Accusé d’être instrumentalisé par certains États pour traquer leurs opposants, Interpol a revu ses processus de publication des fameuses «notices rouges» mais sans parvenir à protéger totalement des dissidents parfois pourchassés jusque dans leur pays d’asile.
Persécuté et victime de tortures en Egypte, Sayed Abdellatif a quitté son pays et demandé l’asile à l’Australie en 2012. Mais sur la foi d’une notice rouge émise par Interpol à la demande du Caire, il est resté détenu cinq ans dans un camp de réfugiés australien avant que l’avis de recherche ne soit levé. Ce cas est l’un des nombreux mis en lumière par l’ONG londonienne Fair Trials, qui maintient Interpol dans son viseur et alerte sur les journalistes, défenseurs des droits de l’Homme et opposants inquiétés ou arrêtés après l’émission peu précautionneuse de notices rouges. Parmi eux, Dolun Isa, leader ouïghour naturalisé allemand longtemps tourmenté par une notice émise à la demande de la Chine, ou l’auteur germano-turc Dogan Akhanli, bloqué plusieurs mois en Espagne en 2017 à la suite d’une demande d’extradition turque relayée par Interpol. Parmi les plus de 13.000 émis chaque année, Fair Trials ne peut préciser le nombre d’avis de recherche «à motif politique» ou «abusifs». Mais un de ses directeurs, Alex Mik, explique à l’AFP que «des exemples ont été observés du côté de l’Égypte, de l’Azerbaidjan, des Émirats Arabes Unis, du Venezuela, de l’Iran, d’Indonésie, du Bahrein, en plus de la Russie, de la Chine et de la Turquie».
Polémiques à répétition
L’action des avocats du Bolivien Mauricio Ochoa Urioste, réfugié en Uruguay et condamné à 9 ans de prison pour association de malfaiteurs dans son pays, a ouvert la voie à une remise en cause au sein d’Interpol. Dès fin 2014, son nouveau secrétaire général, l’Allemand Jürgen Stock, a lancé une réforme baptisée «politique des réfugiés» instaurant de nouveaux contrôles. Interpol a ensuite revu le fonctionnement de la Commission de contrôle des dossiers (CCF) qui filtre les notices rouges et, depuis 2017, ceux qui les contestent ont accès à un système plus transparent. Cependant, des réfugiés continuent de faire les frais des avis d’Interpol. Le cas du footballeur du Bahrein Hakeem Ali Al-Araibi, réfugié en Australie mais détenu 70 jours en Thaïlande sur la base d’un mandat d’arrêt de son pays d’origine relayé par Interpol, a marqué les esprits en début d’année. L’incident tombait mal pour l’organisation de coopération policière, peu après la polémique née de la candidature – rejetée – du Russe Alexandre Prokoptchouk au poste de président, qui avait éveillé les soupçons sur les intentions du Kremlin. Interpol venait alors d’essuyer, en octobre 2018, la démission rocambolesque de son président chinois Meng Hongwei, arrêté pour corruption dans son pays.
Contrôle difficile
«Il reste encore beaucoup à faire pour s’assurer qu’Interpol mette son système en conformité avec les droits de l’Homme», assure M. Mik, appelant à une «meilleure collecte de données» et des moyens accrus pour surveiller «l’efficacité des réformes». Interrogé par l’AFP, le secrétaire général d’Interpol précise que «les contrôles des notices et leur diffusion dépendent de l’information disponible au moment de la demande. Si de nouvelles informations pertinentes apparaissent, le cas est réexaminé». Pour Alain Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), «il faudrait accélérer les délais de saisine de la CCF, avec une sorte de procédure en référé pour les situations particulièrement abracadabrantes». Il suggère aussi «un meilleur contrôle pour les pays compliqués». Ce filtrage est devenu beaucoup plus difficile depuis la simplification des processus d’émission après le 11 septembre 2001. De surcroît, la CCF a admis dans son dernier rapport annuel que certains pays dont les demandes de notices ont été rejetées contournent les contrôles en inscrivant les passeports de leurs cibles dans les fichiers des papiers «perdus ou volés» d’Interpol. D’autres osent se rabattre sur les «diffusions» de mandats d’arrêt, soumises à des examens moins stricts. «Nous ne sommes pas aveugles face aux changements géopolitiques», plaide M. Stock, pour qui Interpol reste «un acteur vital» de la sécurité mondiale précisément parce qu’il intègre des pays isolés diplomatiquement ou en guerre. Pour M. Bauer, la question est quasiment insoluble, sauf à «nuire fondamentalement à ce pour quoi la machine est faite. Interpol n’est qu’un organe de transmission de l’information (…) Et il y a aussi de vrais criminels dans les dictatures…».