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Hommage : Ali, l’homme qui meurt debout !

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Le Courrier d’Algérie a tenu à rendre hommage, à sa façon, à cet immense artiste qu’est Sid Ali Kouiret, disparu dimanche, à l’âge de 82 ans, et que l’Algérie pleure aujourd’hui. Cette Algérie dont il a rendu l’image parfaite, faite d’héroïsme et de bravoure absolus durant la longue Guerre de Libération nationale à travers cette séquence magistrale du film culte « L’opium et le bâton » où Kouiret, qui incarnait Ali le héros, crache sur ses bourreaux, le sourire fier puis accède naturellement , dans une stature de fierté et d’orgueil qui reste l’apanage des seuls vrais algériens, à la supplique de son camarade de combat « Ali, meurs debout !» Une séquence, une image et une faconde qui habillaient Sid Ali Kouiret pour la postérité dans la mémoire collective.
Nous livrons à nos lecteurs l’entretien dans son intégralité , par devoir de mémoire et de fidélité à un grand homme du septième art.
Le Courrier d’Algérie 

«Avant d’être comédien, j’ai été chanteur»
Un vrai dilemme qu’est celui d’avoir à ses côtés, le temps d’une heure ou un peu plus, dans une terrasse ombrageuse et couverte de plantes, autour d’un café matinal à vous fondre les narines, un monstre du cinéma ou de l’art carrément: Sid Ali Kouiret. Par où le prendre? De quoi lui parler? Lui qui a mille et une histoires à vous raconter et autant d’anecdotes qui témoignent d’une carrière que très peu d’artistes ont menée à bon port. Pas la peine de tourner et de retourner ses questions et fusons droit, plume en main, sur notre bonhomme. À 74 ans, ammi Sid Ali reste fidèle à lui-même. C’est-à-dire qu’il garde en lui cette humilité qui lui a toujours collée à la peau. Même si sa tête de génie a pris un sérieux coup de blancheur, même si les rides se sont frayées du chemin sur sa belle gueule, sa sympathie, sa spontanéité, son humour et surtout son franc-parler restent intacts, sans ride aucune. À bâtons rompus, il s’est livré en chair et en os à nos questions, révélant, à notre grande joie, des détails croustillants sur ce qu’a été sa longue vie et – qui sera on l’espère plus longue encore (Allah itaouel fi omrou) – du petit cireur des brodequins des soldats US de passage à Alger, dans les années 1940, à l’icône du septième art algérien en passant par les planches de l’ex-Opéra (actuellement Théâtre national algérien) qu’il s’est tapées aux côtés d’autres monstres aussi bien rugissants qu’on été les irréprochables Mahieddine Bachtarzi, Mustapha Kateb et d’autres encore comme feu Hassan El Hassani et Yahia Ben Mabrouk… et la liste est longue. Faire la biographie d’une carrière qui dure depuis plus de cinquante ans reste pour le plus prolixe des rédacteurs un vœu pieux, quitte à ce qu’il occupe, à lui seul, tout l’espace du magazine et en griffonnant même sur les pages de pub. Rien n’y fait. La seule solution est de vous inviter à écouter ce que nous dira, dans cette interview, ce grand… ce très grand Monsieur.

Que devient Sid Ali Kouiret?
Dieu merci, je jouis d’une bonne santé. Ce qui me permet de continuer à tourner. On me pose souvent cette question parce qu’on ne me voit pas beaucoup sur les écrans. Pour moi, je vous l’assure, la question ne mérite pas d’être posée, pour la simple raison que j’ai toujours répondu présent lorsqu’on avait besoin de moi. C’est à moi de poser une autre: pourquoi les gens qui ont fait leurs preuves dans le cinéma et gagné la confiance du public ne travaillent plus? Personnellement, en dix ans je n’ai tourné que dans un seul feuilleton Le joueur. Mais là je termine un film Le Facteur, avec Lakhdar Boukhers. Un vrai comédien doublé d’une personne honnête. Idem pour un autre long métrage que je viens de finir, Men Yahmikoum, avec Youcef Bouchouchi. Le film devrait sortir dans le cadre de la manifestation Alger, capitale de la culture arabe.

Vous comptez faire du cinéma jusqu’au dernier souffle?
Votre question me renvoie au film Les portes du silence, lorsque Amar Laskri filmait Hassan El Hassani rendant l’âme sur son lit d’hôpital. Idem pour le comédien Abdelkader Essafiri, décédé en plein tournage de L’Opium et le bâton. Tayeb El Hassani venait aux studios claudiquant avec ses béquilles. Proposer un rôle à un comédien souffrant est pour lui un stimulant. Pour ce qui me concerne, bien sûr, je le ferai jusqu’à la fin. D’ailleurs, je me prépare à passer de l’autre côté de la caméra prochainement.

