Pour la première fois dans les annales de l’Algérie indépendante où une loi de Finances pour l’exercice en cours prévoit des budgets prévisionnels pour les années à venir. La difficile conjoncture économique que traverse l’Algérie, suite à la chute drastique des prix du pétrole, impose des visions à long terme, en matière de dépenses.
Ainsi, la loi de Finances-2017, signée hier par le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, prévoit les dépenses et les recettes des exercices 2018 et 2019, une démarche inédite qui s’inscrit dans le cadre de la réforme budgétaire. Pour 2018 comme pour 2019, les dépenses budgétaires annuelles prévisionnelles sont fixées à 6,800 milliards de dinars (mrds DA) dont 4,500 mrds DA de dépenses de fonctionnement et 2,300 mrds DA d’équipement. Pour ce qui est des recettes, 5 798,1 mds DA sont attendus pour 2018 dont 3.438,4 mds DA de ressources ordinaires et 2.359,7 mds DA de fiscalité pétrolière.
Pour 2019, il est prévu 6.424,4 mds DA de recettes dont 3.780,8 mds DA de ressources ordinaires et 2.643,6 mds DA de fiscalité pétrolière. Ces montants peuvent toutefois faire l’objet d’un ajustement pour être fixés définitivement dans le cadre de la loi de finances de l’année considérée. Cette proposition de mesure, qui vient en application de l’article 50 de la loi de finances complémentaire 2015 portant sur l’institution d’un cadre budgétaire à moyen terme arrêté annuellement, permet une «meilleure visibilité de la politique budgétaire», selon l’exposé des motifs.
Elle incite également les secteurs à «s’inscrire dans un objectif soutenable et contribue ainsi à améliorer l’information et la transparence des finances publiques», note le texte. Pour rappel, concernant les trois exercices 2017, 2018 et 2019, le gouvernement s’est fixé un double objectif: rationaliser et plafonner les dépenses au niveau de celles de 2015 à savoir moins de 7.000 mds de DA et, de l’autre, tabler sur une hausse annuelle d’au moins 11% du produit de la fiscalité ordinaire.
Cette «Trajectoire budgétaire» va permettre d’équilibrer le budget de l’état pour pouvoir entamer, dès 2020, la mise en œuvre de mesures concrètes et accélérées de diversification de l’économie.
Rééchelonnement des dettes des entreprises en difficulté
Pour aider financièrement les entreprises en difficulté, la LF propose le rééchelonnement de leur dette fiscale sur une période n’excédant pas 36 mois. L’octroi de délai de paiement est systématiquement assorti de la remise des pénalités de retard, sans demande expresse du redevable, sous réserve du respect de l’échéancier.
Afin d’inciter ces entreprises à souscrire à ce dispositif, il est prévu d’accorder à l’issue du règlement total de leurs dettes fiscales une remise des pénalités de retard mises à leur charge. Sur un autre plan, cette loi prévoit plusieurs mesures qui visent à encourager l’affiliation à la Sécurité sociale et à rendre les dépenses de ses caisses plus raisonnables. Elle instaure également des contrats de performance pour le remboursement des médicaments, une mesure qui vise la rationalisation des dépenses de remboursement des produits pharmaceutiques importés et coûteux qui ont un impact sur les équilibres financiers de la sécurité sociale et la facture d’importation.
Appliqués dans plusieurs pays développés, les contrats de performance proposés à travers la LF 2017 sont de nature à faciliter des compromis financiers équitables entre les organismes de sécurité sociale et les firmes pharmaceutiques multinationales au bénéfice du patient, et sans risque de dépense inutile pour la sécurité sociale.
Les gros transferts des devises dans le viseur
Par ailleurs, le texte introduit des mesures qui visent le renforcement du contrôle du transfert des devises. Il oblige les entreprises étrangères, établies en Algérie et opérant un nombre important de transferts vers des entités établies hors d’Algérie, de tenir une comptabilité analytique.
Il relève de 500.000 DA actuellement à 2.000.000 DA le montant de l’amende relative au défaut de production ou à la production incomplète de la documentation justifiant les prix de transfert appliqués.
