Nada Alfuraih s’enthousiasme en guidant des visiteurs à travers un ancien palais fait de paille et de pisé, un site historique datant du 18e siècle, où la famille royale d’Arabie saoudite aurait imaginé sa conquête de la péninsule arabique.
S’arrêtant dans une salle de 20 mètres de haut jadis réservée aux grandes assemblées, cette guide saoudienne montre cet aspect de l’histoire de son pays, tout en regrettant qu’une partie de la jeunesse semble l’ignorer. «Je rencontre des visiteurs qui n’en savent rien. Ils ont dû passer à côté de cette partie de leur éducation», raconte-t-elle à l’AFP. Le palais restauré, situé dans le quartier historique de Diriyah, en périphérie de la capitale Ryad, ouvrira dans les prochains mois ses portes au grand public pour la première fois. Nommé prince héritier en juin 2017 à l’âge de 36 ans, Mohammed ben Salmane, surnommé MBS, est le dirigeant de facto de la puissante monarchie du Golfe et cherche à réveiller la fibre patriotique de la population. Des expositions disséminées dans le palais mettent en lumière la famille Al-Saoud bien avant la fondation officielle du royaume dans les années 1930. Mais il n’est fait aucune référence à Mohammed ben Abdelwahab, figure religieuse à l’origine du «wahhabisme», une version rigoriste de l’islam accusée d’avoir inspiré les mouvements extrémistes dans les pays musulmans. La mosquée d’Abdelwahab, restaurée, est encore ouverte sur le site mais un centre de recherche construit il y a sept ans et dédié au «wahhabisme» est fermé. L’alliance entre les Al-Saoud et l’instigateur du «wahhabisme» a longtemps alimenté l’image austère du royaume, dont MBS cherche précisément à se défaire, réprimant, au passage, les voix dissidentes de manière implacable. Oubliée la police religieuse: Diriyah propose des attractions plus conformes à la vision du prince d’une Arabie saoudite moderne qui s’ouvre au monde avec des restaurants gastronomiques, des galeries d’art et même un circuit de Formule E.
«Art, catch et rave party»
«Diriyah incarne parfaitement le nouveau nationalisme saoudien», explique à l’AFP Kristin Diwan, du centre de réflexion Arab Gulf States Institute. Selon cette spécialiste de la péninsule arabique, le palais place les Al-Saoud au coeur de l’histoire saoudienne «tout en effaçant Mohammed ben Abdelwahab du récit national». «Le changement (…) vous saute aux yeux», fait-elle remarquer. Si l’actuel Etat saoudien n’a que 90 ans, la dynastie au pouvoir remonte aux années 1700. La famille régnante est renversée à deux reprises avant qu’Abdelaziz ben Saoud n’établisse l’Arabie saoudite moderne, se déclarant roi en 1932. La découverte du pétrole six ans plus tard transforme le royaume largement désertique en l’une des nations les plus riches du monde.
Au fil des siècles, l’alliance historique avec Abdelwahab confère une légitimité religieuse aux dirigeants politiques d’un pays qui abrite les lieux les plus sacrés de l’islam et organise chaque année le grand pèlerinage du hadj. Mais MBS a cherché depuis cinq ans à écarter les figures religieuses, notamment la police des moeurs qui harcelait les jeunes couples et forçait les hommes à aller prier. Pour le prince, Diriyah doit devenir une destination en vogue avec des «des biennales d’arts, des tournois de catch et des rave party qui coexistent difficilement avec le wahhabisme», souligne Kristin Diwan.
«L’Acropole des Saoudiens»
L’homme chargé du «lifting» de Diriyah, Jerry Inzerillo, estime que le site historique pourrait devenir pour les Saoudiens ce que l’Acropole représente pour les Grecs ou le Colisée pour les Italiens. Les dirigeants actuels sont convaincus que l’identité nationale doit «se trouver dans un riche passé saoudien», dit à l’AFP ce professionnel du divertissement américain selon qui le prince «approuve» chaque projet à Diriyah.
En face de l’ancien palais, le quartier de Boujairi, où vivait autrefois Mohammed ben Abdelwahab, accueille des restaurants haut de gamme. Le palais lui-même comprend des zones de reconstitution historique, de danse de l’épée, de fauconnerie et de spectacles équestres.
Ailleurs à Diriyah, des salles ont déjà accueilli des concerts de rap et de musiques électroniques ainsi qu’un match de boxe entre les champions mondiaux Anthony Joshua et Andy Ruiz. «Il y a 300 ans, il y avait de la musique à Diriyah, les meilleurs musiciens de la région, de l’art, des peintres», fait valoir Jerry Inzerillo. «Si une société veut être épanouie et heureuse, elle doit être divertie», estime-t-il.