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Musique : la lumière noire de Francis Cabrel

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Le musicien a pris son temps pour mener à terme ce magnifique treizième album, au propos souvent sombre. L’occasion d’un rare entretien, sous forme de confession. Il avait dit vouloir aller «plus vite», sortir des albums plus rapidement, retrouver le public plus fréquemment. Mais Francis Cabrel n’est plus homme à laisser des chefs-d’œuvre dans ses tiroirs. Non, il est besogneux, inquiet, prudent. Et surtout très lucide. «In extremis» est loin d’être un album joyeux – ça n’a d’ailleurs jamais été son genre. Mais Cabrel creuse la veine crépusculaire, les orchestrations minimalistes pour, au final, sortir l’un de ses plus beaux disques. Alors oui, musicalement on est plus proche de ses idoles, J.J. Cale ou James Taylor, que de la grande variété française. Mais Cabrel, aussi respecté soit-il, sait qu’il peut tout se permettre. Même de bousculer son public. Et même de se confier comme rarement.

Vous aviez annoncé vouloir aller vite pour composer un nouvel album après «Des roses et des orties» et, finalement, il vous a fallu sept ans. Que s’est-il passé ?
Je voulais prendre mes cinq années habituelles pour enregistrer. Mais, voyant que je n’y arrivais pas, je me suis un peu perdu en route. Ce qui m’a plu d’ailleurs… J’ai fait des traductions de Dylan, il y a eu aussi «L’enfant porte» avec les petits chanteurs d’Astaffort et le «Le soldat rose». Tout cela m’a égayé. Mais la réalité, c’est que j’écris très peu. Le plus long, c’est de trouver l’idée sur laquelle je vais pouvoir écrire et cela peut me prendre des mois. Une fois qu’elle est là, je n’ai besoin que de quelques jours. Mais pour avoir douze idées, il m’a fallu sept ans. C’est long.

La plupart des chansons sont sérieuses…
Sérieuses, ça me va. L’époque n’est pas à la gaudriole, mais je n’essaie pas d’enfoncer le clou de la «sombritude». Il y a toujours une petite pointe d’optimisme ici ou là. C’est la définition du blues. Musicalement, j’ai fait une tournée tout seul aux États-Unis l’an passé qui m’a donné envie de ces ambiances à la J.J. Cale. J’avais même pensé enregistrer avec le moins de musiciens possible. Mais j’ai renoncé à ce projet, je n’ai pas osé. J’aurais pu faire mon “Nebraska” [un album de Bruce Springsteen très dépouillé paru en 1982], mais j’ai eu peur de m’ennuyer?!

… Et beaucoup sont politiques.
J’en ai toujours fait sur mes disques précédents. Mais, depuis quelques années, on a vu pas mal de choses… Quand un homme politique devient un people, qu’il fréquente la jet-set, il se trompe, ce n’est pas là qu’il doit œuvrer. Mes chansons sont avant tout une satire, je les ai écrites pour me marrer. Comme pouvait le faire Nicolas Boileau au XVIIe siècle…

Vous vous exprimez en tant qu’ancien élu ?
Oui, élu local de base, laborieux, le S.E. (sans étiquette) qui a refusé toutes les compromissions… C’est ainsi que devrait être la politique. Moi, j’ai fait deux mandats qui me semblaient être le maximum et, surtout, j’ai eu le sentiment d’être arrivé au bout. Je n’avais plus rien de nouveau à proposer.

Vous écrivez dans «In extremis» : «On a voté le génocide par précaution.» A quoi pensiez-vous ?
C’est une chanson sur la langue occitane que je défends. Le français l’a piétinée et, pour être sûr de son hégémonie, on en a fait table rase. On peut aussi voir cette chanson comme un hymne à tous ceux qui résistent et qui arrivent à avoir gain de cause. L’occitan n’existait plus, mais la force de caractère de certains a permis de faire revivre ce langage.