Synthèse Nait Amara Hacène
Indicateurs de cadrage macroéconomique et financier de la LF-2017
La loi de Finances-2017, signée mercredi par le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a été élaborée sur la base des principaux indicateurs macroéconomiques et financiers suivants:
Un prix de référence du baril de pétrole brut de 50 dollars sur toute la période 2017-2019. Un prix prévisionnel du baril de pétrole brut de 50 dollars pour la loi de Finances 2017, de 55 dollars pour celle de 2018 et de 60 dollars le baril pour celle de 2019. Le taux de change dinar/dollar US est prévu de se situer, en moyenne annuelle, à 108 DA pour un (1) dollar au titre de la période 2017-2019.
Un taux de croissance du PIB de +3,9% en 2017 (contre une prévision revue à +3,5% pour 2016), de +3,6% en 2018 pour s’établir en 2019 à un niveau supérieur aux croissances attendues pour la période 2016-2018. Le taux d’inflation-cible sera maintenu à 4% sur la période 2017-2019. La dépense publique plafonnée, sur toute la période 2017-2019, à environ 6,800 milliards DA. Les recettes fiscales, hors fiscalité pétrolière, augmenteront de 11% sur la période 2017-2019, sous l’effet de l’évolution de la base fiscale et de l’amélioration du recouvrement.
Hausse de plusieurs taxes
La loi de Finances-2017 prévoit une hausse de plusieurs taxes, impôts et droits de timbre pour compenser partiellement la chute des recettes fiscales pétrolières budgétisées, attendues en baisse de 30% par rapport à 2016.
La loi prévoit pour l’année prochaine une augmentation de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui passera de 17% à 19% pour le taux normal et de 7% à 9% pour le taux réduit. Cette hausse de la TVA, dont le produit alimente le Budget de l’État à hauteur de 80% et les communes à hauteur de 20%, permettra au Trésor public d’engranger une plus-value fiscale de 110 milliards de dinars (mds DA). Afin de se mettre en conformité avec l’introduction par les Douanes du nouveau tarif à 10 chiffres, la LF fixe la liste des biens et services soumis à la TVA à taux réduit (9%), qui contient 80 positions tarifaires. Dans le domaine immobilier, les revenus issus de la cession, par les particuliers, d’un immeuble bâti ou non bâti, sont soumis à l’impôt sur le revenu global (IRG) d’un taux fixé à 5%.
Les plus-values issues de la cession d’un immeuble détenu pour plus de 10 ans sont toutefois exclues de cette imposition.
La location des habitations à usage individuel est soumise à un nouveau taux d’IRG à 10%, alors que le taux de 7% demeure applicable aux revenus provenant de la location des habitations à usage collectif. Le taux de 15% demeure, quant à lui, applicable aux revenus provenant de la location de locaux à usage commercial ou professionnel, ainsi que pour la location à usage d’habitation conclue avec des sociétés. Il est précisé que le locataire et le bailleur sont solidaires pour le paiement de cet impôt.
La loi supprime l’exonération en matière d’IRG/locatif pour les locations aux étudiants, et décide une augmentation de la taxe sur les permis immobiliers relatifs aux permis de construire et certificats de conformité. Ainsi, le tarif du permis de construire passe d’une fourchette actuelle de 1 875 DA-50 000 DA à une fourchette de 3 000 DA-75 000 DA pour les constructions à usage d’habitation et passe de 50 000 DA-150 000 DA à 75 000 DA-225 000 DA pour les constructions à usage commercial ou industriel.
Les tarifs des certificats de conformité passent, à leur tour, d’une fourchette de 1 000 DA-12 000 DA à une fourchette de 1 500 DA-18 000 DA pour les constructions à usage d’habitation et de 6 000 DA-20 000 DA à 9 000 DA-30 000 DA, pour celles à usage commercial ou industriel. Pour permettre au Trésor d’encaisser 20 mds DA supplémentaires, la taxe intérieure de consommation (TIC), composée d’une partie fixe et d’un taux proportionnel, est à son tour augmentée pour certains produits dits « de luxe ».
