Après la crise qui a concerné le lait pasteurisé en sachet, voilà que la ménagère en vient à subir la flambée des prix des légumes et des fruits. En effet, pour ne citer qu’elle, la pomme de terre est cédée à des prix hallucinants et défiant toute concurrence: 100 DA le kilo. Qui dit mieux ! Partis en reportage sur le sujet afin, entre autres, de connaître les tenants et aboutissants de cette flambée, force est de reconnaître que nous sommes retournés bredouilles. «Où étiez-vous lorsque la pomme-de-terre coûtait à peine 10 DA/le kilo et que les fellahs imploraient presque les représentants de l’État afin qu’ils déchargent leurs magasins de stock», nous assène face à notre statut de journaliste représentant l’opinion publique et tel un couperet un Mascari de souche, répondant au prénom de Baghdadi, entrepreneur privé versé dans le forage des puits, rencontré dans la ville de Mascara en compagnie d’un fellah producteur de pomme de terre et d’un couple d’animateurs d’une association locale de protection des consommateurs. Monopolisant la parole, Baghdadi ne semble pas emballé par notre mission et se permet de nous rapporter que des quantités considérables de ce produit agricole ont fini par être carrément jetées lors de la saison 2012/2013. Ceci lorsqu’elle n’a pas servi comme aliment de bétail. Même son de cloche à la direction des services agricoles (DSA) de la wilaya de Mascara. Tout d’abord et sollicité, il y a l’accueil affable, empressé et les propos rassurants de Khaled Larabi, le directeur de cette DSA. «La pomme de terre de Mascara est célèbre pour sa qualité et elle est très appréciée par le consommateur», nous dit en guise d’introduction à la seule question que nous nous étions dictée de poser: «Pourquoi la pomme de terre est-elle chère sur le marché ?».
Le responsable s’en va dans un discours tout de circonstance sans répondre vraiment à notre interrogation. Toutefois, il nous oriente sur l’un de ses chefs de services. Tout comme son supérieur, le responsable désigné nous laisse sur notre faim. «Allons si vous voulez faire un tour aux marchés de gros et de détail et vous verrez que le produit -la pomme de terre [ndlr]- est disponible», tente-t-il de nous convaincre. Interpellé, notre interlocuteur ne décolère pas et affirme placidement : « La question de la cherté de la pomme de terre reste un point d’interrogation », dit-il sans du tout évoquer ou accuser une quelconque opération de spéculation.Toutefois, faute d’arguments valables et convaincants, nous en sommes quittes avec quelques chiffres triés sur le volet. Selon les statistiques disponibles et présenté par M. Ghali, notre chef de service, il en ressort globalement et en tout cas que la surface agricole utile (SAU) de la wilaya de Mascara est estimée de l’ordre de 312 800 hectares. Nous apprendrons également que la production annuelle moyenne de la pomme de terre représente quelque 3,5 millions de quintaux, y inclus les récoltes d’arrière-saison et de saison.
Un stock de 298 300 quintaux
Pour la saison agricole en cours, notre responsable se plaît à indiquer qu’habituellement 7 000 à 7 500 hectares sont semés annuellement. Sur les 5 200 ha plantés pour la saison en cours les prévisions de production selon ses calculs sont envisagées à plus de 1,5 millions de quintaux à récolter comme de tradition à compter de la fin du mois de novembre au début du mois de décembre, fait-il observer. Le directeur de la DSA nous avait auparavant indiqué que la récolte des semailles du mois d’août se déroulait habituellement vers la mi-novembre. Notre responsable ne s’arrête pas là puisqu’il se permet de jouer à l’apaisement des esprits, annonçant en direction de l’opinion publique qu’une quantité considérable du produit sera incessamment mise sur le marché. En effet, dans le cadre de la politique déjà éprouvée des pouvoirs publics et objet de critiques, à savoir le Syrpalac : Système de régulation des produits agricoles à large consommation, un total de 298 300 quintaux que comptent les frigos est en voie d’être déstocké actuellement. Il ne l’a pas dit ouvertement, mais notre responsable escompte faire comprendre à la ménagère que le prix ira à la baisse. Cependant, le chef de service de la DSA va vers la confidence et conforte vraisemblablement le fellah de Mascara dans son raisonnement. Ainsi, il confirme que durant la saison agricole 2012/2013, la pomme de terre coûtait à peine 5 à 6 DA le kilo. Mais il ne souffle mot sur les quantités énormes qui, faute de trouver preneur, allèrent carrément grossir les dépotoirs. M. Ghali, s’est même attardé en expliquant que l’oignon, un autre produit agricole qui fait la fierté des agriculteurs de Mascara, a été cédé à raison de 4 DA le kilo sur le marché de gros.
