Une « tactique barbare », un « crime de guerre » : les condamnations par les Nations unies de la pratique des sièges imposés aux civils en Syrie sont allées crescendo depuis le tollé suscité par le calvaire de Madaya, cette localité proche de la frontière syro-libanaise verrouillée par l’armée et le Hezbollah et frappée par la malnutrition.
Mais dans la petite ville, malgré l’entrée de trois convois en janvier, la faim continue de faucher des vies. Et les avancées vers une levée des sièges en Syrie, espérées par les acteurs humanitaires internationaux basés à Damas, après le scandale de Madaya, n’ont pas eu lieu.
Dans le pays ravagé par la guerre, plus de 480 000 Syriens vivent encerclés selon l’ONU ; ils sont au moins deux fois plus nombreux, affirment des militants et des humanitaires. Au-delà du danger à opérer dans ces zones, le blocage des autorités syriennes empêche l’acheminement de l’aide. En 2015, seules une dizaine d’opérations des Nations unies ont été autorisées dans les zones assiégées ou difficiles d’accès. L’armée et ses alliés tiennent la plupart des sièges. Mais, pour convoyer de l’assistance dans les zones encerclées par les rebelles – qui tiennent en étau entre 10 000 et 20 000 habitants dans la province d’Idlib –, Damas doit aussi donner son accord. Son feu vert va être encore nécessaire, si les Nations unies décident que les conditions de sécurité sont réunies pour mener l’opération, à l’envoi d’aide par voie aérienne afin de secourir les 180 000 habitants de Deir ez-Zor réfugiés dans les quartiers sous contrôle de l’armée et assiégés par les djihadistes de l’organisation État islamique (EI).
Etau implacable
Dans les zones verrouillées, où les habitants, civils et combattants, vivent sans électricité et sans eau, et souvent au rythme des bombardements ou des affrontements, les mêmes scènes de privation se répètent. À Deir ez-Zor, « où la population vit dans la terreur des avancées de l’EI et les hommes essaient d’échapper au recrutement forcé du régime, rapporte Karam Al-Hamad, militant originaire de la ville, des disputes éclatent pour un morceau de pain. De la nourriture a été récemment larguée par les avions russes, mais la plus grande partie a été délivrée aux forces militaires. Seuls quelques civils ont reçu de cette aide ; pour les autres, ils doivent l’acquérir à prix d’or sur le marché, où une partie de ces denrées sont vendues ». À Mouadamiya Al-Cham, une localité de 45 000 habitants proche de Damas où l’étau du régime est devenu implacable depuis décembre, « huit personnes sont mortes de faim et de manque de soins en janvier, et près de 3 500 enfants souffrent de malnutrition », assure Dani Qappani, étudiant et militant joint sur place. Les humanitaires font le même constat d’impuissance. Ceux accrédités à Damas voient toute initiative conditionnée par le régime. Et, pour ceux qui opèrent clandestinement, l’acheminement de l’aide est un casse-tête : « Quand un siège atteint un certain niveau, ce n’est plus le peu de nourriture qu’on peut faire entrer en contrebande, à un prix exorbitant, qui va faire la différence », témoigne un membre d’une ONG internationale. À Mouadamiya Al-Cham comme à Deir ez-Zor, les humanitaires s’alarment d’un risque de famine dans les prochaines semaines.
Parmi les habitants assiégés, la frustration grandit à l’encontre des bureaux de l’ONU à Damas, accusés de faire trop peu pour ne pas froisser le régime. Lors d’une réunion fin janvier en Jordanie, des ONG ont appelé les Nations unies à réviser leurs critères pour définir les régions encerclées, jugées sous-estimées. « Il faut des pressions pour que les routes s’ouvrent, et pas uniquement lorsque la faim fait des ravages », plaide en outre Dani Qappani, à Moudamiya Al-Cham. On est loin d’une entente, même si la levée des sièges et l’accès de l’aide doivent en théorie être discutés à Genève. Sur le terrain, les observateurs constatent plutôt une escalade : depuis 2014, les rares fins ou allégements de sièges ont été obtenus, comme à Homs, par des accords politiques, et non pas humanitaires. Et la tactique des sièges est en train de devenir un dangereux outil de négociations, aux dépens des civils.