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Pakistan : l’éternelle difficulté de réformer les écoles coraniques extrémistes

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Après le massacre de plus de 130 écoliers par des rebelles talibans en décembre, le Pakistan avait juré de reprendre en main les écoles coraniques accusées de former des extrémistes. Mais il se heurte une fois de plus aux influents cercles religieux. Dans la foulée du carnage de Peshawar (nord-ouest), Islamabad a lancé un « plan d’action national» (National Action Plan, NAP) contre l’extrémisme, amendant notamment la Constitution pour permettre de traduire devant des tribunaux militaires toute personne soupçonnée de mener des attaques «au nom d’une religion». Le NAP entend également surveiller de plus près les quelque 13.000 écoles coraniques (madrassas) qui forment aujourd’hui 1,8 million d’enfants, un maquis d’établissements à 97% privés et à l’enseignement religieux peu ou pas contrôlé et régulièrement accusé, pour certains, de nourrir l’intolérance et l’extrémisme. La radicalité de ces écoles affleure jusque dans le centre de la capitale Islamabad. Habib Ullah, étudiant à la madrassa Jamia Faridia, ne cache pas son admiration pour Oussama Ben Laden, tué en 2011 dans le nord du Pakistan, ou sa haine des chiites, qui représentent 20% de la population de ce pays à majorité sunnite. Les chiites «ne sont pas de vrais musulmans, ils devraient être convertis à l’islam», déclare à l’AFP cet adolescent de 12 ans originaire d’un village du Kohistan, un district très conservateur du nord où, se souvient-il, le mollah local avait l’habitude de clamer dans ses prêches que tuer un chiite rapprochait son meurtrier du paradis.
Des prêches marquants pour un jeune comme Habib, de surcroît dans un pays où les violences antichiites ont augmenté ces dernières années.

Collectes internationales
La tentative du gouvernement de faire le ménage dans les madrassas a provoqué la colère de nombreux mollahs influents, qui l’ont aussitôt accusé de vouloir détourner le pays, créé en 1947 pour accueillir les musulmans de la région, de sa religion d’Etat. «Nous ne le laisserons pas faire», prévient Abdul Qudus, porte-parole de la Wafaq-ul-Madaris al-Arabia, le plus grand réseau de madrassas du pays.Le ministre fédéral de l’Information, Pervez Rashid, en a fait la dure expérience le mois dernier, après avoir qualifié les madrassas d’»universités de l’ignorance et de l’illettrisme». Du jour au lendemain à Islamabad, des banderoles sont apparues pour le condamner, criant parfois au blasphème, une accusation qui vaut parfois à sa cible d’être tué par des extrémistes. Sentant le vent du boulet, le ministre s’est ensuite excusé à la télévision. Cet épineux dossier a également des ramifications internationales. En janvier, un rapport sénatorial pakistanais avait souligné que des madrassas locales recevaient des fonds d’autres pays musulmans tels que l’Arabie Saoudite, le Koweït et le Qatar, riches alliés d’un Pakistan en déficit budgétaire chronique.
La dernière fois que le Pakistan avait tenté de réguler les madrassas, dans les années 2000, plusieurs pays du Golfe, dont l’Arabie Saoudite, avaient fait pression sur lui pour qu’il n’aille pas trop loin en la matière, a expliqué à l’AFP un responsable gouvernemental sous couvert d’anonymat.

Risques politiques
Après le massacre de Peshawar, plusieurs ministres et médias se sont ouvertement demandé si le soutien financier aux madrassas pakistanaises de pays tels que l’Arabie Saoudite ne contribuaient pas à nourrir l’extrémisme. Riyad a répliqué que toutes ses donations aux madrassas pakistanaises étaient approuvées par Islamabad. Mais nombre d’observateurs estiment que la majorité des dons étrangers transitent par des canaux informels. «Des représentants des madrassas vont régulièrement collecter de l’argent dans le monde arabe et en Afrique, ou en Europe auprès des communautés musulmanes locales», explique Amir Rana, directeur du Pakistan Institute for Peace Studies, un centre d’études d’Islamabad, décrivant «une zone grise difficile à contrôler».
Selon un responsable gouvernemental pakistanais sous le couvert de l’anonymat, près de 70 millions de roupies (700.000 dollars) ont ainsi transité de deux pays du Golfe vers des madrassas pakistanaises en deux mois cette année. Au Pakistan, le clergé reste très respecté malgré les soupçons de liens entre ses radicaux et les talibans dont les attentats ensanglantent le pays depuis 2007. L’attaquer requiert une volonté politique que le gouvernement n’a sans doute pas car, selon M. Rana, «il sait bien le pouvoir que le clergé a sur la rue». Depuis l’islamisation d’Etat des années 1980, Islamabad sollicite régulièrement l’aide de leaders religieux, voire les utilise pour servir le patriotisme ou défendre ses intérêts stratégiques. De plus, les madrassas restent populaires car elles éduquent les enfants pauvres gratuitement, contrairement à de nombreuses écoles classiques, et leur fournissent gîte, habit et couvert. Et leur enseignement conserve un certain prestige. Un enfant pauvre qui réussira à étudier assez pour devenir mollah permettra ainsi à sa famille de jouir d’un respect social inédit. Il pourra ouvrir à son tour sa propre mosquée, et en vivre.

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