Alors que plus de 20 millions d’algériennes et d’algériens, sortent chaque vendredi, à travers le pays, depuis l’historique date du 22 février dernier, hier, la capitale a été le lieu du premier rendez-vous national des travailleurs, par leur marche, la place du 1er mai, à la Place Maurice Audin, et à la Grande Poste.
Un rassemblement des travailleurs, le premier depuis le début du mouvement populaire pacifique à travers le pays, qui s’apprête à tenir son huitième vendredi, demain, et la journée, d’hier a été aussi marqué par la repression des manifestants pacifiques, par les forces de l’ordre, fortement mobilisées, à Alger.
Les travailleurs de la Société nationale des chemins de fer, de l’Éducation, de la Santé, de la Fonction publique et de nombreux autres secteurs, venus de plusieurs wilayas du pays, ont tenu, à marcher pacifiquement, hier, pour exiger le départ du système politique en place, au lendemain de l’installation, mardi dernier, de Bensalah comme chef d’État, en application de l’article 102 de la Constitution. Ils étaient là en grand nombre , hier à Alger, partout, tout au long des rues et des boulevards, menant aux trois lieux emblématiques, des rassemblements populaires : 1er Mai, Place Audin et la Grande-Poste, en l’occurrence.
Le long parcours vers la Grande-Poste
En réponse à l’appel de la Confédération des syndicats autonomes (CSA), dans lequel il était question d’observer une grève générale, et une marche nationale des travailleurs dès la matinée, de la Place du 1er-Mai, à celle précitée, la mobilisation des travailleurs était imposante, hier, à Alger, la première depuis le début du mouvement populaire pacifique, une marche du monde du travail, pour réaffirmer leur engagement dans l’action citoyenne pacifique pour le changement du système politique et l’édification d’un État de Droit. Ils étaient en effet plusieurs milliers de travailleurs de plusieurs secteurs, du public comme du privé, pour ne citer que les employés de la SNTF, le personnel des écoles, hôpitaux, postes et telécommunication, banques et autres administrations à être présents au rendez-vous d’hier, à la Capitale, qui a connu également une forte mobilisation des forces de l’ordre qui ont usé de canons à eau et de gaz lacrymogène.
Contrairement aux précédentes actions de protestation, les travailleurs, dont les syndicalistes n’ont pas porté des revendications socioéconomiques, en cette journée, car, selon eux, leur action de protestation, la première du genre, à Alger, depuis le 22 février dernier, se veut l’expression du «rejet du système politique en place» et le refus de la désignation de Bensalah à la tête de l’État par intérim. Hier, soit deux jours avant le huitième vendredi populaire, les travailleurs des différents secteurs ont exigé «le départ de toutes les figures du système politique en place» et scandé « partez gaâ» «Naâm Litaghyir (oui pour le changement :ndlr) », en brandissant l’emblème national.
Tel que nous avons pu le constater sur place, hier, tout au long de l’itinéraire du parcours de la marche des travailleurs, celle-ci s’est tenue, malgré les entraves des services de sécurité, bloquant des rues, des passages et des axes, de et vers les lieux précités. Les tentatives des forces de l’ordre, dès les premières heures de la matinée, d’hier matin, visant à disperser les travailleurs et usant parfois de force et par des interpellations, dont celles au 1er mai, qui a fait réagir les citoyens, qui se sont interposés, n’ont pas été pour dissuader les travailleurs à renoncer à leur détermination de mener au bout leur action pacifique, jusqu’à constituer une marée humaine, notamment à la Grande-Poste.
De la mobilisation, du gaz lacrymogène aussi !
À la place du 1er mai, non loin de la Centrale syndicale, le rond-point, qui a été un des lieux de rencontre des travailleurs, pour s’ébranler, par leur marche, vers la Grande-Poste, vers 10 h, l’odeur du gaz lacrymogène était encore là et persistait, comme ce fut le cas de la répression des forces de l’ordre, alors que les travailleurs leur lançaient « Silmiya Silmiya : Pacifique, Pacifique :NDLR) ». Outre les travailleurs d’Alger et des régions limitrophes, d’autres sont venus, hier, pour tenir leur marche nationale, dans la Capitale, de Tizi-Ouzou, Batna, Bouira, Sétif, Boumerdès, Relizane, Tiaret,Constantine… etc. Un important dispositif policier a été déployé à la Place du 1er Mai, notamment des fourgons de police, bloquant l’accès au Boulevard Hassiba menant à la grande-Poste et Place Maurice Audin. Les travailleurs ont réussi à déjouer le dispositif en empruntant d’autres itinéraires, pour ne pas manquer leur grand rassemblement à la Grande-Poste, lieu emblématique de la mobilisation du mouvement populaire citoyen, pour le changement du système politique en place, les vendredis, comme les autres jours de semaine, dont le mardi, jour de la mobilisation de la communauté universitaire. Rencontré à la Place de 1er Mai, Salim, professeur du secteur de l’éducation, a tenu à être présent à la marche nationale des travailleurs à Alger, «la première, depuis le début du hirak » nous dira-t-il « je suis venu de loin, j’ai dû passer la nuit chez un ami, à Alger, pour ne pas rater ce rendez-vous, la marche des travailleurs» car « nous étions sûrs qu’ils allaient fermer les routes menant à la Capitale, comme il l’ont fait, vendredi dernier, septième vendredi de la mobilisation citoyenne pacifique.»
