La cité du Soleil, l’une des toutes premières pièces (1987) du romancier Mouloud Mammeri a été présentée samedi soir en répétition générale au théâtre régional de Béjaïa a séduit à plus d’un titre. Ecrit sous forme de sottie, un genre médiéval, voire un conte, le texte a été subtilement adapté et transformé en une fresque, fondamentalement tragique mais inspirant la gaieté. Adaptée par Fernand Garnier et mise en scène par son fils Romano du théâtre de Grenoble (France) en collaboration avec les théâtres de Béjaïa et Tizi Ouzou, la pièce croque un drame rural, celui des habitants d’Héliopolis, de l’Egypte antique, aux prises avec l’absolutisme de leurs dirigeants, qui peinent à trouver la voie pour s’en affranchir. Ecrasés, privés des joies ordinaires de la vie, à l’instar de la musique dont ils ne pouvaient en jouir, à cause d’un décret considérant la flûte comme un instrument de subversion, ils finissent par s’engager dans une profonde réflexion sur le bonheur et la félicitée dont la quête a fini par leur révéler la vérité sur leur sort et la nécessité de se révolter alors en brisant leurs chaines.
Mais avant d’y parvenir, l’auteur met en scène, un singe savant dont les tours de passe-passe amusent et distraient le peuple déjà indolent mais qui, paradoxalement, le maintient dans l’état de sa servitude. Ici, Mammeri en utilise le subterfuge « pour s’en prendre à la société du spectacle, non en tant que productrice d’art mais en tant qu’instrument de limitation des espaces de dialogue, dont la carence phagocyte les esprits », relève Kemmar Mohand, de l’association théâtre de la colline de Tizi Ouzou. « Quand on présente le singe au peuple, celui-ci applaudit. Quant on veut lui parler de vérité, il écoute moins car il est attiré par le jeu », y voit-il, corroborant son constat par une réplique de Molière sur l’attitude de son public, riant à toutes les farces, mais se montrant moins regardant sur leurs symboliques et leurs portées. « Riez, riez braves gens, c’est votre propre tragédie que je mets en scène », s’offusquait-il alors, soulignant que Mammeri, influencé par Molière et Racine, a « repris le même chemin ». En fait la trame est lourde et profonde. Elle aborde, en une chronique, une multiplication de thèmes dont les rapports ambigus voire ambivalents entre les politiques et le peuple, et la collusion entre le religieux et le politique.Mais, elle reste digeste, du fait de la qualité de la mise en scène, conçue tout en parabole, et qui de plus a pris le parti de se décliner dans une forme comique. « C’est un peu le roi Ubu d’Alfred Jarry. Mais on est dans une autre sensibilité », souligne Fernand Garnier, trouvant que le texte littéraire de Mammeri était difficile, notamment par ses approches psychologique, politique et spirituelle mais qu’il a fallu alléger en assurant l’articulation entre les trois niveaux par le rire. La pièce en effet est drôle, délivrée dans un style décalé, alliant la farce à la moralité, et construite de façon étonnante, enjolivé de plus par l’usage du kabyle et du français, employés dans une subtile harmonie. La pièce sera rejouée à Constantine, capitale de la culture arabe, puis livrée au grand public en France avant de revenir à Béjaïa dans le cadre du Festival international du théâtre, prévu en octobre prochain.