Faut-il se rebeller contre l’ordre établi ?
Il y a besoin d’être patriote car la langue française est tout aussi menacée que l’occitan en son temps. Les anglicismes nous vampirisent. En prenant un exemple d’il y a cinq ou six siècles, je me demande si, aujourd’hui, on n’est pas en train de vivre le même truc. Moi je me considère comme un résistant, je chante en français?! J’entends de plus en plus de morceaux qui mélangent anglais et français, ça me surprend toujours. Cela a l’air insignifiant mais, en réalité, c’est grave. Dans beaucoup de domaines, on marche vers le crépuscule, sans trop réagir. Hélas…

Vous vous fendez aussi de deux chansons d’amour. Genre que vous aviez délaissé depuis vingt ans…
J’ai fait le tour de tellement de sujets que je cherche toujours un angle original. Je suis revenu à la chanson d’amour avec plaisir, c’est un genre profond, c’est du vécu, c’est beaucoup plus dur à écrire que le reste, d’ailleurs. «A chaque amour que nous ferons» m’a pris six mois, jour et nuit. Là, je tombe dans l’obsession paranoïaque.
C’est au mot près, à la virgule. Je dis plus de choses dans mes chansons que dans la vie de tous les jours. Par timidité, je ne parle d’ailleurs jamais d’amour à personne, je n’ai pas envie d’être niais. Heureusement, la musique vous donne toutes les possibilités de dire ces mots-là, le tout enrobé dans un peu de poésie !

Votre fille aînée Aurélie s’est lancée avec difficulté dans la chanson. L’ombre du père est-elle trop lourde à porter ?
Son défi, comme elle est une “fille de”, est d’écrire des choses un étage au-dessus de moi. Elle est partie dans le métier avec un a priori défavorable, car la vie a été simple pour elle, elle a enregistré dans de bonnes conditions, etc. Elle a fait un truc bien, mais sans doute un étage en dessous de ce dont elle est capable. Les désillusions l’ont endurcie, elle s’accroche, elle veut insister, elle est comme sa mère, elle a le même
caractère !

Qu’est-ce qui vous inspire au quotidien ? La télé ? Les livres ?
Je regarde très peu la télévision, enfin, le moins possible. Parfois dans la journée… Je passe mes journées à travailler ma guitare, au minimum deux heures chaque matin. Quant aux livres, en ce moment je lis les “Mémoires d’outre-tombe” de Chateaubriand, c’est lumineux. Je n’ai pas eu le goût de lire avant 27 ans, ce n’était pas dans ma culture, j’avais l’impression de perdre mon temps. Mais quand j’ai écrit “Je l’aime à mourir” et que j’ai eu du succès, les journalistes m’interrogeaient sur mes goûts littéraires. Je n’avais rien à répondre… J’ai donc ouvert des livres.

Ça vous a manqué, ado, de ne pas avoir accès à la culture ?
Oui beaucoup, surtout que je me suis fait virer du lycée avant la terminale. Je n’ai donc pas fait de philo et ça m’a complexé. J’aurais pu y puiser des points de réflexion, des guides pour réfléchir. Je n’ai jamais su m’y intéresser tout seul.

Vos premières chansons ont donc été écrites “à l’oreille” ?
Quasiment, oui. J’aimais bien Dutronc, Antoine, Brassens, Caradec que j’entendais à la radio. Il y a aussi Yves Simon, qui racontait des histoires bien ficelées.

On vous a tout de suite étiqueté “nouvelle chanson française”. Cela vous a-t-il conféré certaines responsabilités ?
C’était le temps de l’insouciance ?! C’est vrai que je fais partie d’une génération qui a percé au même moment. Maintenant on pourrait parler de nous comme de la “vieille chanson française”?!

Sauf que vous êtes toujours là, comme Souchon et Voulzy…
C’est la prime à ceux qui ont pris le même chemin obstinément ?! J’ai bien senti pendant ces sept dernières années que l’on m’attendait. C’est pour ça aussi que je m’applique, je pense au public, aux gens qui m’abordent dans la rue. Mais bon, j’ai un rapport très sain avec le public.
In Paris Match

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