Visiter, aujourd’hui, la ville d’Oran vous laisse perplexe. Le constat est malheureusement amer. Rien n’a changé. Les avenues sont toujours achalandées et les détritus, de toutes sortes, jonchent le sol, malgré les prouesses quotidiennes des services de l’APC qui sont dépassés par l’ampleur que prennent les choses. On jette, on se débarrasse de n’importe quoi, pourvu que ça n’entasse pas à l’intérieur. Tant pis pour la ville qui devient, inéluctablement, un véritable dépotoir à ciel ouvert. Cinquante-trois ans après l’Indépendance, nous vivons toujours dans l’insalubrité, dans le désespoir, dans l’insécurité, les agressions, les vols et les magouilles. Chacun se plaint, chacun se lance dans d’interminables discours de morale, oubliant un instant que lui-même se conduit de la même façon de ceux qu’il accuse ouvertement et sans le moindre scrupule. Alors qu’il devrait en somme et en toute logique commencer par lui-même et donner l’exemple. Ceci me rappelle un événement qui nous renvoie en Iran, où un journaliste interviewait le défunt Khomeiny sur la présence d’infidèles et d’athées qui étaient au nombre de 150 000. La réponse du leader iranien ne désarçonne guère le journaliste. Nous sommes immunisés contre eux de par notre religion, et d’ailleurs, ajoute-t-il, ils représentent une minorité. Une minorité, rétorque le journaliste, qui a permis à Lénine en 1917 de renverser le tsar avec la suite que l’on connaît. Si chacun s’attèlle à sa tâche quotidienne, veille scrupuleusement au bon rendement, tout finira par rentrer dans l’ordre. Or, ce n’est pas le cas. Chacun cherche à s’enrichir rapidement, qu’importe les moyens utilisés, pourvu qu’il arrive, et c’est vraiment dommage !
Les prix à Oran flambent et grimpent en flèche
Au marché de gros des fruits et légumes dans le quartier Petit, la pomme de terre a atteint même les 100 DA le kilo, et les bananes entre 200 et 210 DA. L’oignon, lui aussi, fait parler de lui, obéissant à certaines règles de Douane. La grande bâtisse qui abrite tout ce monde ouvre à partir de 3 ou 4 heures du matin. Les produits sont déposés à même le sol sur des balances, dont certaines sont douteuses. Des pousse-pousse (petits chariots en planches ou en métal montés sur deux roues) conduits sans vergogne par des jeunes et des vieux, vous proposent leurs services et «naviguent» comme ils veulent, ne respectant personne
Vous pouvez être fauché à tout moment
Dehors, stationnement des véhicules cabossés, dont le moteur éprouve beaucoup de peine à tirer, crachant une fumée compacte qui vous asphyxie… Défoncés de chaque côté, les cageots des fruits et légumes sont chargés pour être acheminés vers les détaillants qui attendent le consommateur de pied ferme.
On raconte que durant les mois de juillet et d’août, l’augmentation des prix est volontaire à cause des immigrés et ceux qui viennent d’autres régions du pays. Dans la ville nouvelle «M’dina J’dida», c’est le tohu-bohu généralisé sous toutes ses formes. Divers objets hétéroclites, éparpillés à même le sol, font l’objet de convoitise et de tentation que des voix stridentes et criardes vantent leurs bienfaits et leur prix fort alléchant. Chacun finit par trouver son compte. De l’autre côté, des femmes d’un âge avancé, des hommes, qui traînent difficilement la patte, exhibent eux aussi des vêtements, souvent pris de la maison, et bradés à des prix qui défient toute concurrence parce que la facture d’électricité est tombée au mauvais moment, et il faut s’en acquitter. Faute de quoi, toute la famille se retrouvera dans le noir. Un autre pour couvrir une ordonnance dont le revenu mensuel ne peut supporter. Et le chapelet est long à égrener.
Des gosses tirant des charrettes remplies d’objets divers, déambulent dans tous les sens. Des policiers sont là, et veillent à ce que la réglementation soit respectée. Et, souvent, c’est le sauve qui peut général. L’alerte est donnée et chacun se démène comme il peut. Les retardataires et les étourdis en font les frais. Et c’est le cas d’un enfant, dont l’âge ne dépasse guère les 13 ans, victime de la déperdition scolaire, dont le visage garde encore les traces de la chaleur et la sueur qui dégouline. Un policier, bien baraqué, lève sa matraque et sans lui demander de s’en aller, la brandit et l’abat violemment sur le dos du gosse qu’une chemisette effilochée, ternie et usée par le temps et le soleil, couvrait. La chair meurtrie, le souffle coupé, il plie sous la douleur, regarde le policier, d’un regard qui en dit long sur la «hogra», ce mépris, et une larme remplit ses yeux. La gorge serrée, il voulait réagir puis se ravise. Il reprend son chemin complètement révolté et dépité. Sur la placette, le comportement lunatique et particulier d’un homme marqué par l’âge, défilement latent du temps attire les curieux. Dans ses mains, il tenait un journal rempli d’abats de volailles. Là, tout prêt d’un bosquet, il étale doucement une partie de la nourriture et appelle gentiment les chats qui se trouvent là. Reconnaissant cette âme charitable, il se pressent autour de lui et entament leur festin. Il répète l’opération un peu plus loin. Je les nourris quotidiennement répond-il. Heureusement, certains font don des abats, mais certains habitants n’ont pas hésité à éliminer quelques chats . S’attaquer à des bêtes : inadmissible!
