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Disparition : Nouria Kazdarli, la comédienne si douce mais au visage dur comme l’acier

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Nouria Kazdarli, née Khadidja Benaïda, femme de théâtre et actrice algérienne, a vu le jour en 1921 à Ammi Moussa dans une famille d’agriculteurs originaire de Matmata dans le Ouarsenis, près de Tiaret.

Ali El Hadj Tahar

A 14 ans, elle quitte le bled pour aller vivre chez sa sœur Mimouna, mariée à Mostaganem. C’est dans cette ville côtière que la jeune Khadidja fait la connaissance de Mustapha Bouhrir, un jeune bachelier qui deviendra plus tard son époux et qui sera plus connu sous son nom d’artiste, Mustapha Kazderli. Après le mariage en 1939, le couple s’installe à Alger. Alors que le mari travaille à l’Électricité et gaz d’Algérie (EGA), puis à la mairie d’Hussein Dey, elle exerce le métier de couturière.
Curieux, Mustapha s’intéresse au 4e art d’autant qu’il existe un théâtre à Mostaganem, dont le figure de proue reste Ould Abderrahmane Kaki et, plus tard Djamel Bensaber. C’est en 1930, à l’initiative de la zaouia alaouia et son cheikh Ahmed Benmostefa El-Alaoui, au niveau du quartier de la basse souika, que le théâtre nait à Mostaganem. Déjà consciente de l’enjeu culturel, la zaouia faisait de cette activité théâtrale « des soufis et des saints » un vecteur de sauvegarde de l’identité nationale et religieuse des Algériens et une forme de résistance à la déculturation. C’est aussi dans les années 1930 que se crée le premier groupe de scouts, le groupe El Falah à Tijditt, qui forme une troupe de théâtre afin de drainer à lui les Mostaganémois. Durant plusieurs années, ce groupe a réussi à former de nombreux talents dans l’écriture, la comédie et la mise en scène et a présenté  plusieurs œuvres, notamment Mariage à l’amiable, ainsi que Les meurtriers, réalisée par Si Djillali Mustapha Benabdelhalim (1920-1990) dont le nouveau théâtre régional de Mostaganem porte le nom  et qui a participé à créer une activité théâtrale au sein de l’Association culturelle Saïdia en référence à Sidi Saïd dont le maqam est situé au centre-ville de Mostaganem. Cette association était composée, au début des années 1950, d’hommes de théâtre et de musiciens. C’est au sein de cette association que Ould Abderrahmane Kaki a rejoint le mouvement théâtral Algérien dont El Guerrab Oua Salhine donne un cachet essentiellement mostaganémois au 4e art nationale.
Mustapha baigne dans cette ambiance chaleureuse, patriotique et créative du théâtre mostaganémois, et lorsqu’il s’installe avec Khadidja à Alger en 1939, il travaille à la compagnie Lebon de l’EGA avec Boualem Raïs, puis à la mairie d’Hussein Dey avec Taha El Amiri (Bestandji). Les trois hommes, qui ont une expérience d’acteurs, créent avec Mustapha Badie une troupe théâtrale, le « Croissant algérien ». Ils sont rejoints par Abderrahmane Aziz et Latifa, avant que leur troupe théâtrale ne se fonde quelques mois plus tard dans «la troupe des artistes associés». Khadidja, qui était couturière, habitait avec Mustapha dans un studio, à Bab El Oued. Le studio était une sorte de club où étaient reçus tous les artistes qui y venaient : Touri, Sid Ali Kouiret, Rouiched et d’autres amis de Mustapha. Khadidja baignait dans le théâtre, puisque la campagnarde et son mari recevaient les amis sans complexe. Un jour, à la fin de l’année 1945, la troupe devait faire une tournée dans le Constantinois, et comme il manquait une femme pour un rôle mineur, Boualem Raïs a demandé à Khadidja de l’interpréter d’autant qu’elle n’avait que deux phrases à dire. Avec la complicité de son mari, elle a cède. Durant tout le trajet en direction de Constantine, Abderrahmane Aziz ne cessait de lui faire répéter les deux fameuses phrases du rôle. Avec le souhait de son mari, Khadidja Benaïda intègre donc la troupe, débutant ainsi sa carrière de comédienne en s’affirmant d’autant plus vite que les Algériennes se comptaient encore sur les doigts d’une seule main puisqu’il n’y avait que Keltoum avant elle, qui avait débuté sur les planches en 1935. Khadidja adopte le nom d’artiste de son mari et prend pour prénom Nouria. Nouria Kazdarli, l’étoile montante du théâtre algérien est ainsi née.

