Au Maroc, la répression contre la liberté d’expression, la soumission et la fermeture pure et simple des médias indépendants n’a jamais atteint un tel niveau de recrudescence caractérisé. On le sait, le régime royal alaouite fait peu cas des libertés publiques, et encore moins de celles d’une jeune presse indépendante qui, à peine âgée de 30 ans, est tout simplement démantelée, aujourd’hui. Toute voix critique à l’égard de « Sa Majesté » ou de son entourage immédiat est vite matée : prison, diffamation, procès d’intention … Sur le plan social, comme s’il n’est pas déjà abusé de réduire la condition humaine à un simple sujet à mater à volonté, la politique de paupérisation du roi gagne des pans entiers du peuple marocain. Autant dire, tous les ingrédients sont réunis pour augurer une explosion sociale « imminente », comme l’a présagé récemment le professeur d’histoire, Pierre Vermeren, sur les colonnes du journal français Le Figaro. Les faits sont têtus. C’est ainsi que, ce spécialiste du Maghreb contemporain qui officie à l’université de Paris I a édité récemment un ouvrage intitulé : « Le Maroc en 100 questions: Un royaume de paradoxes », où fixe la situation de la liberté d’expression en particulier et des libertés publiques en général au Maroc. Interrogé à ce propos, il dresse un tableau noir de la situation de la liberté de la presse et des médias libres.
Plusieurs centaines d’artistes et d’intellectuels marocains critiquent la régression de la liberté d’expression des opposants dans le pays. L’historien du Maghreb contemporain juge que Rabat opère en effet un «tour de vis» alors que les tensions sociales augmentent. « On observe à la fois une permanence et une recrudescence. Une permanence puisque depuis 2009, l’essentiel de la presse indépendante née de la transition marocaine des années 1990 avait été démantelée. Cela n’empêche pas certains titres ni des plumes de renaître de manière indépendante, mais alors, très vite, les ennuis commencent: diffamation, procès, prison… Reporters sans frontières classait le Maroc au 133e rang mondial (sur 180) de la liberté de la presse en 2010. » Il rappelle ainsi les arrestations de journalistes pour ne citer que le cas les plus en vue comme Omar Radi et Hajar Raissouni. Pas que, puisque « des personnages publics (rappeurs, journalistes, sportif, historien) voire des parents de personnages politiques (comme Hajar Raissouni), souvent mis en cause dans des histoires de mœurs montées de toute évidence par la police politique », a-t-il indiqué. Dans une analyse plus poussée, Pierre Vermeren explique que ces attaques contre les journalistes « sont redoutables dans une société conservatrice où l’opinion publique est prise à témoin pour salir de fortes têtes. Cela n’empêche pas des esprits indépendants ou choqués, voire des associations diverses, de protester systématiquement contre ces abus de pouvoir. Certaines figures bien connues y montrent du courage. » À rappeler en ce sens le manifeste signé par 110 journalistes qui ont appelé les autorités marocaines à prendre des mesures contre les médias dits de « diffamation », autrement dit, les journaux inféodés au roi qui lui servent aussi bien de relais que de chien d’attaque contre les voix discordantes.
Les ingrédients d’un marasme social
Sur le plan social et politique, Pierre Vermeren remonte jusqu’à la révolte des rifains en 2017, lorsque les services de sécurité marocains ont violemment réprimé les manifestants, emprisonnés et même torturés pour beaucoup. Cet illustre comme précédent à lui seul « les énormes carences de la gouvernance et du développement dans les régions du Maroc périphérique », souligne le professeur émérite d’histoire. Récemment, ce qu’il appelle « un sursaut du durcissement » de la répression s’est accentué avec l’apparition de la pandémie de Covid-19. Des ingrédients aux conséquences économiques désastreuses sur le Maroc qui n’arrive pas à faire démarrer une machine à l’arrêt depuis la fermeture des frontières du fait de la pandémie. Devant cet état de fait, le palais royal assiste impuissant et cite Pierre Vermeren, des conséquences qui « ont été ressenties par le pouvoir (Marocain) comme autant de menaces systémiques. » À cette situation, s’ajoute la suppression des subventions, le chômage de masse et l’impossibilité pour les citoyens d’émigrer. Des résultats qui « rendent la situation potentiellement explosive. Le Maghreb vit depuis mars-avril en quasi-état de siège, même les mosquées y sont fermées. Des quartiers de grandes villes sont bouclés, et les gens vertement priés de rester chez eux ou au mieux dans leur ville ou province. La police et les forces anti-émeutes font respecter ces consignes drastiques, sans empêcher parfois des débordements», explique-t-il. Il en veut pour preuve à ses dires, pendant la fête de l’Aïd, un marché de Casablanca a été pillé, et les gens sont repartis avec leurs moutons sans les payer ; plus récemment, deux camions de livraison de Coca-Cola ont été pillés dans Casablanca… ».
Farid Guellil