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DISPARITION : Smaïn Hini, un maitre de la musique classique algérienne

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Le chef d’orchestre, compositeur et maître de la musique andalouse Smaïn Hini, qui a formé des générations de musiciens et interprètes, est décédé jeudi à Alger à l’âge de 76 ans, a indiqué sa famille.

Par Ali El Hadj Tahar

Né le 17 avril 1946 à la Casbah d’Alger, Smaïn Hini est issu d’un terroir d’artistes puisqu’il a pour tante paternelle Djida, la grande chanteuse kabyle. Un autre membre de sa famille était un «idebalen» (percussionniste) renommé. C’est dans un modeste appartement située près du mausolée du saint protecteur de la ville d’Alger Sidi Abderahmane, dans le quartier de la Rampe Louni Arezki (ex- Rampe Valée), qu’il a vécu, avec comme voisin le chanteur chaabi Amar Ezzahi. Il a, dit-il, « animé des concerts pour la plupart des président algériens et aussi pour des ministres et d’autres hauts représentants de l’Etat mais je ne me suis jamais permis de demander quoi ce soit pour mes intérêts personnels. C’est une question de dignité et d’éducation. D’autres l’ont fait, mais moi je préfère préserver ma fierté car un artiste ne quémande pas.» En 1964 il a été inscrit au Conservatoire municipal d’Alger qui avait 3 classes, le primaire Abdelkrim Dali, la classe moyenne était tenue par Abderrahmane Belhocine et la 3e classe, tenue par Abderrezak Fakhardji, celui que Hini appelle « le maitre des maitres ». Il a aussi beaucoup appris de Boudjemaa Ferguene dans ce conservatoire où il perpétuera à son tour l’enseignement du patrimoine musical national.mais c’est à Ferguane qu’il doit son amour pour le qanoun et la cithare. En vérité Boudjemaa Ferguene a formé trois élèves devenus virtuoses devenus et à leur tour professeurs : Lakehal Belhaddad, Hamai Mabrouk et Hini. En tant qu’enseignant, Hini restera 13 années au Conservatoire et ne le quittera qu’après le départ de Bachtarzi, en 1974, lorsque le nouveau directeur, le Dr Benatia, en change l’orientation et lui donne un programme basé sur la seule musique classique occidentale. Or, auparavant, le conservatoire était spécialisé dans l’andalou, l’aroubi, le haouzi, le medh. Sans être opposé à Mozart, Wagner ou Beethoven, Hini ne supporta pas que la musique classique nationale fut carrément éjectée du cursus. Craignant le danger de l’extinction de la musique andalouse du fait d’absence de formation, il se décourage durant quelques années avant de s’engager dans la création d’associations musicales aux fins de perpétuer cet immense patrimoine. Il faut savoir que c’est un journaliste dynamique, Abdelhakim Meziani, qui est derrière cette initiative qui va bouleverser l’échiquier national en matière de musique andalouse : alors que les formations dans ce genre se comptaient sur les doigts d’une seule main, que le savoir était monopolisé et que les concerts se déroulaient dans des cercles restreints, quasi-familiaux, la création, en 1981, de l’Association Artistique Culturelle Musicale El Fekhardjia va bouleverser la donne et créer une dynamique nouvelle. En effet, Abdelhakim Meziani, aux côtés de Hini, d’Abdelwahab Nefil et de Bachir Mazouni, va créer l’association qui ne tardera pas à devenir célèbre er à rayonner sur tout le territoire nationale en diffusant largement la musique andalouse et la popularisant. Cette association, écrit Meziani, « allait faire voler en éclats le confusionnisme savamment et pernicieusement entretenu entre bourgeoisisme et citadinité, permettre au peuple d’Alger d’accéder au concert de musique jusque-là de la seule compétence de cercles restreints et, chose importante aussi, d’amener le mouvement associatif national dédié à ce patrimoine à lutter contre le régionalisme et les querelles de chapelles musicales. » Meziani était alors responsable de la Fédération algérienne des ciné-clubs et toute la flamme associative qui l’animait qu’il a mise dans la valorisation de la musique algérienne, permettant alors à celle-ci de se décomplexer par rapport aux maîtres et de connaitre une plus large diffusion. Meziani témoigne que Hini a animé avec brio l’association El Fekhardjia et à la formation de ses élèves, comme à ceux des associations qu’il a créées ultérieurement, à l’image d’Es Sandoussia, créée en 1986, et de l’Inchirah, en 1997.

