Militants, avocats et journalistes marocains dénoncent depuis des semaines les « innombrables atteintes à la vie privée » par les services de sécurité marocains qui « utilisent des vidéos enregistrées illégalement pour faire du chantage aux victimes ».
Le dernier cas en date, celui du kickboxeur Zakaria Moumni, incarcéré en 2010 pour avoir dénoncé la corruption dans le monde du sport et avoir voulu en référer au roi, qui a vu la large diffusion dans les médias d’une vidéo où on le voit recevoir une somme d’argent en compensation de la torture et de l’emprisonnement subis au Maroc. Cet épisode divulgué par les médias avait cependant été longuement expliqué en 2015 par l’ancien champion dans son livre « L’homme qui voulait parler au roi », qui dit avoir « restitué la somme et refusé de négocier » avec l’émissaire du roi. L’expert juridique marocain Mohamed Ziane a indiqué que « l’enregistrement de la voix et de l’image est totalement interdit (…) dans la loi marocaine, exception faite d’un ordre du juge d’instruction ou d’une autorisation du premier président de la cour d’appel », expliquant que les enregistrements ne pouvaient être utilisés que dans une affaire de « terrorisme ou de trafic international de drogue ».Revenant au cas de Zakaria Moumni, l’avocat estime que les pratiques utilisées représentent « simplement de l’abus d’autorité » dans une affaire qui « relève du monde du sport et qui n’a aucun lien avec la sécurité, le terrorisme ou le trafic de drogue ». Concernant la diffusion des vidéos, Me Ziane explique qu’elle est simplement « interdite » et que cette pratique « dénote d’une volonté politique de porter atteinte à une personnalité ou à une institution ». C’est, pour lui, également une preuve supplémentaire que ces enregistrements ont été effectués hors du cadre légal puisque la « diffusion d’une preuve est un non-sens ».Champion du monde de kick-boxing en 1999, Zakaria Moumni avait réclamé son droit légal à de meilleures conditions d’entraînement et à un poste de conseiller sportif.
Zakaria multiplie alors les démarches pour rencontrer Mohammed VI, allant jusqu’à manifester, le 25 janvier 2010, devant le Château de Betz, dans l’Oise, où le roi possède une propriété. « Des gardes du corps lui font comprendre qu’il aura des ennuis s’il continue », rappelle son épouse. En 2010, il est enlevé à l’aéroport de Rabat, séquestré, torturé puis incarcéré dans les prisons de Salé et de Rommani d’où il sortira gracié en 2012. Il a également déposé plusieurs plaintes contre des responsables marocains dont la dernière, en 2014, pour « menaces, intimidations et atteinte à l’intimité de la vie privée après un chantage », suite à laquelle le parquet de Paris effectue une « dénonciation officielle aux fins de poursuite d’Abdellatif Hammouchi à la justice marocaine ».Ce même personnage, Abdellatif Hammouchi, premier homme dans l’histoire du royaume à diriger conjointement la direction de la Sûreté nationale et la direction générale de la Surveillance du territoire, qualifié de « serviteur discret de l’État » par les médias français, est également mis en cause par l’intellectuel marocain Maâti Monjib, harcelé et surveillé par le régime du Makhzen marocain. L’historien expliquait que « les services de renseignement marocains disposent des dossiers sur toutes les personnalités publiques. La moindre dissension vous expose, sur le champ, à la diffamation. Même des ministres pro-régime, au plus haut niveau, sont parfois diffamés ». Militants, avocats et journalistes dénoncent ces pratiques utilisées par les services de sécurité marocains pour fabriquer des dossiers judiciaires ou décrédibiliser les militants et personnalités installés à l’étranger aux yeux de l’opinion publique. Ils dénoncent des montages vidéos et des enregistrements effectués dans les domiciles ou les bureaux des victimes à des fins de chantage. Ces pratiques ont été utilisées contre le journaliste Taoufik Bouachrine, directeur du journal Akhbar Al-Yaoum (interdit de parution depuis mars 2021), contre le journaliste et militant des droits de l’Homme Fouad Abdelmoumni, ou encore l’ex-ministre des droits de l’Homme sous Hassan II, ancien bâtonnier et avocat des détenus du hirak du Rif, Mohamed Ziane.
R. I.
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