Grands ou petits rôles : le destin d’une grande artiste
Depuis, elle sera sur les planches jusqu’à la révolution, aux côtés de Taha El Amiri et Mustapha Badie, entre autres, avant de rejoindre la troupe du FLN en Tunisie. Nouria a souvent interprété le rôle d’une mère au foyer très effacée, en tout cas typiquement algérienne avec sa nature simple attachée aux valeurs traditionnelles. Cette femme, au visage presque carré d’Amazone, était faite pour le cinéma ou le théâtre, et c’est aussi sa timidité qui lui a permis de faire plus de 200 pièces de théâtre, 160 téléfilms et 4 longs métrages. Mais sans jamais dépasser le rôle secondaire, presque de figurante, dans un casting connu d’avance. Néanmoins, Nouria est l’une des grandes figures du théâtre et du petit écran algérien, dans ce rôle de mère au foyer typiquement algérienne.
Sa vie est indissociable de tous les grands du théâtre algérien : Keltoum, Tayeb Aboulhassan, Hassan Hassani, Madjid et Habib Réda, Sid Ali Fernandel, Kouiret, Mohamed Debbah, Momo, Djelloul Badjarah, Rachid Ksentini, le ténor Mahieddine Bachtarzi… Durant le révolution, toutes les pièces, y compris celles qui faisaient rire ou basée sur des histoires vivrières aux mièvres avaient un fond nationaliste, et à la fin de chaque représentation, les comédiens et le public chantaient en chœur Min Djibalina non sans avoir pris soin de mettre des sentinelles à l’entrée du théâtre pour prévenir d’une éventuelle descente des policiers ou des gendarmes. «Le théâtre d’alors, et j’en suis le témoin et l’actrice vivante, était un théâtre bouleversant, mais un acte juste, politique. Une prise de position, un jeu sur l’engagement et le quoi faire de soi d’une grande générosité comme le théâtre peut en offrir rarement sans théorie, sans dérision, sans complaisance», dit-elle.
Du théâtre à la télévision en passant par le cinéma, Nouria a fait sa carrière, assumant chaque rôle, important ou minime, puisque ce qui comptait pour elle était d’être sur les planches, ou devant une caméra, et gagner sa vie. Son mari, Mustapha décède en 2001, et sa vie a continué, au sein de sa famille, notamment avec sa fille. Ses plus beaux souvenirs sur les planches remontent à La maison de Bernarda, de Federico Garcia, Les Concierges de Rouiched, Amar Bouzouar de Abdelhamid Rabia et Montserrat, «une pièce politique où elle a tenu le rôle de la mère. Le cinéma on joue devant son propre miroir, devant un réalisateur, alors qu’au théâtre on est jeté comme un toréador au milieu de l’arène. «On est en face du public avec notre solitude. Au cinéma, on est ligotés par les directives du réalisateur. On obéit à des ordres, on ne ressent pas forcément ce que l’on joue,» dit-elle. Elle a décédé le 9 aout à l’âge auguste de 99 ans.
Cet article doit beaucoup au livre de Achour Cheurfi, Dictionnaire du cinéma algérien et des films étrangers sur l’Algérie, Casbah Editions, Alger, octobre 2013, 1152 pages. Il est dommage que le théâtre National d’Alger n’ait même pas une note biographique de cette artiste dans son site Web.
A. E. T.

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