De musicien pour Kateb Yacine à fondateur d’associations
Après avoir quitté le Conservatoire, Hini se détourne quelque peu de la musique andalouse. D’ailleurs, déjà en 1971, il est membre de la troupe théâtrale de Kateb Yacine, l’Action culturelle des travailleurs (ACT). C’est à lui qu’on doit la musique de la pièce Mohamed prends ta valise, de Palestine trahie et de Guerre de deux mille ans. Avec Yacine et sa troupe de bourlingueurs, Hini a sillonné le territoire national et la France. Après Yacine, c’est Slimane Benaïssa qui lui fera appel au sein de la troupe culturelle de la Sonelec. Dynamique et éclectique à la fois, Hini aime tous les genres musicaux du pays. Il est d’ailleurs membre fondateur et membre du jury du premier Festival des ensembles vocaux de Sétif. Dans les années 1980, Hini se réconcilie avec la musique andalouse, grâce à l’association El Fekhardjia ; et sa fidélité à ce patrimoine en fera un maître et un chef d’orchestre respecté à l’échelle nationale. D’ailleurs, ce qui faisait, pour ses élèves, de ce personnage coloré mais modeste un maitre d’autant plus précieux c’est que certaines noubas étaient de lui seul connues et ce, dans le répertoire Sica, zidane… Hini, qui partageait son savoir sans égoïsme, est aussi un compositeur puisqu’en 1994, il a créé une nouvelle nouba en collaboration avec le compositeur français Michel Montanaro et en 1995, il a composé la première « nouba magrébine ». C’est en 1997 que l’association « El Inchirah » d’Alger voit le jour, après la rupture de Hini avec l’Association El Soundoussia. Il se consacre alors aux élèves de sa nouvelle société musicale, également en qualité de chef d’orchestre et en assurant la direction des répétitions pendant de longues années. En 1998, Hini, qui ne ménage aucun effort pour porter haut le patrimoine national, participe à la création du premier orchestre féminin de musique arabo-andalouse. Il se battra aussi bec et ongle pour que ce patrimoine devienne une musique nationale, et soit surtout déclaré patrimoine mondiale de l’humanité répertorié par l’Algérie. Cet appel ne sera entendu par aucun ministre ni par aucun responsable de la direction du patrimoine, soucieuse uniquement de réaliser des études de restauration de ksours et autres mosquées, sans avoir les moyens de concrétiser lesdites restaurations sur le terrain. Ajoutons : pourquoi les autorités ne constituent-elles pas également un dossier pour que le chaabi, le bedoui et d’autres musiques et danses nationales deviennent des patrimoines de l’humanité ?
Hini est l’initiateur de trois albums qui ont été édités en 2010. Les deux premiers sont enregistrés avec l’association El Inchirah d’Alger, dont il est également le chef d’orchestre. Il s’agit d’un coffret de 2 CD d’anthologie de la musique classique algérienne en hommage à M’hamed Sfindja et le deuxième album est l’enregistrement du concert de la veillée du Mouloud 2010. Durant la période du terrorisme, il a préféré rester dans son pays, mais, dit-il : «Ce qui me fait mal au cœur aujourd’hui c’est que ce sont ceux qui sont partis pendant les moments difficiles que traversait le pays et qui sont revenus une fois que les choses se sont calmées qui récoltent les lauriers de la gloire.» Il est aussi déçu d’avoir été éjecté, en tout cas d’avoir été amené à démissionner de l’association El Soundoussia, mais la création de l’Association El Inchirah a permis de dépasser la déception qu’il a vécue avec ses pairs. Actuellement, l’association compte plus de 35 éléments dans la classe supérieure. Ce fonceur qui met la musique andalouse au-dessus de tout, quitte à sacrifier amis et privilèges, a aussi été un maitre pour ses filles, notamment Hasna qui a édité en 2010 son premier album hawzi, et intitulé De notre patrimoine édité chez Belda diffusion. Trois autres filles, Kahina, Narimane et Yasmine, sont également musiciennes. À elle-seule, la famille Hini est donc devenue un orchestre pour s’assurer que le flambeau reste toujours allumé. C’est au Bastion 23, face à la mer, dans un petit local que Smaïn Hini a continué à assurer le perfectionnement et la formation des membres d’une association pourtant célèbre. Le seul et unique hommage que l’Etat puisse rendre à Hini est de donner un vrai local à cette formation qui perpétue notre patrimoine.
A.E.T.

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