Prétexte
L’agriculture à Mascara souffre elle aussi de la disponibilité de la main-d’œuvre qualifiée, selon ce qui ressort d’interlocuteurs représentant l’administration publique ainsi que dans les propos des animateurs de l’association locale de protection des consommateurs : APOCE de Mascara (Association de protection des consommateurs et de l’environnement), une organisation présidée par l’infatigable Mme Fatiha Morsli, professeur universitaire, et dont les membres qui l’accompagnent dans son aventure se recrutent principalement parmi le corps des enseignants et la corporation des étudiants. C’est ainsi que nous sommes mis en contact avec l’un des sympathisants de cette association, un fellah qui préfère ne pas décliner son identité et qui refuse à priori de commenter la hausse des prix de la pomme de terre sur le marché, ne tenant peut-être pas à faire étalage de son chiffre d’affaires. Notre fellah préfère tenir là prétexte à évoquer les conditions difficiles d’exercice de sa profession, mêlant pêle-mêle et entre autres le manque de main-d’œuvre qualifiée dont souffre sa corporation au problème de la disponibilité de l’eau d’irrigation. Nous déboursons des sommes faramineuses dans le forage de puits d’eau, ainsi que pour la semence et les engrais, concède notre fellah dont les espoirs convergent vers la mise à la disposition des agriculteurs des eaux du barrage de Ouizert qui gagnerait, dit-il, à être désenvasé. Pour la leçon de géographie, l’activité agricole à Mascara tient le haut du pavé puisque la wilaya en fait un pôle de développement local. La vérité c’est que de par une époque récente, Mascara et la célèbre Plaine du Ghriss dont les terres sont appréciées pour leur bonne qualité, trônait à la tête des régions pour la production de la pomme de terre et à un degré moindre de l’oignon. Cependant, un autre Mascari d’un certain âge, rencontré lors de nos déambulations, se désole d’avoir été obligé de céder des parts d’héritage d’une exploitation agricole à un oncle. «Je suis fellah fils de fellahs et je suis fier de mes origines », lance-t-il dans une tirade, se remémorant l’époque bénie du défunt président Houari Boumediène et souhaitant que Mascara reprenne sa place de leader dans la production de la pomme de terre.
Exportation vers l’Europe !
C’est tout comme mais les responsables à la wilaya de Mascara sont fiers de communiquer et même à faire un coup de publicité au sujet d’opérations en fait factuelles d’exportation de pomme de terre vers respectivement Perpignan (France) et Valence (Espagne) qui se sont concrétisés à la faveur de l’année dernière. Ainsi, le directeur de la chambre de commerce et d’industrie Béni-Chougrane (Caci) de Mascara, Boukhelifa Bouziane, n’est pas peu fier d’afficher qu’un producteur local en a exporté pour pas moins de 3 848 quintaux vers les deux pays sus-cités. Sur sa lancée, le même responsable annonce que des opérateurs économiques d’Allemagne ont émis le souhait d’importer de grandes quantités de pomme de terre produite à Mascara.
Toutefois, ce qui achoppe, c’est l’information selon laquelle des quantités se sont périmées de par un passé récent et l’on se pose la question de savoir à quoi servent les frigos de stockage.
Reportage de Mohamed Djamel