Hommage au défunts syndicaliste Idir Achour et à Aïssat Idir
Et c’est à son collègue, Farid, de nous indiquer que nous comptons, à notre arrivée, à l’esplanade de la Grande-Poste, «rendre un vibrant hommage à notre camarade militant des causes justes, et l’une des figures syndicales du secteur de l’éducation, le défunt Idir Achour », qui ont-ils tenu à souligner, «est là parmi nous, à travers cette mobilisation imposante des travailleurs». Pour rappel, le défunt Idir occupait le poste de secrétaire général du Conseil des lycées d’Algérie (CLA), il est décédé jeudi dernier, suite à une crise cardiaque, à l’âge de 51 ans. Samia, une autre participante à cette marche des travailleurs, nous lance avec fierté, après avoir entendu notre conversation avec Farid et Salim , «à entendre le prénom Idir, en ce jour, je me remémore, le chahid syndicaliste, Aïssat Idir, une école avec tant d’autres du mouvement syndical algérien», a-t-elle précisé avant de nous dire «nous devons rendre la dignité à notre peuple et à notre Algérie, ce système politique doit disparaître pour édifier un État de Droit, Gloire à nos martyrs de la Révolution du 1er Novembre ». Outre les travailleurs, et les responsables syndicaux, on a remarqué la présence de nombreux citoyennes et citoyens venus se joindre au carré de la marche au niveau de la place du 1er Mai.
En marche vers le centre d’Alger
Après des heures de lacrymogène et des tentatives de bloquer la marche des travailleurs, ces derniers, déterminés à aller jusqu’au bout de leur action pacifique, ont réussi à se frayer le chemin pour emprunter l’itinéraire, par une marche pacifique, après que les forces de l’ordre ont fini par céder devant la pression du fameux slogan «Silmiya-simliya, (pacifique pacifique, ndlr) ou bien «Chorta wa Chaâb Khawa Khawa, (police et peuple des frères :ndlr).» Les travailleurs, munis de l’Emblème national et des pancartes, se dirigent vers la Grande-Poste, en rythmant leurs pas par des slogans. « Le peuple veut l’Article 7» , «les 4B dehors», «Klitou Lebled Ya Serakine (vous avez dilapidé le pays, vous êtes des voleurs » « Système dégage » « Djazaïr Houra Democratiya (Algérie Libre et démocratique : ndlr)» étaient les slogans phares. Ceux scandés, lors des sept derniers vendredi de la mobilisation populaire pacifique, qui vont encore marqué le rendez-vous populaire, prévu demain, à travers l’ensemble du pays.
Arrestations musclées et jets d’eau
Quand les manifestants arrivent à la place Mauritania, un autre dispositif est déployé sur place pour les empêcher de progresser vers la Grande-Poste. Sur place, les forces anti-émeutes ont recouru au camion à eau et au gaz lacrymogène pour disperser les manifestants et empêcher les travailleurs de mener leur action pacifique : marcher jusqu’à arriver à la Grande-Poste. Plusieurs interpellations ont eu lieu, au moment où d’autres lançaient « wa3lah, silmiya silmiya : pourquoi, pacifique pacifique : ndlr)» les passants étaient outrés de voir ces pratiques répressives, et à un manifestant de lancer « c’est une violation d’un droit garanti par la Constitution, celui de manifester pacifiquement». D’autres carrés se forment et se reconstituent, pour continuer à marcher, jusqu’à arriver à la Grande-Poste et bien avant, à la Place Maurice Audin. Des groupes de travailleurs passaient à travers les rues adjacentes, au Boulevard Hassiba, pour continuer à avancer, jusqu’à arriver au grand point du rendez-vous des travailleurs : la Grande-Poste, et l’un d’eux lançait à son camarade : «continuons à travers les ruelles, pour ne pas être bloqués par les casques bleus », pour les marcheurs, avancer de leurs pas, était un défi car, pour eux, il fallait atteindre l’esplanade de la Grande-Poste. Un autre, non loin de la bouche du Métro, à proximité de la Faculté d’Alger, nous l’entendions dire à un groupe de travailleurs, qui se dirigeaient vers le point de chute de leur marche, « on est arrivé, même s’ils nous ont étouffé avec leur Gaz lacrymogène, notre insistance pacifique a donné raison à notre action. Durant tout le trajet et les parcours des travailleurs, hommes et femmes, ces derniers avaient le soutien de familles sorties sur les balcons, où fusaient les youyous des femmes, en guise de soutien à l’action du monde du travail, outre qu’ils leur lançaient des saluts, en leur brandissant l’emblème national, ce qui donne du punch à la sueur des travailleurs.
Mohamed Amrouni