Accueil ACTUALITÉ Bouira : visite ministérielle sur fond de fronde

Bouira : visite ministérielle sur fond de fronde

0

La ville ce matin avait l’air d’un lézard au soleil. Même un événement comme la visite d’un ministre, en l’occurrence de la Jeunesse ne parvient pas à la tirer de sa torpeur. C’est pourquoi, dans ses rues écrasées de soleil, la vie s’est quelque peu ralentie. Aussi, nous la traversons de part en part en parfait inconnu. Il y a comme un air de nostalgie qui siffle dans les parages, à mesure que nous nous approchions de notre but : ici, il y a près d’un demi siècle le train s’arrêtait devant les docks dont les entrepôts remplis de blé hier, vides aujourd’hui, se dressent encore dans un vigoureux élan vers le ciel ; là le pressoir et ses cuves où aboutissait toute la récolte de la vendange de la région et qui se rouille lentement ; là encore le siège de la daïra déserté récemment pour le nouveau construit juste à côté de la piscine. La piscine enfin : voilà pourquoi nous sommes là. Un jeune nous en indique le chemin. Un autre essaie d’attirer notre attention sur l’état des rues. Peine perdue. Nous n’avons d’yeux que pour cette perle, que pour ce che d’œuvre de l’urbanisme là-bas devant nous.

Une piscine pour faire oublier le barrage ?
Tout de même une légère inquiétude dont personne ne peut se défendre si l’on connaît la vocation de cette daïra, domaine du blé et des maraîchères qui ont remplacé la vigne arrachée. Ce sentiment poignant, ce malaise a son origine dans l’avancée de la ville qui, comme Bouira se déplace vers l’ouest. Et ce déplacement incompréhensif, incontrôlable se fait hélas, aux dépens des plaines des Arribs, terres, on ne peut plus fertiles. Il y a eu d’abord le lycée, aujourd’hui en face de la piscine dont l’inauguration est imminente, et on s’était dit que les choses allaient en rester là. Et les choses n’en sont pas restées là, puisqu’il y a eu les logements des profs, et de ce côté-ci, la piscine, le siège de la daïra et d’autres blocs administratifs. Et demain, Dieu seul sait ce que ça sera.
Pour l’heure, le bijou architectural s’enchâsse sur un terrain estimé à 1 706, 20 m2 pour un coût total de 2, 5 milliards de dinars avec des gradins d’une capacité d’accueil de 500 places. De jeunes baigneur ont mille tours, comme des brochets sous l’œil attentif de huit mètres, dont quatre filles. Des tous petits barbotent avec de l’eau leur arrivant à mi corps, eux aussi étroitement surveillés. Le ministre arrive enfin vers 11h, et contemple un moment, du haut des gradins, le spectacle offert par les jeunes baigneurs. Le responsable de l’Opow nous confiera plus tard que des cinq nouvelles piscines, c’est la plus belle. A-t-on abordé le sujet des noyades qui se produisaient chaque été au barrage de Oued Lakhal, à quelque quatre ou cinq km en allant, à l’est, vers El Hachimia ? Lui a-t-on parlé de ce drame où une famille perdait en 2009 deux de ses membres, l’oncle qui a amené ses deux nièces adolescentes, se noyait lui-même, mais en sauvant tout de même l’une d’elles ? Lui a-t-on fait représenter les affres que vivent certaines familles craignant pour leurs enfants parce que beaucoup y allaient pour se baigner malgré les avertissements qui mettaient en garde contre le fond vaseux du barrage ? En tout cas, cette piscine ne peut mieux tomber. Tous les enfants vont s’inscrire pour pouvoir pratiquer ce sport qui rencontre beaucoup d’engouement chez les jeunes et leur permettre de remplir le vide qui s’accentue pendant les vacances où la jeunesse se sent désœuvrée et en proie à l’ennui. D’ailleurs la volonté du ministre a été clairement exprimée au cours des deux premières inaugurations : à la piscine de Lakhdaria comme à celle de Kadiria, il n’y aura pas de subventions qu’à condition que les activités sportives développées au sein d’une discipline enseignée débouchent concrètement sur des résultats probants en lien avec les objectifs fixés. Le message est, on ne peut plus clair : finies les gestions opaques où d’importantes sommes d’argent s’engloutissaient sans qu’on ne sache comment ni surtout qu’on voie les résultats. Quoi qu’il en soit, les bessemis ont eu leur piscine et tous ces enfants et tous ces adolescents qui sont comme un poisson dans l’eau, montrent à leur manière qu’ils sont heureux.

