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Protestations contre le gaz de schiste : une journée de marche à In Salah

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Après un périple de quelque 700 kilomètres, depuis la ville de Tamanrasset jusqu’à In Salah, nous arrivons à destination. L’heure affiche 3h15. Un froid glacial sévit dans cette cité gazière, de par notamment sa vocation. D’emblée, un voyageur nous accompagnant de quelques pas, fait part de son sentiment immédiat, «tout est fermé à In Salah, institutions publiques et magasins de commerce. La ville est déclarée morte depuis le déclenchement des manifestations… Ahnet, où l’exploration du gaz de schiste se poursuit, se situe à environ 25 km d’ici», a-t-il affirmé, comme pour nous informer de la situation qui prévaut dans cette région. Un taxieur qui nous conduit jusqu’à l’hôtel « Tidikelt » du centre-ville, portant le nom de cette contrée, partage le même avis. Sur place, des éléments de la Sureté nationale patrouillent dans les parages. Ils nous indiquent que l’établissement hôtelier est réquisitionné par le wali de Tamanrasset. Ils ne nous empêchent pas pour autant d’y accéder. À la réception, pas âme qui vive, ni même le personnel d’accueil d’ailleurs, du moins à cette heure du matin. L’atmosphère est plutôt paisible à l’intérieur, un calme olympien y règne. C’est aussi le cas à l’extérieur. Néanmoins, c’est trop tôt pour le dire, il faudra attendre la levée du jour pour se fixer une idée. Aujourd’hui, lundi, une énième marche de protestation anti-gaz de schiste est annoncée au chef-lieu de daïra de In Salah. Vers 7 heures du matin, un premier contact s’établit avec un représentant des manifestants. Il indique le lieu où devra être entamée l’action de protestation. Il s’agit de la «place de la mobilisation», telle que la dénomme, désormais, les résistants du sud. Une fois sur les lieux, il est peu probable de croire que les gens du Sud puissent revenir sur leur engagement à rejeter le gaz de schiste. De loin, l’on aperçoit les premiers citoyens affluer vers les lieux afin de rejoindre leurs compères. Nombre de ces derniers ont passé la nuit à l’intérieur des tentes, érigées à l’effet de maintenir la mobilisation sur ce lieu symbolisant leur combat. Pour rester de mise, des citoyens bienfaiteurs se mettent chacun avec les moyens dont il dispose, à approvisionner les tentes en denrées alimentaires.

Le refus d’obtempérer
À une heure avant l’échéance, la placette est pleine de monde. Des habitants, tous âges confondus, fusent des quatre horizons pour être du rendez-vous. Certains se sont accroupis à raz le sable et se constituent en petits groupes, pendant que d’autres se tiennent debout. Même la gent féminine se met de la partie. Un fait pour le moins inédit dans les traditions de la femme du sud, depuis l’indépendance du pays. Cela renseigne sur les appréhensions de la population quant aux retombées néfastes que pourrait engendrer l’exploitation du gaz de schiste sur la santé et l’environnement. Si par ailleurs elles ne prennent pas part aux marches de protestation, des dizaines d’entre elles observent leur sit-in quotidien, en occupant l’entrée du siège de la daïra, pour rejoindre les voix de toute une population. Assis autour d’un feu de bois en se réchauffant, et sirotant un thé, comme le veut la tradition des habitants du Sud, les protestataires se mettent à discuter du seul sujet qui les préoccupe, le gaz de schiste. Ils livrent leurs impressions à ce propos. «Cela fait 26 jours d’affilée que je suis cantonné ici. Je ne suis pas rentré chez moi depuis le début de la première manifestation. Je dors et je mange à l’intérieur de cette tente. La raison ? Je maintiens la lutte avec mes confrères, pour faire aboutir notre revendication. Je n’ai pas la conscience tranquille pour rester cloitré à la maison, pendant que les miens tentent tant bien que mal de lutter contre l’exploitation du gaz non conventionnel», confie Mohamed, jeune de 20 ans, et d’ajouter qu’il tient son argument du fait que les scientifiques sont formels, s’agissant des maladies résultant des eaux polluées, produit de la technique dite de fracturation. «Veut-on par là reproduire l’affaire Reggan?, s’interroge-t-il, pour décrire les craintes des habitants de contracter des pathologies à l’avenir, si tel projet venait à être maintenu. Son ami Messaoud, la quarantaine, se joint à la discussion.
«Même le bébé qui est encore dans le ventre de sa mère lance un cri pour dénoncer cet état de fait», pour signifier, lui encore, que la lutte concernera même les générations futures, semble-t-il dire. Certaines des personnes interrogées choisissent, quant à elles, de critiquer les déclarations de membres de gouvernement. Chacun des responsables a eu droit de réponse. Pour reprendre l’un d’entre eux, Said assure que geler le projet momentanément, pour qu’il soit relancé 2022, comme l’aissé entendre le premier ministre, n’est pas du tout une réponse satisfaisante, tant ajoute-t-il, « nous voulons l’arrêt de toute exploitation du gaz non conventionnel, où que le projet soit implanté». Un étudiant faisant partie des manifestants va plus loin pour dire que les intentions du gouvernement de recourir au gaz de schiste, dans le but de maintenir le seuil de production en la matière, ne justifie pas cette décision. Pour notre interlocuteur, l’économie devra être orientée vers d’autres secteurs d’activités, telle que l’agriculture qu’il faudra relancer au sud du pays, entre autres. Au sujet du lieu d’implantation des deux forages expérimentaux, Said affirme qu’ils se situent au lieudit «Gour Mahmoud», contrairement à ce que dit le gouvernement, qui parle d’Ahnet. Il précise également qu’Ahnet est à environ 200 km de In Salah.

