Au troisième anniversaire de la révolution ayant évincé Omar el-Béchir, des centaines de milliers de Soudanais ont repris la rue au cri de « A bas Abdel Fattah al-Burhane », le général qui a récemment renforcé la férule de l’armée sur le pays, bravant des violences qui ont fait plusieurs blessés.
Aux abords du palais présidentiel, l’ancien QG du dictateur désormais siège des autorités présidées par le général Burhane –auteur le 25 octobre d’un coup d’Etat qui a mis un coup d’arrêt à la transition démocratique–, les manifestants ont décrété en soirée un « sit-in » sur le modèle de celui qui, lancé il y a trois ans jour pour jour, renversait Béchir. Aussitôt l’annonce faite via des haut-parleurs, un barrage de grenades lacrymogènes a plu sur la foule, qui comptait encore des milliers de manifestants en soirée, a constaté un journaliste de l’AFP. Dans l’après-midi déjà, la police avait tiré en l’air à balles réelles et usé de grenades lacrymogènes pour tenter de disperser les manifestants, faisant plusieurs blessés aux abords du palais présidentiel à Khartoum, avaient indiqué des témoins à l’AFP. La capitale de ce pays d’Afrique de l’Est, l’un des plus pauvres au monde, était quadrillée depuis le matin par les forces de sécurité en prévision de l’anniversaire de la « révolution » qui a mis fin à 30 ans de dictature militaro-islamiste. Après le putsch et la répression des partisans d’un pouvoir civil qui a fait 45 morts et des centaines de blessés, les fers de lance de la « révolution » anti-Béchir veulent relancer un mouvement qui s’est essoufflé parmi les 45 millions de Soudanais englués dans une inflation à plus de 300%. Eux ne croient pas aux promesses du nouveau pouvoir: le 21 novembre, le général Burhane a rétabli le Premier ministre civil Abdallah Hamdok qu’il avait fait arrêter lors du putsch et annoncé des élections pour juillet 2023. Mais le pays n’a toujours pas retrouvé de gouvernement civil et pour les pro-civils, M. Hamdok est un « traître » qui facilite le « retour à l’ancien régime ».
« Une seule demande »
« Notre révolution cherche à instaurer des institutions et non pas des individus », explique ainsi à l’AFP un manifestant au milieu de la foule, d’une ampleur inégalée depuis longtemps.
« Nous n’avons qu’une seule demande et c’est la formation d’un gouvernement civil indépendant de l’armée », renchérit un autre, sous une nuée de drapeaux soudanais et de slogans affirmant que « le peuple a choisi les civils » et que « le pouvoir est au peuple ». M. Hamdok, désormais conspué par la rue, a, dès avant les manifestations du jour, mis en garde contre de nouvelles violences qui risquent « d’entraîner le pays dans un abîme ». Lui qui ne cesse de défendre son accord avec le général Burhane a reconnu que « la révolution » était « confrontée à une régression majeure menaçant la sécurité, l’unité et la stabilité du pays ». Les Soudanais ont choisi le jour du 19 décembre pour manifester car, en plus de marquer le troisième anniversaire du début de la révolution anti-Béchir, c’est ce jour-là, en 1955, que le Parlement du pays toujours sous tutelle britannique avait proclamé l’indépendance.
« Le coup d’Etat a coupé la route à la transition démocratique: avec lui, les militaires ont pris le contrôle total de la vie politique et économique », affirme à l’AFP Achraf Abdelaziz, patron du quotidien indépendant « Al-Jarida ».
Bien avant le putsch, Khartoum reconnaissait que 80% des ressources du pays n’étaient toujours pas sous son contrôle –très probablement aux mains des militaires.
Civils divisés
Pour Khaled Omer, ministre évincé lors du putsch et cadre des Forces de la liberté et du changement (FLC), fer de lance civil de la « révolution », ce putsch doit donner « l’occasion de corriger les défauts du système d’avant ».
Cet attelage avait rallié en 2019 sous une même bannière anti-Béchir civils, militaires et paramilitaires, rejoints en 2020 par les rebelles de régions reculées du pays.
Mais si l’union sacrée a fait long feu — les civils entendaient récupérer seuls le pouvoir sous peu, les militaires ont imposé la prorogation pour deux ans du mandat du général Burhane à la tête de facto du pays — les civils n’ont pas jusqu’ici présenté de plan d’action, ne cessent de répéter les diplomates qui les rencontrent régulièrement.