L’esprit frondeur
Chacun dans sa sphère étant fier de ce qu’il a fait dans la réalisation de ce magnifique projet, il était légitime que chacun cherche ce jeudi à paraître à son avantage pour s’attirer les bonnes grâces des hauts responsables et avoir sa part de compliments. C’est pourquoi, à côté des autorités locales se signalaient les chefs d’entreprises qui ont réalisé ce beau spécimen de l’architecture moderne et des systèmes de remplissage, de renouvellement de l’eau et du chauffage. Se trouvait aussi le chef de l’agence de l’ADE de Aïn Bessem, tout content de la qualité de l’eau, d’un superbe bleu turquois, qu’il fournit à la piscine. Il est content aussi de ce que son agence s’agrandit. En effet, l’année 2015 et la date que s’est fixée cet organisme étatique pour gérer toute l’eau de la wilaya. Sur l’ensemble des 45 communes, une douzaine échappe encore à son contrôle. Mais que de tracas aussi en perspective. Car qui dit recouvrement dit forcément contestation et ça se traduit parfois de façon violente. Ainsi la semaine dernière, celle de ces quelques 200 habitants de Ouled Zidane, à la sortie ouest de Aïn Bessem, en allant vers Sour El Ghozlane. S’ils s’étaient réjoui de l’arrivée de l’eau en abondance dans leur petit village, il n’en a pas été de même lorsque l’ADE a fait savoir que l’installation des compteurs pour chaque foyer était aux frais du contribuable. Habitués pendant toujours à consommer gratuitement de l’eau, tant que sa gestion relevait de la commune, ses citoyens s’étaient indignés et exigeaient que les compteurs soient fournis gratuitement. Et en pour exprimer leur colère et leur incompréhension, ils ont occupé la route qui relie Aïn Bessem à Sour El Ghozlane. Cet épisode n’a pas connu d’épilogue. Mais, nos sources laissent entendre que la location du compteur pourrait être prise en charge par la commune pour venir en aide à une population victime de la paupérisation. Elle ne semble pas mieux lotie celle qui vit à Bir Ghabalou, un chef-lieu de daïra qui a connu peu de progrès si l’on considère son ancienneté. L’ancien tissu urbain n’a pas changé du tout, exception faite du siège de l’APC et de la mosquée qui a pris la place de l’Eglise abandonnée. Là, la misère est plus cruelle encore que partout ailleurs. On a construit à l’entrée-est de la ville et à la sortie nord-ouest. Mais tout cela reste très insuffisant. Et les émeutes qui éclatent à chaque attribution de logements montrent que la fronde gronde toujours et n’attends qu’une occasion pour apparaître au grand jour.
La visite du ministre de la Jeunesse est venu inaugurer la piscine de proximité, ce jeudi. Il s’apprête à gagner la piscine lorsqu’il est hélé par un groupe de jeunes. Ils l’interpellent sur le travail. Ils veulent des postes comme ceux qu’on vient de créer pour cet établissement. Le ministre a beau jeu de leur répondre que les places y sont fort restreintes, et que s’ils voulaient travailler, il a d’autres secteurs dans la wilaya qui seraient heureux de les accueillir, tous, tant qu’ils sont. Battus par la justesse de l’observation, les jeunes ne s’avouent pas vaincus pour autant. Alors que l’hôte d’un jour de la wilaya se prépare à monter dans son véhicule, un autre groupe l’enveloppe et l’oblige à lui faire face. Les doléances fusent de tous côtés. Le ministre est pris dans un tourbillon de mots durs. Pourquoi une si petite piscine, alors que celle de Aïn Bessem est d’une dimension plus grande ? Pourquoi c’est toujours cette ville voisine qui s’accapare les grands projets ? Pourquoi ne voit-on pas beaucoup, de grands projets, à Birghabalou ? (On oublie la centrale électrique qui alimente une grande partie du pays, le centre enfûteur de gaz, on oublie surtout le projet d’aérodrome à l’étude qui va faire de cette ancienne ville un carrefour d’échanges commerciaux et de rencontre.) Pourquoi n’ y a-t-il pas de stade et pourquoi les moyens manquent pour faire fonctionner le club de foot ?