Marche imposante
Sur la « place de la mobilisation », les manifestants restent planqués là, en attendant l’arrivée d’autres habitants. Les moyens de mobilisation sont divers. Outre les dizaines de pancartes suspendues ça et là, des appels à l’action sont effectuées au travers d’une sonorisation. Avant l’entame de la marche, des militants politiques du FLN ont pris la parole pour encenser les déclarations des responsables du gouvernement, pour faire passer le projet du gaz de schiste auprès des populations du sud du pays. Ils appuient leur argument en exhibant une liste de cadres de la région qui auraient accepté l’exploitation du gaz de schiste. Ceci n’est pas un hasard, sachant que les récentes déclarations du chef de ce parti, Amar Saâdani, visent à influer sur le cours des choses. Néanmoins, ils semblent ne pas prêter attention au discours. À 10heures, comme cela a été prévu, des milliers de marcheurs ont pris part à cette action de protestation, comme ils ont l’habitude de le faire presque chaque jour. Ainsi, cette manifestation a démarré du siège de la daïra pour sillonner les artères principales de la ville de In Salah. Que ce soit à travers les banderoles brandies ou bien les slogans entonnés, les citoyens revendiquent «l’arrêt pur et simple du gaz de schiste». Durant cette action, la ville n’a connu aucune activité commerciale ou relevant du service public. En effet, toutes les institutions étatiques ont baissé rideau. Les boutiques et commerces ont également observé une grève ou les propriétaires ont rejoint les rangs des marcheurs. Hormis les femmes qui se sont cantonnées devant le siège de la daïra, la population dans ses diverses catégories d’âges a pris part à cette démonstration de force, qui vise à rejeter, encore une fois, l’exploitation du gaz non conventionnel, en expérimentation dans le sud. La foule crie à gorge déployée, tantôt pour dénoncer, tantôt pour entonner des chansons à la gloire de leur cause. «Samidoune, samidoune, lil ghaz el-sakhri rafidhoune », ou «Nous sommes mobilisés contre le gaz de schiste», semble le plus répandu des slogans répétés tout au long de l’itinéraire de cette manifestation. Quelques éléments de la sureté urbaine ont été déployés autour des manifestants, pour encadrer cette action qui n’a enregistré aucun incident depuis le début jusqu’à sa fin. Des automobilistes qui roulent en direction des marcheurs, ont été invité à rebrousser chemin, pour libérer la voie aux protestataires. Retour à la « place de la mobilisation ». L’action de protestation s’est terminée par une prise de parole, où un représentant des protestataires souligne que « c’est la seule réponse devant la sourde oreille des responsables qui nous méprisent et nous ne nous accordent aucune considération», conclue-t-il. À l’heure où nous mettons sous presse, les protestataires restent mobilisés sur les lieux.

Quel interlocuteur ?
Nombre de jeunes contestataires soulèvent le problème du fossé, qui se creuse de plus en plus entre la population du Sud et le gouvernement. Ils indiquent qu’ils ne savent pas à quel saint se vouer, d’autant que plusieurs hauts responsables s’adonnent à une multitude de discours, dont la teneur ne vise qu’étouffer leurs revendications, en tentant de leur forcer la main, afin d’imposer le projet d’exploitation du gaz de schiste. Ils nous indiquent qu’au lieu d’écouter et d’engager des pourparlers sincères avec eux, le gouvernement tergiverse devant leurs revendications, jugées pourtant « légitimes ». En effet, pour la population de In Salah notamment, ni les déclarations de Sellal, ni encore celles de Hamel et Youcefi qui se sont déplacés sur les lieux, n’ont apporté des réponses, à même de les éclairer sur cette question. Pis ecore, indique-t-elle, elle ne sait désormais à quel responsable se fier et quel discours croire, tant « les déclarations se suivent et se contredisent », pour reprendre l’avis d’un jeune habitant de cette ville du sud. À défaut d’une réponse allant dans le sens du dénouement de la crise, la population du Sud semble n’accorder sa confiance à aucun responsable du gouvernement.

De notre envoyé spécial Farid Guellil

 

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