À la Poste, pour parer à toute éventualité et pour effectuer un retrait, il faudrait se lever tôt. À 7h30, la grande porte métallique forgée, dont certains canaux sont cassés, s’érige devant les nombreux clients potentiels. Une file de personnes se trouve là. Il faudrait prendre son mal en patience. Un malade mental surgit je ne sais d’où et se plante devant l’entrée. S’adressant à ces gens en des termes qui indiquent le contraire sur son état de santé : Écoutez, mesdames et messieurs, vous allez tous passer, il suffit de respecter la queue et d’éviter la bousculade.
À 8h05, le bureau est encore fermé, les gens s’impatientent et montrent bien leur mécontentement.
Il faut s’y faire
Un septuagénaire s’exclame à haute voix. Une fois, raconte-t-il, je me suis levé très tôt pour être parmi les premiers et éviter l’attente. Au moment de l’ouverture, je fus bousculé sans aucune gêne et malmené, me retrouvant bon dernier. À quoi bon se réveiller tôt ? 8h 06, la porte s’ouvre enfin et c’est l’assaut. Une séquence des anciens films de pirates qui se lancent à l’abordage du vaisseau attaqué. Et les paroles du septuagénaire sont ainsi vérifiées. Aucune étique, aucune morale ! Devant les guichets, des agents prêts à «griffer» au lieu de montrer un visage serein, aimable et magnanime, sont rébarbatifs et d’une insolence caractérisée qui frise le ridicule. À votre tour, vous aussi, vous avez envie de «mordre». Dans certainnes boulangeries, des pâtisseries que le propriétaire du local n’a pas jugé utile de protéger font l’objet de l’attraction d’abeilles et de guêpes qui risquent à tout moment de vous transpercer avec leur dard .
Où sont passés les services d’hygiène ?
Se rendre en période estivale aux Andalouses où à El-Ayoun, représente un véritable calvaire et une terrible épreuve pour les nerfs qui agissent en vrai catalyseur de colère et de paroles souvent insidieuses et insipides. Il faut plus de trois heures pour faire 15 ou 20 km dans l’insécurité totale, où certains conducteurs, irrespectueux des règles les plus élémentaires, engendrent des dégâts et des pertes de vie qui, dans la plupart des cas, auraient pu être évitées. Des motocyclistes imprudents, sans casque, au nez et à la barbe de tous, y compris les gendarmes, se faufilent entre les véhicules dans un bruit assourdissant. Une baignade pour se défouler et recharger ses batteries pourrait vous coûter la vie, ou avoir de graves conséquences physiques. Autant ne pas y aller, me diriez-vous, mais rester cloîtré chez soi n’est pas une mauvaise idée. Passer par la Corniche supérieure ne vous avance à rien puisque le scénario est identique. Là, aussi, des motos font la loi, certains de ces engins ont été «revus et corrigés » pour plus de puissance. Ainsi des «Peugeot 103» atteignent et dépassent même les 100 km par heure.
Les trottoirs sont squattés et transformés en véritables terrasses par les propriétaires des cafés. Tant pis pour les piétons. Ils ont la chaussée avec les risques qu’ils encourent à chaque instant. Personne ne s’en soucie, tout le monde s’en fiche. Et pour ceux qui se sont déplacés, afin de passer sereinement les vacances, les voilà servis. L’insécurité, les vols, les agressions font la «Une» des journaux et des radios locales. Personne n’est à l’abri. Devant les immeubles, le spectacle est saisissant et abominable. D’énormes tas d’immondices et d’ordures ménagères couvrent le sol. Les éboueurs enlèvent ce qu’ils peuvent et souvent, par inadvertance, des sacs sont jetés du haut d’un bâtiment. Les pigeons sont partout et leurs déjections atterrissent souvent sur votre linge fraîchement lavé ou sur votre crâne.
On s’y habitue !
Cependant, certains quartiers de la ville d’Oran demeurent attrayants. Avec l’implication de tous, Oran retrouvera son image d’antan et redeviendra, Wahrân el-Bahia .
Safi A. T.