Dans «Chappie», la star américaine incarne une marchande d’armes qui veut détruire un robot aux sentiments trop humains. Un nouveau bond dans la science-fiction pour une comédienne dont les choix ont toujours été dictés par l’audace. Elle pourrait être intimidante lorsqu’elle vous toise du haut de son mètre quatre-vingt-deux, enroulée dans son blouson de cuir noir. Mais son exquise courtoisie rappelle que Sigourney Weaver a été élevée dans le moule Wasp (White Anglo-Saxon Protestant) où, à l’âge de 14 ans, elle troque le prénom de Susan pour celui plus chic de Sigourney, pioché dans «Gatsby le Magnifique». Comédienne de théâtre, elle sera formée à Yale, où ses profs l’ignorent tandis que sa camarade Meryl Streep rafle tous les prix. Son physique «king size» ne correspondant pas au fantasme hollywoodien, elle se résigne aux petits rôles off Broadway avant de faire une entrée tardive au cinéma. De tous ses rôles – «L’année de tous les dangers», «Working Girl», «Gorilles dans la brume», «The Ice Storm»…–, on retiendra celui d’Ellen Ripley, combattant l’Alien en quatre volets, avec une folle bravoure et un discours émancipateur. Ce personnage unique a fait d’elle l’icône des féministes. Belle comme une femme qui n’a jamais confondu son identité avec son apparence, à 65 ans, elle poursuit sa route, sans Oscars et sans Botox.
Qu’est-ce qui vous ramène si régulièrement à la science-fiction ?
C’est un genre qui, plus qu’un autre, a une portée philosophique à travers ses interrogations sur notre place dans le monde et le cosmos. Dans “Chappie”, je joue un P-DG à la tête d’une grosse société d’armement… alors que sur mon bureau il n’y a que des photos de chiens ! Le contraste m’amusait et je n’avais pas joué ce genre de rôle depuis “Working Girl”. Neill Blomkamp, le réalisateur de “Chappie”, sera aussi celui d’“Alien 5”.
Ferez-vous partie de l’aventure ?
Il est difficile d’imaginer que je n’en fasse pas partie. J’aimerais beaucoup que cette saga, commencée il y a plus de trente-cinq ans, s’achève sur une note plus optimiste que l’abandon de Ripley flottant dans l’espace. Cela a un goût d’inachevé.
Ripley a changé la perception des femmes à l’écran. Mais est-ce qu’elle vous a changée ?
Elle est très différente de moi qui hurle dès que j’aperçois une araignée?! Je me suis inspirée d’une amie qui est incapable de se projeter dans l’avenir et vit dans un présent très concret. Mais Ripley est en chacun de nous. Je ne pensais plus à elle depuis longtemps quand Neill Blomkamp m’a approchée… et j’ai pensé : “Bien sûr ! Neill et moi étions faits pour nous rencontrer !” Mais je crois qu’il n’était même pas né quand j’ai tourné le premier épisode !
“La jeune fille et la mort”, de Roman Polanski a été un tournant dans ma carrière »
Le soir des Oscars, Patricia Arquette a demandé l’égalité des droits pour les femmes. C’est un sujet qui vous touche ?
Bien sûr. A Hollywood, nous sommes tous probablement trop payés, mais il est temps de faire face à la discrimination, et je suis ravie que Patricia Arquette ait mis les pieds dans le plat. On nous dit que ce sont les hommes qui amènent le public au cinéma, mais ce n’est pas vrai. Les femmes veulent voir leurs “sœurs” à l’écran.
Si vous aviez été un homme, votre cachet de 11 millions de dollars pour “Alien 4” aurait-il créé la même polémique ?
J’aurais touché beaucoup plus ! Le moment des négociations est toujours très démoralisant pour les femmes, et nous devrions être unies pour faire front. Les studios adoreraient nous remplacer par des robots ou des clones plus obéissants…
Pendant longtemps, Hollywood ne savait pas quoi faire de vous. Est-ce toujours le cas ?
C’est une question déprimante, j’essaie de ne pas y penser. Mais je ne suis pas mécontente que leur manque d’imagination m’évite de tourner des choses trop banales et me fasse rencontrer les réalisateurs les moins conventionnels.
Vous êtes abonnée aux personnages de battante. Auriez-vous aimé jouer plus souvent des femmes fragiles ?
