Accueil MONDE Face à la menace jihadiste : la Tunisie découvre la difficulté d’informer

Face à la menace jihadiste : la Tunisie découvre la difficulté d’informer

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Confrontée à la multiplication des violences jihadistes, la Tunisie vit un dilemme classique mais épineux : comment concilier droit à l’information et sécurité dans le seul pays du «Printemps arabe» à avoir consacré la liberté d’expression. «Terrorisme et liberté de la presse sont deux choses nouvelles en Tunisie», constate Mohamed Fehri Chelbi, enseignant à l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI). D’où les cafouillages, chez les médias comme chez les autorités, qui accompagnent souvent les violences. Dernier exemple en date, la cacophonie qui a suivi des coups de feu entendus depuis une caserne à Tunis le 25 mai. Aussitôt, des médias annoncent «une attaque terroriste». Certains évoquent des affrontements entre militaires et hommes armés dans la caserne et le quartier voisin. D’autres assurent que des femmes sont parmi les assaillants. Mais rapidement, il s’avère que c’est un caporal déséquilibré qui a abattu huit camarades avant d’être tué. Ces versions diverses et variées ont suscité la colère sur les réseaux sociaux, un internaute allant jusqu’à publier ce tweet ironique: «URGENT: des journalistes terrorisent la population».
Une «précipitation» dénoncée par le porte-parole du ministère de la Défense, Belhassen Oueslati, pour qui «la publication d’informations erronées et de récits contradictoires donne lieu à une multiplication d’interprétations et provoque l’inquiétude de l’opinion publique». Les risques du métier, se défendent ces médias, d’autant que les autorités elles-mêmes relaient régulièrement des informations contradictoires, comme lors de l’attaque le 18 mars du musée du Bardo. Ministres et porte-paroles s’étaient alors succédé devant les caméras pour annoncer des bilans et des scénarios différents et erronés. «Pourquoi sommes-nous insultés et décrédibilisés alors que nous n’avons fait que notre travail, en donnant rapidement une information recueillie auprès de sources officielles et/ou fiables?», se demande le site Business News, qui avait mentionné les femmes armées avant de mettre à jour son article.

Polémique récurrente
Ces polémiques sont récurrentes depuis la révolution qui a mis fin à la dictature en janvier 2011, les gouvernements successifs accusant de «dérapages» les journalistes qui en retour blâment leur manque de transparence. Les médias se sont notamment retrouvés sous le feu des critiques à l’été 2013 lorsque des images de dépouilles de soldats, tués dans une embuscade jihadiste, ont été diffusées sans montage. «Il ne faut pas que la liberté de la presse devienne un prétexte pour agresser (…) moralement les spectateurs, surtout les familles des victimes appartenant à l’armée et à la police», a récemment jugé le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Mohamed Ali Aroui, lors d’une journée d’études organisée par ses services sur le thème «Terrorisme et médias». Pour lui, certains «dérapages» peuvent être qualifiés de «propagande» inconsciente pour le terrorisme, comme lorsqu’un journal laisse «entendre que les terroristes sont gagnants et les forces de l’ordre et l’armée battues». Des responsables sécuritaires, notamment de syndicats de police, ont même exhorté les médias à «s’engager dans la guerre contre le terrorisme» et à «faire passer l’intérêt de la nation avant le scoop». De tels appels sont dangereux, estime le Centre de Tunis pour la liberté de la presse (CTLP), une ONG, car les journalistes n’ont pas vocation à «faire partie de la stratégie de communication du gouvernement». «Un journaliste a le droit de faire siennes les grandes valeurs comme la lutte antiterroriste (…), mais il n’a pas à mener une guerre par procuration (…) ou à être un instrument des appareils de l’Etat», souligne Walid Mejri, journaliste à l’hebdomadaire Akher Khabar. Fahem Boukaddous, du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), admet cependant que les journalistes doivent faire un vrai effort de fiabilité. Car, avertit-il, les autorités «pourraient exploiter ces dérapages pour faire pression sur les médias» et «justifier» ainsi des législations «dangereuses» pour la presse. Deux projets de loi récemment présentés par le gouvernement sont venus attiser ces craintes: l’un, relatif à la lutte antiterroriste, et l’autre, réprimant les atteintes contre les forces armées, ont été jugés liberticides et ont suscité une levée de boucliers.

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