens financiers. Le nouveau statut prévoit également de nouvelles prérogatives pour les directeurs des ESGS. « Avant, pour procéder à une opération administrative, il fallait passer par de multiples procédures, souvent, bureaucratiques et très lentes, afin que le contrôleur comptable donne son approbation. Par exemple, quand le directeur veut faire la maintenance ou acquérir un nouveau scanner. Il y’a des cas d’urgence qui ne peuvent pas attendre. Cela soulagera et l’équipe médicale et les patients», explique le ministre. Autre enjeu : «instaurer plus de compétitivité entre chefs d’établissements». «Aujourd’hui, pour financer les soins, on a pas uniquement la CNAS. Nous avons d’autres caisses d’assurances privées, qui pour certaines ont jusqu’à 10 000 travailleurs couverts. Donc, l’enjeu est d’accompagner par le biais de la loi et permettre de conclure des conventions. Avant, le gestionnaire attend tout simplement que le budget arrive. Maintenant il peut procéder à des collectes de fonds chez les autorités de wilayas et APC et également de privés pour financer les projets internes », explique le ministre. À propos de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur la santé, le ministre a indiqué qu’elle est actuellement «en examen au Conseil de la nation». «Hier (mardi passé), j’étais invité au débat de la commission de santé du Conseil. Et, dans quelques jours, on verra son adoption», a-t-il répondu à la question. D’autre part, le ministre a précisé que la nouvelle loi sanitaire, une fois promulguée, ne sera pas forcement opérationnelle à 100 %. En d’autres termes, une période de transition de deux ans est prévue avant sa mise en œuvre dans la totale. «Cela nécessite des textes d’application et réglementaires pour certaines activités», explique, ce qu’il reste encore à faire après, le ministre.
Hamid Mecheri