La journée est printanière, ce jeudi. Des nuages blancs courent dans le ciel, comme ceux qu’on voit dans les paysages de Walt Disney. Ils paraissent d’autant plus irréels que le décor dont ils font partie semble lui-même sorti tout droit d’un conte de fée. Leurs ombres les suivent fidèlement comme des chiens. Elles traversent les champs de blé et de pomme de terre, sautent par-dessus les oueds et les précipices, assombrissent en passant les pinèdes et les cédraies pour partir finalement à l’assaut des dômes et des pics du Djurdjura, la montagne la plus haute et la plus pittoresque de la région. Toute une féerie se déploie, ce matin, devant nos yeux émerveillés. La RN33, elle-même, paraît enchantée.
Dès le Village de Slim, à cinq ou six km de Haïzer, elle ne cesse de prendre de la hauteur, et tel un tapis volant, nous donne l’impression de voyager dans les airs. Nous avons des vues magnifiques : des rochers qui se dressent tels des Titans, des gouffres sans fond qui s’ouvrent sous nos pieds, et au loin, sur notre droite, dans la vallée de la Soummam voilée de brume, l’oued Sahel, tel un boa constrictor, déroule ses puissants anneaux pour une longue digestion…d’eau verte. C’est le barrage deTilzdit qui alimente en eau potable les communes de l’Est, dont El Esnam, Bechloul et M’Chedellah. La montagne de Tikdjda est, tout simplement magique, et nous profitons de l’occasion du Festival qui s’est déroulé du 28 au 30 mai pour relater les traits saillants de cet événement considérable qui en est, cette année, à sa 5ème édition.
Une journée plutôt plate
A 1478 m, nous bifurquons vers Aïn El Hammam. Cette localité qui se trouve dans la wilaya de Tizi Ouzou n’est pas notre destination. Nous n’y avons que faire. Deux km plus loin, nous nous arrêtons. Nous touchons au terme de notre voyage, mais, ô divine surprise, le lieu où se tenaient d’habitude ces festivités n’est plus le même. On nous indique l’endroit beaucoup plus bas. Cet espace est réservé à l’atterrissage des hélicoptères qui arrivent de Hamiz pour des missions précises, nous explique Hacène, un jeune sapeur- pompier. Au sommet du rocher qui surplombe l’aire d’atterrissage, une guérite équipée d’un clignotant rouge signale le terrain en question aux pilotes, la nuit. Juste à côté est construite cette structure appelée DH, aux accès interdits à toute personne étrangère. La seconde surprise viendra après la clôture de ce festival : la quatrième édition s’est tenue fin mars. Pourquoi ce décalage de dates ? Un responsable de la culture met en avant les températures trop fraîches de la saison. Pourtant la fête a failli être gâchée par la pluie, comme on le verra plus loin !
En attendant l’ouverture officielle de ce festival, nous déambulons à travers les stands des 33 exposants. Une dizaine de chapiteaux adossés à un grand hangar divisés lui-même en autant de stands abrite toute l’exposition. Peu de produits retiennent le regard. De la poterie traditionnelle, quelques robes kabyles, des tapis, des bijoux touaregs sertis de pierre comme l’agate ou la turquoise comme en expose Ahmed, venu de Tamanrasset, en argent comme en fabrique Khlif de Bouira, ou des tapis de Khenchela comme ceux qu’étale Keltoum de Batna, et la déception est au bout. La plupart ont participé au salon de l’artisanat. Pour celui qui a visité ce salon dont c’était la troisième édition, c’est le black out. L’arrivée du wali vers onze heures nous déboussole complètement. Le festival, c’était donc cela : une espèce de foire régionale où étaient exposés les produits artisanaux. Les onze artistes auxquels on a fait appel pour l’animation des trois soirées ne voleraient pas la vedette des artisans. Bref, la chanson serait l’accessoire et l’artisanat l’essentiel de cet événement. La preuve, c’est qu’après avoir fait le tour des stands et s’être entretenu en particulier avec chacun des 33 exposants sur leurs métiers, le premier responsable de l’exécutif est retourné à ses activités. Il est un peu moins de treize heures. La visite a duré un peu plus d’une heure. L’ennui qui s’installe chez ceux qui n’ont rien à faire qu’à attendre la soirée artistique va durer, lui, jusqu’à quinze heures et demie. Ce soir, il y a Kamel Yahiaoui, Mohamed Rafik Ferkati, Nesrine et les Abranis.
