Une plainte collective, regroupant des victimes algériennes et françaises – des soldats et officiers français qui étaient en service sur les lieux pendant cette période -, a été déposée auprès du tribunal de Reggane (Adrar), pour demander réparation et excuses de la France, coupable de crimes contre l’humanité et l’environnement commis dans le Sahara algérien, suite aux explosions nucléaires de la France coloniale.
C’est ce qu’a annoncé, hier, Mohamed Mahmoudi, coordinateur des victimes des explosions nucléaires à Reggane, – une association en voie de constitution – lors du Forum du quotidien « El-Wassat ». Cette plainte est portée avec l’appui de l’Association des juristes algériens, dont le SG, l’avocat Bodjadou Youcef était présent hier.
Mahmoudi, lui-même victime de ces essais nucléaires lorsqu’il était en service militaire en 1992, contaminé par des radiations alors qu’il était chargé de garder les sous-sols où sont effectués ces essais nucléaire, a mis en avant le peu d’informations et de médiatisation sur ces événements tragiques.
« Dans les écoles on nous a tous appris sur les bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki en 1945, mais on sait très peu de choses sur les explosions nucléaires de Reggane, qui sont passées pourtant plus récemment, dans les années 1960 », a-t-il souligné, dénonçant également « le silence officiel » sur ces événements. Mahmoudi a expliqué que la plainte vise à donner réparation morale et physique aux victimes de ces essais nucléaires.
Il a appelé aussi à assainir les zones contaminées par ces essais, notamment en délimitant les lieux d’enfouissement du reste de ces explosifs à l’origine de la pollution environnementale, mettant en avant la nécessité de collaborer avec les autorités françaises qui doivent transmettre à l’Algérie les données relatives à ce dossier.
872 dossiers sur le bureau des anciens combattants français
Mahmoudi a précisé qu’en 2015 la coordination des victimes des essais nucléaire a demandé des indemnités pour se soigner, les victimes souffrant des complications des différents cancers de la peau, des yeux et du sein.
872 dossiers ont été introduits auprès du bureau des anciens combattants de la France, suite à la déclaration du ministre français, Jean-Yves Le Drian, sur l’indemnisation des victimes des essais nucléaires, a souligné Mahmoudi.
Ce dernier a évoqué les obstacles opposés par le côté français, notamment la droite, pour empêcher la reconnaissance puis l’indemnisation des victimes de Reggane, comme par exemple les prétentions que cette vaste région était « vide » alors que tous les rapports historiques prouvent que Reggane était une zones de transit des populations de la région.
Les victimes françaises qui se sont jointes à la plainte, essentiellement des soldats et officiers en service sur les lieux, mais dont l’État français n’avait fournis aucune information ni moyens de protection, ont adhéré à cette initiative après avoir vu sur les réseaux sociaux les images postées par la coordination des victimes de Reggane.
« Certains ont reconnu les lieux où ils étaient en service après avoir vu les images. Ils ont pris contact ensuite avec nous et ont accepté de témoigner avec nous. Certains d’entre eux ont même revisité récemment les lieux et exprimer leurs regrets », a indiqué le coordinateur de cette association. « Ces soldats et officiers français affirment qu’ils sont eux-aussi des victimes de l’État français, car ils n’étaient pas protégés. Ils ignoraient jusqu’à la nature de leur mission sur les lieux. Très peu en savaient. Ils se sont joints aux plaignants algériens. La plainte a été déposée auprès de tribunal de Reggane, il y a trois mois », a abondé Boudjadou Youcef, SG de l’association nationale des juristes algériens, qui fournit l’assistance juridique à la l’ordination des victimes des essais nucléaires.
Cette plainte a-t-elle des chances d’aboutir ? : « Il est vrai qu’une de telle plainte ne relève pas du simple fait de délit, mais une affaire complexe, qui nécessite d’être traitée à un très haut niveau, vu les relations communes algéro-françaises. Mais nous constatons que depuis son introduction, cette plainte n’a pas été classée, ce qui prouve qu’elle est toujours en instruction au plus haut niveau », a-t-il expliqué.
Le juriste a ajouté : « Quand l’affaire prendra son processus, elle sera suivie d’excuses officielles de la France pour l’Algérie, avec les engagement d’assainir les zones contaminées par ces essais.
« La non prescription des crimes de guerre et crime contre l’humanité a été la base sur laquelle repose notre plainte. Il s’agit d’un principe universel. Nous souhaitons que l’affaire avancera très prochainement », a-t-il affirmé.
Mahmoud Mahmoudi a rappelé l’engagement de l’ancien président français François Hollande de construire un grand hôpital à Reggane, mais sans suite depuis.
Une affaire « apolitique » de la société civile
« Cette affaire n’a rien à voir avec la politique. Elle est initiée par la société civile pour réclamer réparation sur les torts commis sur l’environnement et les sévices sur la population qui souffre jusqu’à aujourd’hui de séquelles transgéniques. Nous voulons obliger la France à prendre ses responsabilités historiques, elle qui se considère le berceau des droits de l’homme. Nous avons des informations que ces explosions nucléaires ont été préméditées afin de nuire au peuple algérien. Il s’agit d’un véritable crime contre l’humanité », ont expliqué les auteurs de cette plainte.
Sur la question pourquoi aller au tribunal de Reggane au lieu d’aller à la Cour de justice internationale à la Haye, le coordinateur des victimes des essais nucléaires a indiqué qu’en 1996 un dossier a été déposé auprès de cette juridiction internationale, mais sans résultats, 20 ans après.
« En 2014, une autre plainte a été déposée à la Haye par des collectifs d’Algériens établis à l’étranger, mais essuyant un refus sur le fond », s’est-il désolé, regrettant également que « la partie algérienne a été totalement absente sur cette question». « Depuis 13 ans que nous réclamons une prise en charge des victimes des essais nucléaires à l’instar de la même prise en charge des victimes des mines. Le ministre des Moudjahidine nous a promis d’installer un comité de haut niveau pour étudier la question, mais rien depuis », a-t-il expliqué.
Mahmoud Mahmoudi a dit toutefois qu’il trouve la volonté politique chez les décideurs actuels pour aller de l’avant sur cette question.
« Nous nous sommes entretenus récemment avec Abdelmadjid Chikhi, Conseiller chargé des archives et de la mémoire auprès de la Présidence, qui nous a promis de remettre tout un rapport au président de la République dès son retour d’Allemagne », a indiqué Mahmoudi, ajoutant : «nous attendons que la Présidence nous contacte dès la semaine prochaine ».
« C’est le moment de négocier de nouveau dans ce dossier. Pas de réconciliation avec l’histoire sans réparation pour les victimes des explosions de Reggane », a conclu Boudjadou Youcef.
Hamid Mecheri