Après les attentats de Paris et ceux déjoués de Bruxelles, l’Union européenne semble prendre le taureau par les cornes et prendre les mesures adéquates contre la menace terroriste, et tenter d’améliorer la coopération dans la lutte contre le terrorisme. Nous allons « discuter de la manière de lutter contre le terrorisme, pas seulement en Europe, mais dans le reste du monde », notamment avec les pays musulmans, a déclaré la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, avant une réunion des 28 à laquelle a été convié le Secrétaire général de la Ligue arabe, Nabil al-Arabi. « Nous devons mieux partager les informations, mieux coopérer », a-t-elle ajouté. Les ministres se retrouvent avant une réunion de leurs homologues de l’intérieur le 28 janvier à Riga et surtout un sommet de chefs d’État et de gouvernement européens le 12 février consacré à la lutte contre le terrorisme et les « combattants étrangers » européens de retour de Syrie ou d’Irak. Preuve de la mobilisation internationale, plusieurs chefs de la diplomatie de l’UE et de la Ligue arabe participeront aussi jeudi prochain à Londres à une rencontre organisée conjointement par le Royaume-Uni et les États-unis entre pays membres de la coalition contre le groupe État islamique (EI) qui sévit en Syrie et en Irak. La coopération en matière de renseignement, dans la lutte contre le trafic d’armes ou pour créer un registre commun des passagers aériens (PNR-», pour «passenger name record», contenant les données personnelles (nom, prénom, adresse, téléphone, courriel, moyen de paiement, bagages, programme de fidélité, etc.) est devenue une priorité des dirigeants européens après les attentats de Paris, et la vaste opération anti-jihadistes en fin de semaine dernière en Belgique. « Nous espérons, compte tenu de ce qui s’est passé en France, en Belgique et ailleurs, que le Parlement européen va comprendre qu’il faut débloquer le PNR », a demandé le ministre français des AE, Laurent Fabius. Son homologue belge, Didier Reynders, a lui aussi plaidé pour « plus d’échange d’informations pour suivre à la trace l’ensemble des combattants étrangers ». Un parlementaire européen résume bien l’esprit qui va prévaloir lors des débats qui s’instaurent. «Ce qui nous hante, ce sont les erreurs commises par les Américains au lendemain du 11 septembre 2001 : le «Patriot Act», la zone de non droit de Guantanamo, la torture, etc.» Pour lui le défi auquel nous devons faire face est de «répondre au terrorisme sans pour autant créer la société voulue par les terroristes». «L’Europe doit être unie pour défendre ses valeurs et ses libertés. Mais nos actions devront être guidées par la réflexion, et non par la peur», a déclaré Dimitris Avramopoulos, le commissaire européen, chargé de la sécurité intérieure. Une position de principe partagée par le Parlement européen qu’il ne va pas être facile de tenir : la pression des Etats membres va s’accroitre d’ici au sommet européen du 12 février prochain afin que l’Union renforce rapidement sa législation répressive au nom de la sécurité sans égard excessif pour les libertés publiques.
La bataille a déjà commencé autour du dossier emblématique des PNR transmises aux compagnies aériennes lors de la réservation d’un vol national ou international. Les États souhaiteraient les collecter et les échanger au niveau européen, comme c’est le cas aux Etats-unis, au Royaume-uni, au Canada ou encore en Australie. Pour la Commission, leur traitement informatique permettraient «d’identifier les suspects jusqu’alors inconnus», en fonction de leur profil voyageur, alors que les bases de données européennes existantes (Système d’information Schengen, Système d’information sur les visas et Système d’entrée/sortie des non-ressortissants communautaires) ne s’intéressent qu’à des personnes identifiées et/ou suspectes. Dans une proposition de directive de 2007, refondue en 2011, l’exécutif européen veut donc autoriser les autorités nationales à recueillir ces données, automatiquement envoyées par les compagnies aériennes, afin qu’elles les évaluent avant de les transmettre, si nécessaire, aux Etats concernés pour détecter les possibles «infractions terroristes» et les autres «formes graves de criminalité» (trafic de drogue et d’êtres humains).
Le Parlement européen ne l’a pas entendu de cette oreille. Une majorité composée des socialistes, des écologistes et des libéraux a bloqué, en avril 2013, l’adoption de cette directive. La députée néerlandaise, Sophie In’t Velt, explique qu’il «n’y a aucune preuve de l’efficacité des PNR et surtout, les droits fondamentaux des citoyens ne sont pas suffisamment protégés. Si les États adoptent la législation sur la protection des données personnelles (une directive et un règlement déposés en janvier 2012) au lieu de tergiverser, nous adopterons dans la foulée la directive PNR». Le Parlement est d’autant plus intransigeant sur ce point que le PNR européen recensera tous les citoyens européens prenant l’avion, y compris pour des vols intra-communautaires, alors que le système américain, lui, ne concerne quasiment que les non-Américains. En attendant, souligne Sophie In’t Veldt, les États peuvent parfaitement adopter des PNR nationaux : «la France a reçu 18 millions d’euros de la Commission pour tester son système» et des expérimentations sont menées par le Danemark, la Belgique, la Suède et les Pays-Bas. «Et il faut que les gouvernements arrêtent de faire croire qu’on n’a rien fait au niveau européen» : elle rappelle notamment l’adoption du mandat d’arrêt européen, l’harmonisation de la définition et de la répression du terrorisme, la lutte contre le blanchiment d’argent, la création d’un fichier des empreintes digitales, les accords PNR et SWIFT (virements bancaires) avec les États-unis, etc. Pour l’instant, au-delà du dossier PNR, les Vingt-huit n’ont pas grand chose dans leur besace : « la question de l’immigration ou celle de la libre circulation au sein de l’espace Schengen ne se pose pas .Les terroristes qui ont frappé l’Union avaient tous la nationalité d’un État membre, et c’est donc un problème de renseignement intérieur.
L’harmonisation des textes réprimant le terrorisme devrait aussi revenir à l’ordre du jour. La lutte contre la propagande sur internet est aussi à l’agenda : il s’agit d’obtenir des plates-formes américaines style Facebook ou Twitter qu’elles retirent les messages haineux, mais aussi de développer une contre-propagande. Mais on est encore loin de grandes décisions supranationales comme la mise en place d’un FBI européen. D’autre part il y a comme une rivalité entre européens et américains pour ce qui est du leadership de la lutte antiterroriste.
Ainsi, après les réunions ministérielles de Bruxelles et de Londres plus précisément consacrées a la lutte contre Daesh, le sommet européen du 12 Février prochain de Bruxelles sera précédé d’un sommet sous l’égide des Etats-unis. Force cependant est de constater que cette mobilisation contre le terrorisme qui prend des allures planétaires néglige quelque peu le continent africain et surtout les mesures à prendre contre Boko Haram ou le terrorisme endémique en Somalie.
M. Bendib