La météo joue les trouble- fêtes
La journée du lendemain est tout aussi belle. La matinée se passe sous les stands d’Ahmed, le Tamanrastien et de Keltoum, la Batnéenne. Le premier dit où il trouve l’agate et la turquoise dont il se sert pour sertir ses bijoux touaregs. Quand il ne va pas les chercher au Tassili, à Askrem et à Tamakrast, c’est au Tchad et au Niger qu’il les achète . Ces gemmes sont donc très recherchées par les artisans touaregs, et son frère également présent à ce festival ne recule ni devant la fatigue, ni devant les dépenses pour leur acquisition. Au stand de Keltoum, une femme chaouie qui est présente à tous les festivals, dit notre intérêt nait de l’affichage qui porte ce mot : tatouage. La tatoueuse a réalisé ce matin un joli dessin sur sa propre main gauche. Elle n’en fait pas un métier. Elle nous confie que c’est pour lutter contre le vide et l’ennui. Sa passion, ce sont les tapis chaouis. Mais là encore, c’est un métier qu’elle pourrait abondonner, car elle n’a pas les moyens de s’offrir les métiers à tisser modernes pour continuer. Résultat : elle a été contrainte de mettre la clef de son atelier sous le paillasson. Pourtant, des clientes désireuses de se faire tatouer se présentent encore à elle et elle ne leur refuse pas ses services. De même ses tapis sont très demandés et se vendent même en France. Quand nous quittons les stands pour aller déjeuner , le ciel s’est voilé et de temps en temps des gouttes de pluie tombent. Les organisateurs s’inquiétent. Le ciel a un aspect menaçant. Les touristes, eux, s’amusent à donner à manger aux singes qui sont sortis de leur cachette. Leurs petits nous regardent de si près et ne s’enfuient que si on veut les toucher. L’idée ne vient à personne que la soirée pourrait être perturbée. C’est, hélas, ce qui se passent peu après. Un orage à gâché la soirée. Dommage, que cette soirée a été perturbée. À l’affiche, figurait la star kabyle Hassiba Amrouche. Mais trois heures plus tard la pluie cesse et la soirée a repris. L’icône kabyle pourra ravir son public avec son riche répertoire, alignant chansons modernes et anciennes. Elle rendra même hommage à Idir en chantant une des chansons de ce grand artiste. Mohamed Amziane Mesbah balancera Ya guitariou et plein d’autres tubes avec Ali Chikhi, Azedine et Sadaoui. La soirée finie, la pluie est revenue ce vendredi et un vent violent a renversé les chapiteaux.
Une lueur d’espoir dans la nuit
L’incident de la veille est oublié. Les chapiteaux ont été redressés et tout parait pour le mieux ce matin. Le bijoutier Khlif de Bouira est content. Et il croît que le premier responsable de la wilaya a reçu son message. Les artisans demandent une galerie pour exposer en permanence leurs produits. Cette demande aurait déjà eu l’accord de principe de l’ancien wali. Les anciennes galeries que la wilaya compte récupérer pourraient être affectées à l’artisanat. Le bijoutier de Tamanrasset, lui fait grise mine. L’hébergement n’aurait pas été assuré aux exposants venus des autres wilayas. Mais ces désagréments causés par la perturbation atmosphérique de vendredi sont oubliés
Quant à la soirée, elle est une vraie réussite. Premier à se produire sur scène Ali Hadad a interprété entre autres tubes, celui de Matoub, ravivant un souvenir cher au cœur de ses fans. La talentueuse Chaba Yamina enflamme la scène avec Aïnik ya Yaïnik. Acclamée, la star s’offre un bain de foule en allant au-devant de la scène. La soirée s’est clôturée avec Kamel Chenane et son fameux Djendjen.
Une nostalgie déjà étreint le cœur à l’idée que certains exposants avec lesquels on a vécu ces trois jours, partagé avec eux les mêmes sentiments d’admiration pour ces sites grandioses ne retourneraient peut-être plus jamais en ces lieux. Mais la foi en la vie et en l’avenir fait espérer de nouvelles rencontres, de nouveaux échanges qui scelleront de nouvelles amitiés. C’est le but de ces festivals culturels d’abattre les barrières, et de rapprocher les peuples. Il est seulement dommage de n’avoir pas introduit dans ce programme d’autres activités culturelles comme la poésie, le théâtre et même le cinéma afin de combler le vide entre deux soirées artistiques. Et pourquoi pas des visites guidées sur les sites les plus pittoresques, puisque la finalité
suprême étant de promouvoir le tourisme. En associant la wilaya de Tizi Ouzou avec le parc national de Djurdjura, on aurait obtenu un programme plus riche.
Ali D.