A deux semaines de la présidentielle au Nigeria, alors que le nord-est du pays est ravagé par les islamistes de Boko Haram, un autre foyer d’insécurité menace de se rallumer: dans le sud, d’où provient l’essentiel du pétrole nigérian. Les militants armés qui on fait régner la violence dans la région du Delta du Niger, jusqu’à ce qu’un accord d’amnistie soit signé en 2010, menacent de reprendre les armes si le président sortant Goodluck Jonathan, un chrétien de l’ethnie Ijaw, le premier chef de l’État issu de leur région, n’est pas réélu. Nous ne sommes pas contents des attaques constantes contre la personne de Jonathan dans le nord (du pays). S’ils n’arrêtent pas de le molester, nous allons être obligés de reprendre les armes, prévient Kennedy Tonjo-West.
Nous allons riposter. (…) Boko Haram, ce sera un jeu d’enfant à côté (de nos actions), affirme-t-il à l’AFP. Avant l’amnistie, Tonjo-West et le groupe de 300 combattants qu’il dirigeait multipliaient les attaques contre les installations pétrolières dans les criques de cette région marécageuse. Les violences perturbaient fortement la production pétrolière, qui représente 80% des revenus de l’État et la quasi-totalité des revenus à l’exportation.
Au-delà des dissensions ethniques et religieuses, dans un pays où les quelque 170 millions d’habitants sont divisés entre un nord majoritairement musulman et un sud principalement chrétien, les militants armés du Delta du Niger se plaignent de ne pas jouir des bénéfices de cette manne pétrolière. Si (…)Jonathan perd le pouvoir le 14 février, nous allons recommencer à nous faire entendre, et cette fois nous devrions réclamer que 100% de nos ressources (pétrolières) nous reviennent, revendique Annkio Briggs, une militante du Mouvement pour l’auto-détermination du Delta du Niger. Si le fils du pays n’est pas assez bien pour être président, alors les autres régions du pays ne peuvent pas bénéficier des (revenus) de notre pétrole, assène-t-elle. Le Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger (Mend), le principal groupe armé opérant dans la région, devenu presque inactif depuis l’amnistie, a aussi menacé de reprendre les armes en cas de défaite de Jonathan. Les récents communiqués du Mend sont cependant accueillis avec scepticisme par des experts.
Pots-de-vin contre paix
L’accord d’amnistie de 2010 a permis au Nigeria de retrouver son statut de premier producteur de pétrole du continent africain. Il s’est traduit surtout par des sommes d’argent versées aux anciens combattants, mais il n’a pas réglé les problèmes plus profonds de corruption et de chômage dont souffre la région. En tout, quelque 230 milliards de nairas (un milliard d’euros) ont été versés à 30 000 rebelles, selon Daniel Alabrah, le porte-parole du programme qui accompagnait cet accord. Selon lui, environ 18 000 personnes ont bénéficié de formations et de stages dans des secteurs comme l’aviation, l’ingénierie et l’industrie pétrolière, ou ont pu développer leur propre affaire. Chaque mois, chaque rebelle reçoit une allocation de 65 000 nairas (300 euros). Des pots-de-vin en échange de la paix, juge Alabrah. Le programme était censé prendre fin au bout de cinq ans, soit fin 2015, explique-t-il. Mais il va sans doute falloir le prolonger. Surtout que, dans cette région où de nombreuses communautés de pêcheurs et de fermiers ont dû abandonner leur activité à cause de la pollution pétrolière, une grande partie de la population vit toujours dans une extrême pauvreté. L’amnistie a permis à la production pétrolière de remonter à 1,75 million de barils par jour, mais elle n’a pas mis un terme au vol de pétrole à grande échelle, qui représente jusqu’à 10% de la production quotidienne. Au moment où la chute des cours mondiaux de pétrole fait dégringoler les recettes de l’État, le maintien de la stabilité dans le Delta du Niger sera une priorité stratégique pour le vainqueur de la présidentielle, prédit Thomas Jensen, de la société de conseil en sécurité Control Risk. On ignore cependant si l’ex-dictateur Muhammadu Buhari, principal rival du président Jonathan, prolongera ces mesures d’amnistie s’il est élu, d’autant que son parti, le Congrès progressiste (APC), a souvent été critiqué de ce programme, souligne M. Jansen. Et d’ajouter, en guise d’avertissement: une recrudescence de violence et d’attaques contre l’industrie pétrolière est à craindre si Jonathan n’est pas réélu, surtout si (ses partisans) considèrent que sa victoire a été sabordée.