Comme annoncé, le procès de l’affaire de corruption, dite Sonatrach I, a été ouvert, hier 15 mars, au niveau du tribunal criminel près la Cour d’Alger. Après l’entame de la séance à 10 heures, les 19 personnes accusées dans cette affaire ont été appelées à comparaître devant la barre, dans l’après-midi, à 15h 30mn. En dépit des tentatives du collectif d’avocats de la défense qui a formulé une demande de report de l’affaire, prétextant que les conditions de sa tenue ne sont pas réunies, le président de la séance, Mohammed Reggad, après concertation, a rejeté la requête et a maintenu l’examen de l’affaire. Avant son ouverture, un premier couac a émaillé quelque peu le déroulement de ce procès. En effet, Me Mohsen Lamara, prétendu avocat de l’ex-P-DG de Sonatrach, Mohamed Meziane, et ses deux fils, a été interdit d’accès. Il a fallu suspendre la séance pour la reprendre peu après concertation, où le juge a prononcé que l’avocat présumé de la défense est «hors-la-loi», du fait qu’il est radié de l’Ordre du bâtonnat. Plus encore, celui-ci sera poursuivi pour avoir usé de la force contre les agents de sécurité, pour entrer dans le tribunal. En effet, après avoir été empêché d’entrer depuis le portail du tribunal, Me Mohsen a fini par user de ses mains, pour avoir accès au tribunal. En dépit d’en appeler, depuis l’extérieur de la salle d’audience, au président de la séance de le laisser y accéder, ce dernier l’a interdit d’entrer. En plus de Mohamed Meziane, ses deux fils, Bachir-Fawzi et Mohamed-Réda, huit anciens directeurs exécutifs de cette compagnie et quatre entreprises étrangères sont impliqués et accusés de plusieurs chefs d’inculpation liés, selon l’arrêt de renvoi, à l’attribution frauduleuse de cinq (5) marchés publics, d’une valeur de 1 100 milliards de centimes. Sept personnes sont en détention, parmi ces prévenus, sur lesquels pèsent plusieurs griefs, s’articulant autour de : constitution d’association de malfaiteurs, passation frauduleuse de marchés au profit d’entreprises étrangères, blanchiment d’argent, détournement de biens publics, corruption etc. Vue l’étendue de cette affaire de corruption, sans doute la plus grosse en la matière dans les annales de la Justice algérienne, puisqu’elle touche un niveau élevé de responsabilité, plusieurs hauts responsables ont pris part au procès. L’on a constaté la présence de Saïd Sahnoune, actuel P-DG de Sonatrach, les représentants diplomatiques de l’Allemagne et de l’Italie, ainsi que ceux des entreprises mises en cause dans cette affaire. Après l’ouverture du procès par le juge Mohamed Reggad, un représentant du Trésor public a demandé de se constituer partie civile, en estimant que les conséquences de l’affaire ont engendré des pertes à la Trésorerie de l’État. «Le capital de Sonatrach est en partie financé par l’Etat algérien», a-t-il soutenu. C’est ce qui a surpris le collectif de la défense, qui n’a pas hésité à demander au président de la séance de rejeter cette requête. «Sonatrach est une entreprise à caractère industriel et commercial, et ce, depuis 2010. Son capital est ouvert aux actionnaires», a-t-on répliqué, avant que l’avocat Miloud Brahimi ne s’indigne pour ajouter à son tour: «Ce n’est pas sérieux, c’est honteux de demander de se constituer partie civile, cinq ans après. D’autant que l’on ne sait encore s’il y a perte ou pas», a-t-il fait entendre. À signaler que l’entreprise Sonatrach, elle-même, qui est représentée par Me Sellini en tant que partie civile depuis 2010, est présente à ce procès. Pour Sadak Chaïb, avocat auprès de la Cour suprême, Sonatrach a le droit de se constituer, mais pas le Trésor, en réitérant le caractère juridique de cette compagnie. Sollicité en marge de cette séance, il soutient encore qu’à titre d’exemple le tribunal ne pourrait répondre à deux demandes de réparation étant donné qu’il n’y aurait qu’une, a-t-il tranché. À cette requête, le Représentant du ministère public a indiqué que la demande est recevable sur le plan de la forme, quant à son volet fond, ce sont les juges qui vont statuer. C’est ce qu’à décidé Mohamed Reggad, en indiquant que la décision sera prise durant le procès, après concertation. Portés dès le départ sur le report du procès, les avocats de la défense ont mis en avant l’absence des témoins qui s’élève à plus de 100, comme argument à faire valoir qui motiverait l’ajournement du procès. «La défense est privée des témoins, en plus, l’opinion nationale et internationale est induite en erreur par les médias, notamment les télévisions privées, qui ont influé sur le cours de cette affaire», ont-il avancé à l’unanimité, avant qu’ils ne formulent une demande de report du procès, compte tenu «des conditions non encore réunies pour sa tenue». Mokrane Ait Larbi qui représente les mis en cause en détention provisoire depuis cinq ans, n’a pas été du même avis. «Les conditions du procès sont remplies.
Il y a des accusés emprisonné depuis des années. Il n’y a plus de raison de faire attendre», a-t-il défendu. Là, encore, le Procureur général a rejeté cette demande, en assurant que les médias ont traité de l’affaire, comme cela se fait de par le monde entier, avant de préciser que la requête n’est pas justifiée. Après une suspension de la séance, pour trancher les objections, Mohamed Raggad a déclaré le rejet de la demande de la défense en annonçant la poursuite du procès. Suite à quoi, il a appelé les accusés par leurs noms, en indiquant que la séance reprendra dans l’après- midi. La reprise du procès a été aussitôt interrompue par l’absence de l’interprète du représentant de la société italienne Saipem. Peu après, la séance est relancée sur un fond de tension, où la défense a maintenu sa pression sur le juge, et réitère son appel au report du procès. Ils ont menacé de quitter le tribunal si les témoins ne seront pas entendus, avant de constituer le tribunal criminel, comme l’a dit Me Bourayou. De son côté, un des avocats de Mohamed Meziani, Me Chiat a déclaré que quelques témoins se trouvent à l’étranger, comment dès lors maintenir le procès dans pareille condition, faisant notamment allusion, entre autres, à Chakib Khellil, ex-ministre de l’Énergie, impliqué dans l’affaire Sonatrach II. La partie civile, représentée par Me Selini a aussi tiré l’attention du juge sur l’absence des témoins.
La défense a fini par avoir gain de cause, puisque le juge a voulu entendre les témoins, du moins, ceux qui étaient présents à l’audience. En effet, sur 108 témoins concernés par le procès, au moins 38 sont absents. Sur ce, Me Bourayou a indiqué que le procès ne peut se tenir en l’état. L’actuel et l’ex-P-DG de Sonatrach, respectivement Saïd Sahnoune et Zerguine Abdelmadjid, en font parti des témoins. Me Mokrane Ait Larbi revient à la charge pour indiquer qu’il défendrait ses clients qui sont en prison, car, si le procès serait reporté, ils vont crouler encore dans les geôles, pendant que ceux qui sont libres, vont peut-être rentrer chez eux. «Ordonnez leur libération», a répondu Me Miloud Brahimi. Après l’instance de la défense, la séance est suspendue une énième fois, pour trancher de la question du report ou de la poursuite du procès. À l’heure où nous mettons sous presse, les juges sont en concertation pour décider de la suite de cette affaire.
Farid Guellil