Une première pour vous!
Oui. L’idée venait au fait du défunt Rouiched. J’avais commencé à faire le découpage, mais j’ai dû abandonner après la maladie de ce dernier, puis sa disparition. J’essaye, pour le moment, de reprendre l’idée avec quelqu’un d’autre. L’histoire, au fait, met en scène deux enfants qui s’entretuent parce que l’un avait tué le père de l’autre. Mais étant des enfants, il ne s’agit nullement d’un acte prémédité. Mon but à travers cette histoire est d’essayer de disculper les enfants des crimes qu’on leur fait faire. C’est à peu près comme les fils de harkis qui sont innocents des actes de leurs pères.

Le tournage commence quand?
Franchement, je ne sais pas encore. Vous savez, écrire ce n’est pas mon premier métier, moi qui suis comédien depuis des lustres. Mais étant artiste je peux vous dire qu’une fois l’inspiration enclenchée tout se fera sans coup férir. L’essentiel est que j’y pense vraiment.

Aviez-vous déjà pensé à arrêter votre carrière?
Non. Je n’ai aucune raison de stopper ma carrière. Je n’aurais pas aimé peut-être que mes enfants, aux dépens de leurs études, fassent du cinéma ou du théâtre. Je le ferai, par contre, le jour où Khalida Toumi ne serait plus ministre de la Culture. Jamais depuis l’Indépendance du pays nous n’avons eu un ministre de la Culture comme Khalida. Moi qui ai connu tous les ministres depuis l’époque du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne). Ecoutez, je ne me suis jamais senti artiste comme c’est le cas aujourd’hui avec notre ministre. Je ne suis pas le seul à le dire. La même chose pour notre président de la République. D’ailleurs, l’une des premières démarches qu’il a accomplies, en 1999, c’était de rendre de vibrants hommages aux artistes.

Pourquoi Khalida Toumi et pas d’autres?
Parce qu’elle lutte réellement pour la promotion de la culture. Elle s’échine pour faire gonfler le budget de son département. En la voyant se mettre en quatre pour la réussite d’Alger capitale de la culture arabe 2007 ; si j’avais le pouvoir, je l’enverrai en mandat de dépôt à El Harrach uniquement pour se reposer. C’est une femme d’acier. Moi, je juge par le concret. Je n’oublierai jamais son sens de la solidarité lorsqu’elle nous a emmenés avec elle, Farida Saboundji, moi, ainsi que d’autres artistes, à la Comédie française._ Elle était là aux petits soins. On ne peut en aucune manière rester insensible à tant de gratitude. Surtout qu’on a connu auparavant d’autres responsables qui n’ont jamais assisté à la projection d’un film ou à une pièce de théâtre.

Y a-t-il une vie hors studios pour un comédien de votre trempe?
Bien sûr, celle de ma famille. Dieu merci, mes enfants sont licenciés et ils réussissent bien leur vie.

Vous en avez combien?
Sept. Le premier vit en Angleterre. Il vient nous voir chaque année. Ma première femme, Brahimi Malika, l’une des premières maquisardes algériennes, est morte des suites d’une maladie qu’elle a attrapée alors dans les maquis. Le maquis qu’elle a rejoint à l’âge de 13 ans et demi.

Vous l’avez épousée quand?
En 1960. Je me souviens qu’à Tunis, on ne pouvait pas vivre, nous les couples mariés, constamment en communauté, les uns collés aux autres, alors le régime nous a permis d’avoir une habitation pour chaque couple. Je ne suis pas d’ailleurs le seul artiste à me marier ainsi. Il y a eu le défunt Ahmed Wahbi, Hallit, Tahar Laâmiri, Djaâfar Bek… Avec Malika j’ai eu deux enfants, dont une fille haut cadre à l’Agence nationale du développement de l’investissement (Andi).

Tous licenciés?
Pas tous. J’en ai un licencié en management, un autre en droit. Les deux restants ils m’ont eu, mais ils ont atteint tout de même le niveau de terminale. El hamdoullah, tous ont un travail et c’est des gosses très sérieux.

Vous êtes un papa comblé…
Beaucoup. Amar Laskri ou… je ne me souviens plus exactement qui, Sakhri peut-être, me disait que j’étais un père digne.