Mais les femmes que je joue sont fragiles, timbrées, mal dans leur peau et très seules… sous un extérieur fort. Exactement comme moi?! J’essaie de faire croire que je contrôle tout, alors que je pédale dans la semoule.
Quel est le rôle qui vous a le plus enrichie sur le plan personnel ?
“La jeune fille et la mort”, de Roman Polanski. C’était la première fois qu’un réalisateur prenait le risque de me confier un rôle aussi dramatique. Ça a été un tournant dans ma carrière. Depuis, j’en ai fini de m’angoisser pour savoir si je serais capable de faire ceci ou cela.
Votre mère était actrice [on l’aperçoit dans “Les 39 marches” d’Alfred Hitchcock], tandis que votre père était président de NBC. Vous aviez le showbiz dans le sang ?
Ma mère était très discrète. Je l’adorais, je l’admirais, mais je ne la connaissais pas. C’est après sa disparition que j’ai trouvé dans ses affaires des scénarios et des traces de sa carrière. Elle avait abandonné son métier pour épouser mon père, et c’était trop douloureux d’en parler. Même quand je suis devenue actrice, elle ne m’a jamais fait de confidences sur son expérience. Mon père, en revanche, parlait souvent de son travail : il avait créé des talk-shows comme le “Today Show” et le “Tonight Show”. Il fréquentait des personnalités du show-business qui adoraient s’amuser. C’est la générosité de ce monde, la joie de vivre de ces personnages qui m’ont donné envie de faire partie de cette communauté.
« C’est la haine du système qui m’a fait résister »
Pourtant, à l’université, on vous disait que vous étiez disgracieuse, que vous ne réussiriez jamais. Qu’est-ce qui vous a donné la force de vous accrocher ?
La hargne et la rancune ! J’étais très en colère d’avoir payé pour recevoir des leçons de ces profs suffisants. Ils nous disaient des choses horribles : “Tu devrais divorcer, tu devrais voir un psy…” C’était injuste et cruel. A Yale, je faisais partie d’une classe de dix-huit étudiants ; et, à la fin de l’année, ils en ont viré dix. Mais après avoir sélectionné un étudiant sur mille, ils n’avaient pas le droit de nous détruire en passant l’année à nous dire que nous n’avions aucun talent ! C’est la haine du système qui m’a fait résister.
Etiez-vous ambitieuse ?
J’avais l’ambition de leur prouver qu’ils avaient tort ! C’est vrai que je n’étais pas très gracieuse, avec de longues jambes d’araignée et une corde autour de la taille en guise de ceinture. Ils voulaient que je me comporte avec la dignité d’une actrice de premier plan. Mais même aujourd’hui je reste une comédienne immature et un peu fofolle. D’ailleurs, James Cameron, qui me connaît bien, m’a écrit un rôle sur mesure dans les trois suites d’“Avatar”.
Aujourd’hui, beaucoup d’actrices sont grandes. Vous vous êtes finalement habituée à votre taille ?
Il arrive encore que j’entre dans une pièce où aucun homme ne se lève… ainsi que l’avait fait Al Pacino quand je suis venue au casting de “Scarface”. Pourtant, la grandeur de son talent ne se mesure pas en centimètres…
Le mariage et la maternité vous ont-ils équilibrée ?
Ma famille est mon plus grand bonheur. En tant que metteur en scène de théâtre, Jim [Simpson, épousé en 1985] est un artiste qui comprend ma situation, parfois compliquée, et il m’encourage. Ma fille Charlotte, en revanche, qui a 24 ans, est furieuse lorsque je fais preuve d’insécurité et me pousse dans mes derniers retranchements. Je ne peux pas m’imaginer dans ce business, avec ses hauts et ses bas, sans la consolation d’avoir un boulot vraiment important à faire en tant qu’épouse, mère et femme d’intérieur.
Est-ce que vous avez des regrets ?
Je regrette de n’avoir pas saisi toutes les occasions qui m’ont été offertes. J’aurais appris plus vite. J’étais intellectuellement snob. Persuadée que mes choix me définissaient. Et je me prenais un peu au sérieux. Aujourd’hui, j’en rigole, mais je ne peux toujours pas m’empêcher d’être sincère et honnête. Je ne ferais pas un film que je ne respecte pas !
In Paris Match