L’ouverture du procès de corruption relatif au dossier de l’automobile, dans lequel sont impliqués les deux anciens Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, ainsi que plusieurs anciens ministres, walis et hommes d’affaires, a fait réagir plusieurs avocats et acteurs de la scène politique et nationale. L’on a recueilli ici quelques réactions à chaud exprimées à travers des déclarations faites à nos soins.
Maître Fatima Benbraham, avocate :
«L’apparition des deux anciens Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, ainsi que de plusieurs ex-ministres, walis et hommes d’affaires représente l’aboutissement d’une instruction judiciaire sur des affaires de corruptions. Ces gens sont traduits devant un tribunal correctionnel. Parce que la peine est correctionnelle. Elle est de 10 ans au maximum. Mais je souligne que le seul problème qui se pose c’est que la Constitution prévoit un tribunal spécial pour les juger. C’est la Haute juridiction. Elle a été instaurée en 1996, donc prévue dans la Constitution. Mais elle n’a jamais été installée. C’est l’une des défaillances de la Constitution. Elle est censée se prononcer dans le type des affaires où sont accusés des Premiers ministres comme celles pouvant être liées au président de la République. Mais cette haute juridiction n’a jamais été créée matériellement. Donc si elle n’existe pas, que faut-il faire ? Les libérer ? La réponse est ‘’jamais.’’ Il faut qu’ils comparaissent devant un tribunal de droit commun. Un tribunal ordinaire et il faut les juger de la même manière que tous citoyens, sans faveur, en audience de l’affaire (questions réponses des accusés), et à la plaidoirie ».
Louisa Dris Aït Hamadouche, politologue :
« L’ensemble des poursuites lancées contre d’anciens hauts responsables politiques pour des affaires de corruption et de mauvaise gestion revêt deux aspects. D’abord il s’agit de procédures rendues nécessaires par l’ampleur de la grande corruption qui a gangrené les Institutions de l’état et l’économie nationale. C’est l’aspect positif. Le second met en avant le contexte et plus particulièrement la question relative à la neutralité de la justice. Cette dernière est au centre d’une grande controverse non seulement en raison des contradictions observées dans le traitement d’affaires similaires, mais aussi de l’aveu même du syndicat des magistrats qui a mené une grève pour l’indépendance de la Justice et enfin, compte tenu de la reconnaissance par la tutelle, que cette indépendance devait être au centre d’un atelier mixte qui apparemment n’a pas été mis en place. »
Zoubida Assoul, avocate et ancienne magistrate :
« Certes on aimerait que la justice les condamne, si bien sûr, les faits qui leurs sont reprochés sont qualifiés par la justice de crime ou de délit, et on aimerait bien sûr que les gens qui ont participé à la dilapidation des biens publics, soient condannés d’une manière définitive. Mais, je pense qu’on ne peut pas aller vers la lutte contre la corruption si on ne revoit pas l’ensemble des dispositions constitutionnelles qui connecte ce privilège de juridiction, et sur la base de nouvelle loi. Puisque, à commencer par les lois, la Constitution stipule que quand des Premiers ministres commettent des faits qui constituent des crimes ou des délits, ils sont censés passer devant la haute Cour de l’État qui est instituée à partir de l’article 177 de la Constitution. Cette Cour était créée en 1996 pour connaître les actes pouvant être qualifiés de haute trahison du président de la République mais aussi des crimes et des délits du Premier ministre commis dans l’exercice de leurs fonctions. Quoique cette haute Cour n’a jamais été mise en place. Elle n’existe que théoriquement, depuis l’amendement de 1996 et a été maintenue jusqu’à l’amendement de la Constitution de 2016. Cela veut dire, pour moi, que c’est un signe qui nous laisse dire qu’il n’y a pas eu une volonté politique de mettre en œuvre cette haute Cour de l’État, et que le pouvoir en place ne s’imaginait pas qu’un jour, il allait poursuivre un Premier ministre. Mais quand on regarde le contexte politique où intervient ce procès, qui demeure une affaire complexe, où on a impliqué des Premiers ministres, des anciens ministres et des walis ainsi que des hommes d’affaires, je pense que c’est un dossier qui mérite qu’on le prenne avec beaucoup de sérieux, et aller au fond des choses. Pour atteindre cet objectif, je pense que la lutte contre la corruption doit se faire autrement. Je pense qu’il y a une manœuvre politicienne, dans ce type d’affaire. Et je pense que c’est un procès qui s’inscrit beaucoup plus dans la politique politicienne, qui s’inscrit elle-même aussi dans la perspective de la feuille de route du pouvoir. Donc c’est une manœuvre pour dire qu’il y a ‘’lutte contre la corruption’’. Car, le fait de passer les accusés devant une juridiction ordinaire de droit commun, représente une violation de l’article 177 de la Constitution, même si le fait de présenter les accusés devant le tribunal de Sidi M’hamed représente quelque part une manière de consacrer le principe de l’égalité des citoyens algériens devant la loi ».
L’économiste Smaïl Lalmas :
« Le procès public des anciens hauts responsables pour moi est plutôt un procès contre tout un système et son dysfonctionnement. Aujourd’hui, la justice bouge après un long silence qui a causé d’énormes dégâts au pays et à son peuple, mais les actions de lutte menées demeurent très insuffisantes eu égard aux pratiques et professionnalisme dont font usage les acteurs de toute la chaîne de corruption et surtout des conséquences de leurs actes sur toute une économie et sur l’avenir et l’image du pays. Pour cela, le changement souhaité par tout un peuple est plus que légitime, pour la simple raison que ce dernier a compris que lutter contre la corruption commencerait par éliminer ce système qui a généré ce phénomène avec ses corrupteurs et trafiquants de tout genre».
Boualem Amoura, SG du Satef :
«Pour nous, juger de hauts responsables de l’État est une première en Algérie car ces gens-là ont, pour longtemps, bénéficié de l’impunité et se croyaient au-dessus de la loi. Nous voulons aussi que ce soit un jugement équitable sans spécificités ni faveurs! Ils doivent être jugés comme sont jugés les simples citoyens algériens. Nous sommes pour une Justice indépendante et nous espérons que ces jugements feront cas d’école.
Nous ne voulons pas que ce soit un jugement de vengeance! L’Algérie est gangrenée par la corruption et nous espérons une opération « main propre » dans tous les secteurs. Nous ne voulons pas que ce soit une opération destinée à la consommation populaire en prévision de les rochaine élection présidentielle! Nous sommes contre l’utilisation de la Justice à des fins populistes. Basta à l’impunité».
Propos recueillis par Mohamed Amrouni