En 2011, face à des opposants divisés, le parti islamiste Ennahda était arrivé en tête du premier scrutin libre de l’histoire de la Tunisie. Pour les législatives de dimanche, le camp séculier se présente à nouveau en ordre dispersé. Divergences idéologiques, querelles d’ego et mode de scrutin à la proportionnelle laissant une chance aux petites écuries: les détracteurs des islamistes auront le choix entre une multitude de listes. Ennahda a su, pour sa part, préserver son unité et reste avec ses dizaines de milliers de militants revendiqués le seul véritable parti de masse organisé du pays. «L’opposition n’a pas appris (la leçon de 2011). Il y a chez elle un manque de conscience de la sensibilité de la période actuelle (…) et d’à quel point cet émiettement sert Ennahda», explique Khaled Abid, spécialiste de l’histoire contemporaine de la Tunisie. Il évoque en outre «le narcissisme» des leaders de l’opposition: «chaque dirigeant de parti se voit au pouvoir».
Si Nidaa Tounès, un parti hétéroclite réunissant militants de gauche, syndicalistes, hommes d’affaires et même des membres du parti du président déchu Zine El Abidine Ben Ali, se détache très largement, la présence des autres listes séculières peut lui coûter la première place, celle qui, selon la Constitution, détermine le parti devant former le prochain gouvernement. Fondée en 2012 par l’ancien Premier ministre et candidat à la présidentielle Béji Caïd Essebsi, 87 ans, cette formation fait à la fois campagne contre les islamistes et contre ses alliés d’hier, comme l’Union pour la Tunisie (UPT, gauche), tout en promettant une alliance au pouvoir à ces derniers.
«Le vote utile, une supercherie»
Un appel qui trouve un écho certain chez ceux qui, coûte que coûte, veulent éviter que les islamistes reprennent les rênes du pays. «Je vote sans hésitation Nidaa et Béji. Ce sont les seuls à pouvoir nous sauver. Tout plutôt que d’avoir Ennahda au pouvoir pendant cinq ans», assure Emna, une jeune Tunisienne travaillant dans une entreprise privée.
Les partis allant du centre-droit à l’extrême-gauche ne cessent dès lors de dénoncer un risque de «bipolarisation» de la vie politique et de prôner les vertus d’un scrutin qui permet même aux petits d’être représentés. «Les Tunisiens et les Tunisiennes méritent une représentativité plus large», martèle Mohamed Hamdi, de l’Alliance démocratique. «Le vote utile est une supercherie politique, de la paresse politique», assure aussi Samir Taïeb, tête d’une des listes de l’UPT. Pourtant, l’UPT s’est d’ores et déjà dit prête à former une alliance post-électorale avec Nidaa Tounès et à recréer leur éphémère alliance anti-Ennahda formée après les assassinats en 2013 de deux opposants aux islamistes. D’autres partis font eux campagne sur le «ni, ni», estimant qu’Ennahda et Nidaa Tounès cherchent en réalité à se partager le gâteau, au nom du «consensus».
«Alliance
contre-nature»
«Le scénario est connu. Avant les élections, (ils disent) ‘nous ne nous allierons pas’, après, on vous dira ‘l’intérêt national requiert un gouvernement de consensus’. Tu votes Ennahda, tu te retrouves avec Nidaa, tu votes Nidaa tu te retrouves avec Ennahda !» estime le richissime Slim Riahi, à la fois patron de club de foot, chef de parti, candidat à la présidentielle et homme d’affaires au passé controversé. Dans ce contexte, pour Khaled Abid, il est possible qu’aucune force politique islamiste ou séculière n’ait de majorité assez forte pour créer une majorité homogène, et dès lors la Tunisie pourrait bien connaître une période d’instabilité politique. Parmi les scénarios possibles, «Nidaa pourrait être obligé de former un gouvernement avec Ennahda. Une alliance contre-nature mais pragmatique, et qui ne durera pas forcément», dit-il. Sans compter les divisions au sein de certains partis. Nidaa Tounès, agité par des tensions internes, a exclu en septembre deux de ses figures; l’une ayant publiquement posé des questions sur l’état de santé de Béji Caïd Essebsi, l’autre soutenant un candidat différent à la présidentielle. Certains militants reprochent en outre à leur leader de ne pas passer la main à une génération plus jeune, et d’autres enfin n’apprécient guère un rapprochement trop marqué avec des caciques du régime déchu.