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Mémoire : Qui n’a pas été ému jusqu’aux larmes en écoutant Cheikh El Hasnaoui ?

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La discographie de Cheikh El Hasnaoui est certes relativement limitée avec un peu moins d’une cinquantaine de titres, en langue kabyle et en arabe populaire, mais il a vite acquis une aura nationale et ne tardera pas a marquer plusieurs générations d’artistes, dont Lounis Aït Menguellet, Matoub Lounès, Kamel Messaoudi ou encore Beihdja Rahal.

Par Ali El Hadj Tahar

En effet, le nom de ce chanteur, musicien, compositeur et auteur né en 1910 reste gravé en lettres d’or au fronton du patrimoine lyrique national. écrite en plusieurs années et qui résonnera d’un écho particulier, Cheikh El Hasnaoui, de son vrai nom Mohamed Hemana Khelouat, est issu de la faction des Ihassenaouen, qui sera à l’origine de son nom d’artiste. C’est à la Casbah, précisément à la rue Mogador où il réside dès le début des années 1930, qu’il fait ses débuts dans la musique populaire, un domaine de la culture qui unissait des Algériens de plusieurs origines. La Casbah était un vivier où de nombreux artistes habitaient et se rencontraient et où les Kabyles étaient très nombreux. Ses talents de musicien lui permettent d’être accepté dans l’orchestre de Hadj M’hamed El Anka, dont il adopte le style dépouillé et rude, d’autant qu’il possède une même voix sèche. C’est en 1936 que le grand public découvre Cheikh El Hasnaoui, avec «A yema yema», la complainte d’un déraciné doublé lui-même orphelin depuis l’âge de dix ans. Mais chanter ne remplit pas toujours le ventre. Donc la nuit, il est docker et travailleur journalier sur les quais. Quelques années après, cet artiste, qui perçoit l’immensité en lui, sent déjà qu’il est comme un oiseau dans une petite cage et que rester à Alger c’est se condamner à ne pas connaitre le monde. Il va alors poursuivre sa carrière en France, et dans les quartiers arabes, il va côtoyer les musiciens des orchestres chaâbi et les cafés qui sentent la menthe et le café fort. C’est donc en 1937, à l’orée de la Seconde Guerre mondiale, qu’il s’installe à Paris, dans le 15e arrondissement. De 1939 jusqu’au début de la Révolution algérienne, il produit l’essentiel de son répertoire composé de 29 chansons kabyles et de 17 en arabe algérien. Ces œuvres, toutes issues du même talent et de la même exigence, vont rencontrer le succès mérité. L’exil, la mère, l’amour, la patrie, l’honneur, la solitude, la quête de l’âme sœur vont donner des titres en arabe et en berbère et révéler l’âme sensible d’un artiste fortement attaché aux traditions de son pays. solidaire de la lutte pour l’indépendance de son peuple, El Hasnaoui va arrêter la musique durant les années de guerre, avant de revenir sur scène au lendemain de l’Indépendance. En 1967, il crée sa propre maison de disque, où il édite ses derniers titres avant de mettre un terme définitif à sa carrière en 1968, après avoir enregistré ses dernières chansons : Cheïkh Amokrane, Haïla hop, Mrebḥa, Ya Noudjoum Ellil et Rod Balek.
Cet arrêt brutal et inexpliqué de la pratique artistique ne va cependant pas effacer l’artiste de la mémoire car il a gravé son empreinte au plus profond de la conscience nationale, avec un répertoire et une voix inoubliables. Cheikh El Hasnaoui décède le 6 juillet 2002, mais il reste l’un des artistes les plus emblématiques du répertoire chaâbi et particulièrement de la chanson de langue berbère. Avec une voix grave scandée avec un timbre en cascade sur des sonorités simples et lancinantes du banjo, cet artiste qui s’adresse au cœur et à l’esprit en même temps, parle d’amour brisé, de douleur, de ces détresses de l’humain en quête de bonheur et de joies et prêt à offrir son âme en retour. Qui n’a pas eu les yeux embués de larmes en écoutant Ya Zahia ? Qui n’a pas pleuré sur «A yema yema» ? Qui n’a pas vibré avec La Maison Blanche ? Qui ne s’est pas senti envahi par une tristesse infinie en écoutant « Ya noudjoum ellil » ? Qui ne s’est pas senti dans la peau d’un émigré de Barbès ou d’ailleurs avec les nombreuses chansons consacrées à l’exil ? Toutes ses chansons nous ont marquées, au plus profond de notre être, mettant parfois notre âme en lambeaux tant elles concernent, ces chansons que nous avons tous vécues comme nos propres complaintes, nos propres déchirures.
Il y a toujours chez Cheikh El Hasnaoui une voix qui pleure y compris dans les textes qui cherchent à oublier et être joyeux. Eclectique comme parolier et interprète, il a parfois des textes un peu ironiques, comme Bnat Sohba sur les femmes faussement émancipées. Un portrait documentaire a été consacré à ce maître du chaâbi qui a été enterré à Saint-Pierre de la Réunion, dans l’océan Indien, où il a vécu une dizaine d’années. Quant au journaliste et écrivain Rachid Mokhtari, il lui a consacré un livre, La Voix De L’Errance, aux éditions Chihab.
A.E.T.

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