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Soudan : les cinémas en déshérence à Khartoum

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Il y a 30 ans, Khartoum comptait une quinzaine de cinémas, bondés chaque week-end. Ils ne sont plus que trois, vivotant dans des locaux défraîchis, victimes de la crise économique et de la politique du régime soutenu par les islamistes. «Dans le passé, les gens appelaient pour réserver des billets et nous projetions des films en anglais le dimanche et en arabe le mardi», se souvient Ali al-Nour, projectionniste dans l’une des trois salles obscures ayant survécu. Ce quinquagénaire à la chevelure grise se languit des jours où les cinéphiles soudanais se pressaient pour rire devant des comédies égyptiennes ou se faire peur avec le dernier thriller hollywoodien. «Le +Palais de la jeunesse et des enfants+ proposait quatre projections par jour, mais il n’y en a plus que deux et parfois même qu’une. Peu de gens viennent, un maximum de 30 à 40 personnes», ajoute Ali avec regret. Ce jour-là, seule une poignée de sièges est ainsi occupée et la plupart des clients sont de jeunes couples cherchant un endroit discret pour se retrouver. Devant le bâtiment en béton, des affiches aux couleurs fanées font la promotion de films d’action indiens datant de plusieurs années. «Le cinéma est dans un mauvais état… En fait, il n’existe plus vraiment», soupire le projectionniste. Les salles obscures de Khartoum, mégalopole de 4,6 millions d’habitants, déclinent depuis l’arrivée au pouvoir du président Omar el-Béchir en 1989 à la faveur d’un coup d’Etat militaire mené avec le soutien des islamistes. «Ils n’ont pas dit clairement que le cinéma était interdit par la religion ou la loi, mais ils ont pris des mesures» qui ont nui à cette industrie, explique Souleimane Ibrahim, un responsable du Sudan Film Group, une association créée quelques mois avant le coup d’Etat pour promouvoir le cinéma. Le régime a notamment fermé l’Institut national du cinéma, un organisme gouvernemental chargé de favoriser le développement du septième art.

Couvre-feu
Pour empêcher des manifestations, il a par ailleurs imposé un couvre-feu dans la capitale de 1989 à 1995, avec des dégâts irrémédiables sur les cinémas en plein air, ces auditoriums dotés de larges écrans et de centaines de sièges. «Comme toutes les projections étaient programmées le soir, elles ont cessé», déplore M. Ibrahim. L’un de ces cinémas, le Halfaya, a survécu jusqu’en 2005, avant de finalement mettre la clé sous la porte. Et aujourd’hui les enfants du gardien s’amusent à tirer des buts dans ce qui était autrefois la scène accueillant un écran. Leur famille habite dans l’ancienne billetterie, au milieu d’affiches de stars de Bollywood, alors qu’à l’étage les projecteurs datant d’il y a plus de 60 ans prennent la poussière. La désertion des salles obscures a été accentuée par l’anémie de l’économie, en particulier après l’embargo commercial imposé depuis 1997 par les États-Unis qui accusent le régime de violations des droits de l’Homme et de liens avec le terrorisme. Le PIB moyen par habitant s’élève, selon la Banque mondiale, à quelque 4 dollars par jour, ce qui rend le ticket de cinéma, à 6 livres soudanaises (un dollar), inabordable pour une grande partie de la population. Malgré l’isolement du pays, les cinémas se battent pour obtenir des films étrangers, mais ils doivent souvent se contenter de productions indiennes, meilleur marché. Alors que plus de 60% de la population soudanaise a moins de 24 ans, de nombreux jeunes n’ont aucun souvenir de l’engouement que leur pays a pu un jour avoir pour le cinéma. Directeur du Sudan Film Factory, qui forme et fournit du matériel aux réalisateurs soudanais en devenir, Talal al-Afifi espère ressusciter la passion. Marqué par le cinéma en plein air de son enfance, qui diffusait «voix, chansons et lumière dans tout le quartier», il a lancé le festival indépendant du film du Soudan, qui tiendra bientôt sa troisième édition. En faisant le pari que des films soudanais se retrouveront de nouveau à l’affiche des écrans de Khartoum.

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