Ils ne sont pas non plus passionnés par une carrière dans le septième art comme leur père…
Pourquoi feraient-ils le cinéma? Durant toute ma carrière j’ai joué les premiers rôles dans 30 films et qu’est-ce que j’ai gagné? Même pas l’argent qu’il faut pour acheter un véhicule neuf! Dans L’Opium et le bâton- célèbre film d’Ahmed Rachedi- je n’ai eu droit qu’à deux millions de centimes, dont 7.000 dinars que j’ai payés en impôts. Heureusement que je me suis par la suite rattrapé lorsque j’ai joué en France dans La famille Ramdam. J’ai été grassement payé par la chaîne de télévision M6.

Vous voulez dire que vous n’avez pas gagné bien votre vie en Algérie, en dépit d’une carrière aussi riche?
Oui, tout à fait. Je n’ai rien eu.

Votre quotidien est-il d’un pépé qui se lève tôt pour acheter le pain et les journaux ou plutôt celui d’une personne qui n’a pas de temps à elle?
Plutôt le premier. Je m’occupe quotidiennement en faisant les courses ou en accompagnant mes petits-enfants à l’école. Je m’occupe même de leur toilette.

Pas d’autres occupations, comme la musique par exemple ?
Je suis un inconditionnel de la musique, orientale. Je vais vous surprendre, comme j’ai surpris bien d’autres, ma carrière artistique, au fait, je ne l’ai pas débutée au cinéma mais dans la musique comme chanteur. Et le soliste qui m’accompagnait n’était autre que le défunt Ali Maâchi. Farid Al Atrache était mon idole. Je l’imitais tout le temps. En 1953, quand j’ai signé mon premier contrat professionnel avec
Mahieddine Bachtarzi, j’ai chanté avec Warda El Djazaïria dans sa première apparition publique. Elle a chanté les chansons d’El Djamoussi et moi (il chante) Daymen maâk. L’orchestre était dirigé par
Mustapha Skandrani. Mais hélas, je n’ai pas fait long feu dans la chanson. Mon problème était que je n’avais pas l’oreille pour les rythmes.

Votre passage à L’autre face, la caméra cachée passée au mois de Ramadhan, a plu beaucoup aux téléspectateurs.
J’ai un principe dans la vie avec lequel je ne badine jamais : jamais je ne me laisserai rouler dans la farine. Le président de la République s’est beaucoup amusé et m’a dit que j’ai été blousé par l’équipe de la Caméra cachée. Mais en réalité, ce n’est pas le cas. J’avais senti le coup et je ne me suis pas laissé marcher sur les pieds. Ecoutez, quand un marchand de poulet avec son trente-trois tours (turban) dit vouloir investir dans le cinéma… on est prêt à tout sauf à croire à de pareilles bêtises. À vrai dire, je n’ai pas été d’accord lorsqu’ils poussaient le bouchon trop loin en persistant à provoquer la peur de ceux qui avaient déjà paniqué, comme cela s’est passé avec Chaba Yamina qui est diabétique. Il fallait arrêter quand la personne perdait sa raison. C’était trop dangereux. Cela dit, les Algériens ont ri et c’était l’essentiel.

On vous connaît chaud pour tous les événements culturels. L’êtes-vous aussi pour Alger, capitale de la culture arabe 2007 ?
Je me sens comme le parrain des noces (Moul el aârs). Je lance un message aux gens de mon quartier Zoudj Aâyoun, rue de la Marine, El Hamri, et à tous les citoyens pour donner la meilleure image de nous. Aux femmes, je dirai ne jetez pas la poubelle par-delà la fenêtre… Nous avons des hôtes, nous devons en prendre soin. Alger capitale de la culture arabe 2007 est un événement qui concerne tout le pays et il faut que chacun apporte sa touche pour la réussite de ce grand rendez-vous.

Etes-vous programmé dans une production parmi les 22 films prévus ?
Oui. J’ai été en plus contacté par trois réalisateurs.

Les Algériens partent de moins en moins au cinéma, contrairement aux années précédentes. Pourquoi ?
Je suis étonné par votre question tant la réponse tombe sous le sens. Est-ce qu’il y a des films algériens ?! Y a-t-il des salles de cinéma adéquates ? Hier j’ai fait un tour du côté du cinéma Dounyazad. J’ai découvert une salle dans un état lamentable. Les gens ne partent plus parce que de l’autre côté, ils ont découvert la technologie du numérique avec son lot de chaînes câblées et des DVD… Pour résumer, il faut dire aussi cette patente évidence: quand il y a de la qualité, les gens se déplacent pour le film mais quand cette qualité vient à manquer… même gratuitement ça ne vaut pas le coup.