La TIC passe ainsi pour la partie fixe de 1 260 DA/kg à 1 760 DA/kg pour le tabac blond et à 2 470 DA/kg pour les cigares, alors que le taux proportionnel de cette taxe reste inchangé à 10% pour chaque paquet de cigarettes.
La loi prévoit aussi l’augmentation de la taxe sur les boissons alcoolisées à hauteur de 10%, ainsi qu’une majoration de la taxe sur le tabac brun à 1 240 DA/kg.
La TIC augmente par ailleurs à 30% pour d’autres produits de luxe, comme les véhicules tout-terrain et les cylindrés supérieurs à 2 000 cm3 et inférieurs à 3 000 cm3.
Nouvelle hausse des taxes des prix des carburants
La LF-2017 prévoit l’augmentation des tarifs actuels de la Taxe sur les produits pétroliers (TPP) de 1 à 3 DA/litre respectivement pour le gasoil et les trois types d’essence.
La TPP de l’essence, super et sans plomb, sera de 9 DA/l, au lieu de 6 DA actuellement (soit une hausse de 50%), et celle de l’essence normal passera à 8 DA/l, au lieu de 5 DA actuellement (+60%) alors que la TPP sur le gasoil passera à 2 DA/l, au lieu de 1 DA actuellement (+50%).
Le relèvement de la TPP, dont le produit est affecté au budget de l’État, permettra au Trésor d’encaisser une plus-value de 42,49 mds DA dont 30,36 mds DA pour la seule TPP et 12,13 mds DA pour la TVA, car toute hausse des prix engendre automatiquement une hausse des produits de la TVA. La loi institue également une Taxe d’efficacité énergétique (TEE), applicable aux produits importés ou fabriqués localement fonctionnant à l’électricité, aux gaz et aux produits pétroliers, ce qui permettra au Trésor public d’encaisser pas moins de 10,7 mds DA (9,2 mds DA en TEE et 1,5 mds DA en TVA).
La TEE est fixée à 25% pour les appareils électriques importés à compter du 1er janvier 2017, et à partir du 1er janvier 2018 pour ceux fabriqués localement. Pour ce qui est des droits de timbre, il s’agit de l’introduction d’une »procédure accélérée » qui permet de délivrer le passeport biométrique dans un délai maximal de cinq jours de la date de dépôt de la demande, contre le paiement d’un timbre de 25 000 DA pour le livret de 28 pages, et de 60 000 DA pour celui de 48 pages. Une nouvelle taxe est instituée sur les pneus neufs importés ou fabriqués localement, fixée à 10 DA par pneu destiné aux véhicules lourds et à 5 DA par pneu destiné aux véhicules légers. Ces recettes sont destinées à financer les communes et la Caisse de garantie et de solidarité des collectivités locales à hauteur de 40%, le Fonds national de l’environnement à hauteur de 35%, le Centre national de la sécurité routière à 15% et le Fonds national du patrimoine culturel à 10%. La LF relève aussi les montants de la taxe sur les demandes d’enregistrement des produits pharmaceutiques importés où fabriqués localement, instituée en 2003. Cette taxe passera à 12 000 DA (contre 4 000 DA depuis 2003) pour ce qui est du contrôle des lots, à 30 000 DA (contre 10 000 DA actuellement) pour le contrôle et expertise des produits soumis à l’enregistrement et à 15 000 DA (contre 5 000 DA) pour ce qui est des analyses et contrôle des matières premières de ces produits. La loi prévoit aussi une hausse des financements destinés à réduire la facture d’électricité de 65% pour les ménages des wilayas du Sud du pays et qui utilisent la basse tension dans la limite de 12 000 kw/an, de même que pour les agriculteurs de ces mêmes wilayas pour la basse et moyenne tension dans la limite de 12 000 kw/an. Il est aussi prévu le financement de la réduction de la facture d’électricité à raison de 25% pour les activités économiques.