Le ministre perd son calme
Toutes ces questions appellent une réponse rapide et précise. Le ministre a fait d’abord observer que si le club continue a souffrir du manque de moyens, c’est que l’argent a été gaspillé. La wilaya a tout récemment effacé l’ardoise de tous les clubs, au nombre d’une trentaine. Le club de Bir Ghabalou a reçu sa subvention comme tous les autres. Une enveloppe d’un milliard a été dégagée sur fond de wilaya pour encourager les clubs défaillants, ceux qui faute de payer les droits d’engagements étaient obligés de déclarer chaque année forfait. Aucun responsable de club ne pouvait donc prétendre que l’argent manquait. Et le ministre a marqué encore un point. Quant aux dimensions modestes de la piscine, il a fait savoir que c’était le projet qui était comme cela et qu’il tenait compte des besoins de la commune.
Dans la foulée, il a rappelé que Bir Ghabalou a bénéficié d’un projet de stade synthétique encore à l’étude.
Au fur et à mesure que le ministre donne ces explications, son calme se perd. Certaines réponses sont de vives répliques comme au sujet du financement des clubs. Mais il est dit que les choses n’en resteraient pas là et le ministre ne quitte le groupe de jeunes qui se sont rassemblés devant la piscine que pour celui qui l’attendent devant l’école où il va présenter ses condoléances à la famille d’un athlète tué la veille dans un accident d’auto. Le groupe composé d’une vingtaine de jeunes brandissent des pancartes et les photos d’un chahid en tenue militaire et en arme. Il est conduit par le fils du héros. Le ton monte soudain, lorsque la garde rapprochée du ministre veut éloigner les importuns du chemin emprunté par le cortège.
Finalement, les manifestants renoncent à interpeller le ministre. Ils reculent de quelques mètres et restent sur le trottoir jusqu’au départ du ministre. Mais sans crier, sans menacer de troubler l’ordre. On leur a fait comprendre que ce n’est ni des prérogatives de ce dernier, qui n’est pas le ministre des moudjahidine ni le lieu, puisqu’on est là devant une maison en deuil. Ce que le groupe revendique c’est n’importe quoi qui puisse être baptisé du nom du chahid qui a donné son sang pour la patrie : une rue, une place publique, une école, un hôpital. La veille, le fils, suite aux démarches qu’il avait faites, aurait reçu l’assurance que la piscine allait recevoir le nom de Zbarbar Bradii Mohamed. Ce matin, réveillé dans cet espoir et cette croyance, il arrive devant l’établissement sportif et qu’est-ce qu’il découvre ? Le nom d’un colonel né en 1963 et tué en 2005 par un groupe de terroriste à Tamanrasset : Zahouani Abdelkader. D’où la terrible colère qu’il pique. Il sentait qu’on s’est moqué de lui. Le ministre prend ensuite la RN8, traverse Raouraoua sans s’arrêter, prend le contournement de Sour El Gholane, puis celui d’El Hachimia où il ne met pas les pieds au stade, qu’il va inaugurer. De là, il regagne Bouira par le CW127, c’est-à-dire en passant par Oud El Bardi. L’après midi, il reprendra sa visite qui le mènera de HaÏzer à MChedellah. Il aura inauguré ou inspecter cinq piscine et un stade.
Ali D.

Article précédentNon-Alignés : soutien sans réserve à la résistance palestinienne
Article suivantFLN : Belayat devant les tribunaux, dans deux semaines ?

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.