Justement, parce que Mme la ministre, pour remédier à cette situation, a parlé d’un projet de loi sur le cinéma qu’elle présentera bientôt au gouvernement. Qu’en pensez-vous ?
Je ne connais rien de ce projet mais je sais qu’il ne peut être que positif. Je suis sûr d’ailleurs que la ministre a l’aval de son chef, le président de la République.

Pensez-vous que l’Etat devrait se réapproprier la production cinématographique ou plutôt qu’il se limite à un rôle de régulateur ?
Je dirai qu’il faudrait commencer en premier lieu par sanctionner les incompétents qui font des navets avec de grosses sommes d’argent.
Les moyens se trouvent d’abord dans la tête. C’est l’imagination et le talent avec lequel on peut faire de très belles choses. On ne donne de l’argent qu’à ceux qui ont des qualités et des capacités et peu importe si l’on n’a pas fait 40 ou 50 films de cinéma si on n’a pas les aptitudes. Il faut encourager les jeunes talents. Quant à se retirer, ce n’est pas de l’intérêt de l’Etat. C’est quelque chose qui le concerne au même titre que le privé et les sponsors. Pour peu qu’on donne l’argent à celui qui sait faire des films.

Quand on vous cite des noms comme Rouiched, Mustapha Kateb, Hassan El Hassani, Ouardia et bien d’autres grands noms du septième art algérien… vous pensez à quoi ?
A mon école. C’est mon école. J’ai appris beaucoup quand j’ai gravi les marches aux côtés de Bachtarzi, Rouiched ou Mustapha Kateb. Mieux qu’un cours de théorie. Ce sont des gens magnifiques. Il y a eu aussi, du côté des femmes, feue Latifa, une belle et grande dame, Farida Saboundji, Fatiha Berber…

C’était qui votre pote ?
L’apprenti (Yahia Benmabrouk). Mais il y a aussi Mustapha Kateb qui nous a tout appris. Sans lui, d’ailleurs, je ne serais peut-être pas de ce monde ou en prison. C’est lui qui m’a sauvé de la rue et de la délinquance. J’étais jeune et je détestais les artistes. Je m’en moquais souvent. Jusqu’au jour où Mustapha Kateb vient me demander de jouer dans l’adaptation de Tartuffe, célèbre pièce de Molière. J’avais 15 ans à l’époque. Et voilà comment ça a commencé. J’ai été dans le local pour la répétition où j’ai fait la connaissance de Yahia Benmabrouk, Hadj Omar, Ali Maâchi… Mon premier rôle comme professionnel c’était avec Hassan El Hassani, dans la pièce Sidi Hamouda.

Y a pas pire que celui qui donne sa vie pour l’art, le cinéma notamment, et qui, au terme d’une riche carrière, se retrouve sans le sou. A qui la faute et c’est quoi la solution ?
Est-ce qu’on a cherché pourquoi ? Comment des artistes qui ont gagné beaucoup d’argent, se retrouvent à la fin de leur carrière sans un centime ? Je connais beaucoup d’artistes qui ont ruiné leur vie et leur carrière par l’alcool. Alors, ce n’est pas sérieux de crier sa misère sur tous les toits.

D’autres passions à part la musique ?
Les voyages. J’ai beaucoup voyagé jeune.

Et là vous maintenez le cap ?
De moins en moins. Quand on fait appel à nous. On vient de rentrer de Mascate, la capitale du Sultanat Oman, où on est allés moi, Lamari le fou (il rit) et bien d’autres… sous l’égide et en compagnie de Mme la ministre.

Un pays préféré ?
Je n’ai pas une préférence particulière mais tout ce qui est nouveau est beau. Je me plaisais là où j’allais. Sauf une fois où nous sommes partis avec une délégation conduite par l’ancien président Chadli Bendjedid en Afrique. On nous a menés dans les bidonvilles pour voir la misère des gens.Il ne faut pas oublier que nous avons aussi accompli notre devoir religieux aux Lieux Saints dans un voyage que le chef de l’Etat nous a offerts. On était nombreux, Lamari, Zahouania, Nouredine Morsli, Blaoui El Houari…

Si vous n’aviez pas été comédien quel métier auriez-vous exercé ?
Navigateur. Je vouais autrefois une grande passion à la pêche.

La plus belle chose qui vous est arrivée dans la vie ?
L’Indépendance de l’Algérie.

La moins belle ?
La mort récente de Latifa.

Le souhait le plus cher ?
Que notre Président se porte bien et retrouve toute sa santé.
Entretien réalisé par Amine Goutali

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