Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne, annonçait le 22 février l’adoption de sanctions contre la Russie, la Birmanie et le Venezuela, accusant ces trois pays de violation des droits de l’homme. Pour l’universitaire Édouard Husson, ces mesures reflètent surtout l’impéritie européenne à se doter d’une politique étrangère.
«Sur les plans diplomatique et militaire, l’Union européenne ne peut absolument pas être prise au sérieux. Contrairement au discours dont se gargarise un certain nombre de dirigeants, il n’y a pas de puissance européenne.» Édouard Husson, professeur à l’Institut franco-allemand d’études européennes à l’université de Cergy-Pontoise, ne mâche pas ses mots devant les caméras de Sputnik au sujet des mesures prises le 22 février par Bruxelles contre la Russie, la Birmanie et le Venezuela.
Lignes rouges –Jean-Baptiste Mendes reçoit Édouard Husson, spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, professeur à l’université de Cergy-Pontoise et auteur de «Paris-Berlin, la survie de l’Europe» (Éd. Gallimard).
Affaire Navalny, putsch de la junte militaire et maintien au pouvoir de Nicolas Maduro, l’Union européenne s’est emparée de ces trois thématiques pour dénoncer des violations de l’État de droit et de la démocratie, en adoptant de nouvelles sanctions.
Un « droit-de-l’hommisme assez vague »
Au menu, interdictions de voyager et le gel d’avoirs sur le territoire européen pour dix-neuf responsables vénézuéliens et quatre hauts fonctionnaires russes. La nature exacte des mesures à l’encontre des généraux birmans devrait quant à elle être prochainement précisée par Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne.
«Il s’agit largement d’une posture sans qu’il y ait derrière tout ça une stratégie véritablement dessinée. Pour faire bonne presse et bonne image, les Européens ont aussi esquissé le début d’une politique de sanctions vis-à-vis de la Chine sur la question de Hong-kong. Mais tout ça n’est pas de mesure à dissuader quelque régime que ce soit de changer de politique», tacle Édouard Husson. Depuis la visite de Borrell à Moscou le 5 février, le ton adopté par Bruxelles laissait néanmoins présager un durcissement des relations avec la Russie. L’Union européenne considère qu’il faut «être très radical en paroles» au nom d’un «droit-de-l’hommisme assez vague». Peut-on alors concevoir ces mesures comme une façon d’imposer les valeurs occidentales au reste du monde?
Pour Édouard Husson, «ces valeurs d’une certaine élite bien-pensante qui se fourvoie dans l’idéologie du genre, dans la pensée décoloniale et autres choses, ne feront qu’agacer le reste du monde. Ce n’est pas parce que le Parlement européen vote des textes où il y a toujours plus de surenchère en termes de valeurs progressistes que pour le coup, l’Union européenne gagne en influence dans le reste du monde.» Par la voix de Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, la France avait même appelé l’Allemagne à «abandonner le projet de gazoduc Nord Stream 2». De son côté, Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères a déclaré être «prêt» à la rupture des liens diplomatiques avec Bruxelles: «qui veut la paix prépare la guerre.»
Pourtant, les sanctions ne se sont «pas extrêmement étendues». La faute –ou grâce– à un «un très laborieux compromis» entre les différents membres de l’Union européenne, remarque l’universitaire.
Il évoque ainsi «d’énormes tensions», notamment entre l’Italie, qui souhaiterait que «les sanctions contre la Russie soient toutes ou en partie levées», et l’Allemagne, qui maintient des «positions très antirusses», tout en ne voulant pas remettre en cause Nord Stream 2. Même paradoxe pour la France, Emmanuel Macron ayant maintes fois plaidé en faveur d’un rapprochement stratégique avec la Russie.
«On s’entend sur un plus petit dénominateur commun. Si l’on voulait pousser plus loin les sanctions, ça ferait éclater le consensus apparent.»
Les déclarations péremptoires ont donc accouché d’une souris. Des sanctions très symboliques, destinées à «la galerie» conclut-il, estimant que ce comportement est «totalement contre-productif» et que la «politique antirusse ne rapportera rien» aux Européens.
L’Europe, combien de divisions?
Le seul résultat tangible est donc le renforcement des tensions avec Moscou, Vladimir Poutine déplorant ainsi la mise en œuvre d’une «politique dite d’endiguement de la Russie». Le chef de la diplomatie européenne a également constaté que «l’Europe et la Russie s’éloignaient petit à petit l’une de l’autre». Pour quelles conséquences? «Il y a une erreur stratégique majeure commise par l’Union européenne, qui ne voit pas que dans le nouveau monde multipolaire […], il est absurde de ne pas laisser d’autre choix à la Russie que de se rapprocher de la Chine pour résister à des sanctions européennes ou américaines», déplore le professeur à l’Institut franco-allemand.
Confrontée à la faiblesse chronique de son hard power, Bruxelles souhaiterait pourtant démontrer qu’il existerait «une politique étrangère et de sécurité commune». Deuxième puissance économique au monde, le géant commercial européen est une organisation internationale, où les vingt-Sept mettent en commun une grande partie de politiques nationales et une monnaie commune. Mais «tout cela ne crée pas une politique étrangère», juge Édouard Husson, pragmatique.
La souveraineté européenne dont «M. Macron nous rebat les oreilles» est une «large illusion», en évoquant les trop rares sujets d’unité entre Européens, mais aussi parce que l’appartenance à l’Otan est «explicitement désignée dans les traités européens». Difficile dès lors d’affirmer une quelconque autonomie stratégique pour l’Europe, qui est «forcément dépendante de ce qui est décidé à Washington». Anthony Blinken, le nouveau Secrétaire d’État américain, assistait d’ailleurs en visioconférence aux débats du Conseil des affaires étrangères du 22 février, celui-là même qui a décidé la mise en place de ces sanctions. Il y a mieux pour faire taire les critiques sur la faiblesse de Bruxelles.