S’il est vrai que le débat autour de la question de l’enseignement dialectal mérite une attention particulière, de par son importance capitale dans le giron du système éducatif, le forum organisé, hier, par le quotidien arabophone «El-Hiwar» sur cette problématique, déroge à la règle.
L’initiative du journal demeure pour le reste louable, puisqu’elle veut mettre en lumière une question qui engage l’avenir du pays. Et pour cause, censé confronter les avis des uns et des autres, le débat a pris une tournure antinomique, ayant viré dans une seule et unique trajectoire, qui dépouille jusqu’à l’essence même d’une polémique, jusque-là, cantonnée dans son stade de déclarations unilatérales. Il ne s’agit pas tant de porter des jugements sur les opinions des communicants: une pléthore d’ex-ministres et cadres de l’Éducation, de professeurs linguistes et chercheurs en langue arabe, journalistes et représentants des partenaires sociaux de l’Éducation, d’après une liste composée d’une quarantaine d’intervenants. Ce n’est pas tout, non seulement une bonne partie des participants n’a pas répondu présente, mais le thème de la rencontre abordant finalement «la situation de la langue arabe» a été préféré à celui initialement prévu, à savoir «l’enseignement dialectal». Pour rappel, ce dernier point figure parmi les recommandations de la Conférence de l’Éducation, tenue, fin juillet dernier, sous les auspices de la ministre du secteur, Nouria Benghebrit. Hormis une minorité, parmi les conférenciers, ayant évoqué timidement l’importance de la langue maternelle et du dialecte dans le développement de l’individu notamment, et de la société dans un sens plus large, les communicants qui se sont succédé devant le pupitre ont focalisé leur discours sur ce qu’ils voient en l’intégration des dialectes dans les programmes de l’enseignement primaire, d’une «menace sur la langue arabe», voire à «l’unité nationale». À un moment donné, quelques intervenants ont vite été rattrapés par leur propre «langue», puisqu’ils se sont exprimés en arabe dialectal. Pourtant, rien ne justifie de telles positions «avant-gardistes», dès lors qu’il ne s’agit point de mettre à l’index la langue arabe, de surcroît l’unique langue officielle consacrée dans la Constitution, secondée par tamazight, confinée, quant à elle, dans son statut de langue nationale.
La proposition de Benghebrit «mérite»-t-elle, à ce point, de susciter tant d’animosité? Si des experts et spécialistes linguistes sont unanimes à soutenir le rôle primordial que constitue l’enseignement de la langue maternelle, qui reste, selon eux, consubstantiel à la construction de l’individu, c’est qu’il y a vraisemblablement matière à réfléchir. Un argumentaire scientifique de taille que Benghebrit a voulu se débarrasser de ce qui le parasite de préjugés idéologiques et d’arrière-pensées rétrogrades, à même de faire de l’École algérienne un bastion, qui tient compte, au-delà de la dimension universelle qu’impose la marche du monde, de la réalité nationale à travers notamment sa diversité multilinguistique, puisée de son identité et de son histoire, millénaires. C’est du moins, là, ce qu’entend faire la ministre, qui a mené presque une bataille seule contre vents et marée, en s’accrochant tant bien que mal à ses objectifs confinés dans ses réformes du système éducatif, devant la houle suscitée parmi des leaders politiques, qui, s’érigeant en gardiens du temple des valeurs et des mœurs, se croient détenir les règnes des constantes nationales. À défaut, donc, de se faire contredire par d’autres acteurs de la sphère éducative nationale à même d’enrichir le débat, les conférenciers se sont donnés à cœur joie de se battre contre des moulins à vent. À noter, donc, que les syndicats de la tutelle ont brillé par leur absence, quand bien même certains figuraient dans la liste. En effet, parmi ceux ayant disputé les portillons pour intervenir les premiers, l’on peut citer Othmane Saâdi, président de l’Association algérienne de la défense de la langue arabe, Med-Cherif Kherroubi, ex-ministre de l’Éducation, MadieddineAmimour, ex-ministre de la Communication et Abdelkader Fodhil, chercheur linguiste, pour n’en citer que ceux-là.
Ce qui en découle pour le moins de leurs déclarations, c’est le fait de participer, à toutes fins utiles, à considérer le projet de Benghebrit d’un plan fomenté depuis l’extérieur pour défragmenter «le ciment de l’unité nationale». Même si les partenaires sociaux de l’Éducation ont volé au secours de Benghebrit pour soutenir son projet, un des intervenants à tout bonnement relevé les prérogatives de la question de «l’enseignement dialectal» au-dessus de tous.
En effet, Abdelakader Fodhil, puisque c’est de lui qu’il s’agit, pense que ni la ministre du secteur, ni le Premier ministre, ni encore le président de la République ne peuvent décider de cette question. Pour lui, «c’est l’affaire des spécialistes»… c’est dire que chacun «ses spécialistes». Pourtant, il s’agit bien d’une de leurs recommandations clés, non ?
Farid Guellil