Le lancement des multiples programmes de logements pour les différentes formules initiées par le gouvernement a remis sur pied la problématique de la qualité des architectes en Algérie. Une occasion pour les professionnels qui tentent ces derniers temps de soulever certains problèmes menaçant l’avenir de l’activité architecturale en Algérie. C’est celui de la qualité des nouveaux architectes et leur formation qui est remise en cause. Pour certains, il est temps de trouver les solutions à ce problème, en instaurant d’autres règles pour le futur architecte tout en proposant de remplacer le stage de 18 mois par un examen d’habilitation. Le Collège national des experts architectes (CNEA) n’est pas resté indifférent face à cette situation. D’ailleurs, il a organisé deux rencontres dans ce sens qui sont passées presque inaperçues malgré leur importance pour la profession.
Regroupant des architectes experts anciens fonctionnaires salariés et libéraux, le CNEA a initié une rencontre dernièrement pour débattre des problèmes de l’architecture à la lumière de l’expérience vécue par la corporation et des contraintes rencontrées dans l’exercice de la fonction d’architecte. Le premier constat reste l’amalgame qui est toujours entretenu entre un cabinet d’architecture, dont la mission essentielle est la production et la créativité architecturale, et le BET qui a plutôt pour mission l’ingénierie.
Pour le collège, l’exercice de la fonction n’est souvent pas conforme aux termes de la réglementation qui la régit. «Il est impératif de dissocier les rôles des architectes de ceux de l’ingénieur. Chacun doit assumer ses responsabilités exactes et précises sans aucune interférence dans les différentes interventions », estiment les représentants pour qui l’administration ne joue pas pleinement son rôle dans ce domaine et l’attribution des contrats de maîtrise d’œuvre se fait sur des bases subjectives ou de clientélisme. Le collège considère toutefois que les architectes sont perçus comme des gêneurs et non pas comme des acteurs déterminants dans la conception et le suivi du projet.
« On doit coûte que coûte en finir avec le rejet et la peur de l’architecte et lui donner au contraire tous les moyens pour exercer pleinement et efficacement ses missions réglementaires. L’architecte qui est le pilote de tous les segments est en quelque sorte un chef d’orchestre à qui incombe la symphonie dont il assure la cohérence et l’harmonie. Il ne doit en aucun cas être comptable des erreurs des autres intervenants », ajoute le CNEA.
En outre la mission de suivi et contrôle des travaux de réalisation lui est souvent retirée ce qui justifie la défaillance criarde les imperfections et la non-conformité qui sont enregistrées quotidiennement dans le bâti. Le rôle et l’importance de l’architecte doivent être ancrés dans l’esprit du citoyen alors que la culture de l’architecture fait défaut aussi bien chez l’usager que l’administration.
Dans les pays avancés ou cette conscience existe les architectes sont placés sous tutelle du ministère de la Culture, de par la mission de créativité et l’innovation qui leur incombe, et non pas d’un ministère de l’Habitat ou de la Construction. La non discordance et la méconnaissance des lois a accentué le marasme.
Qu’en est-il des lois ?
Selon le collège, après promulgation de maintes lois et décrets, les textes d’application ne suivent jamais de la même manière et le pays doit s’adapter aux exigences mondiales en termes de politique et d’ouverture économique, on doit également permettre à l’architecture de se mettre au diapason des évolutions internationales pour garantir au métier de se développer et de s’épanouir pleinement.
« C’est l’un des rares pays ou on construit de grands ensembles urbains sans associer des architectes. Des milliers de logements sont réceptionnés sans qu’on sache l’identité de l’architecte qui les a conçus », estime le CNEA en s’interrogeant : «Combien d’entreprises de réalisation disposent en leur sein d’un bureau d’études pour garantir l’application intelligente des études ? »
Il existe toute une chaine de responsabilité qu’il faut respecter, de la localisation du site, aux études de sols, aux études techniques, au choix de l’entreprise, au suivi et contrôle de réalisation (le pilotage du projet avec obligation de résultat) jusqu’à la conformité qui doit revenir à l’architecte et non pas à l’administration. Les professionnels regrettent toutefois le fait que des décisions de constructions massives sont prises par les pouvoirs publics et de manière urgente sans que celles-ci tiennent compte d’une stratégie conçue auparavant par des professionnels du secteur et en l’absence d’instruments techniques de développement. A titre d’exemple l’ordre des architectes regrette le fait qu’il n’a jamais été invité à prendre part aux travaux de la commission de réflexion sur la restructuration du tissu urbain de la capitale.
« Par rapport à quelle logique les cabinets d’architecture étrangers sont chargés de mener des études pour des projets nationaux importants sans associer des architectes algériens ? », s’interroge-t-il faisant savoir que les honoraires dont ils bénéficient sont supérieurs jusqu’à 10 fois par rapport à ceux pratiqués localement. Pour lui, les honoraires de la maitrise d’œuvre doivent être définis rigoureusement et noblement comme c’est le cas par exemple pour les médecins, dentistes ou chirurgiens. « Il ne faut jamais perdre de vue que l’architecte produit de la noblesse pour le pays .Il faut admettre que la famille des architectes a manqué de solidarité pour porter tout haut son combat et faire entendre sa voix et sa colère », explique-t-il.
Les nouvelles générations doivent être, selon le collège, mobilisées et encadrées pour une plus grande adhésion à la corporation. Il est urgent de mettre sur pied une commission pour établir un diagnostic sur la profession et ensuite soumettre aux autorités des suggestions concrètes qui permettront une sortie de crise. Le message du CNEA est que la famille des architectes soit unie pour faire aboutir son combat en améliorant considérablement l’environnement hostile dans lequel elle évolue actuellement.
«Gérer, compétence et moralité»
En fonction des programmes ambitieux de construction de logements et autres équipements et devant les défis de la construction, sans la participation effective de tous les professionnels du bâtiment aucune solution efficace ne sera garantie. La volonté politique et les budgets élevés ne suffisent pas à eux seuls. Les solutions doivent être techniques avant tout. La coordination de toutes les synergies est nécessaire dans le cadre d’une stratégie rigoureuse préalablement élaborée avec la participation de tous les intervenants. Une vision élargie à l’ensemble des experts du bâtiment est une condition sine qua non à la réussite des objectifs tracés dans le domaine.
Une construction est un produit de qualité qui doit être livré par des techniciens qualifiés et compétents. C’est pourquoi le collège considère qu’une charte doit être initiée pour y définir les modalités pratiques à même de garantir un meilleur cadre bâti et préserver ainsi des vies humaines devant l’aléa sismique. Outre le CNEA, le conseil local de l’ordre des architectes d’Alger se préoccupe également de la problématique architecturale. Pour ce dernier, les métiers d’architecte, ingénieur et géomètre expert garantissent la qualité du bâti ainsi que la créativité et la sécurité. Tout acte de bâtir doit être mûri. Il doit être l’œuvre de techniciens et professionnels durant toutes les étapes c’est-à-dire du choix de terrain, à l’étude technique en passant par le suivi et le contrôle des travaux.
Aussi, les compétences techniques doivent être garanties au niveau de toute les communes dans cette optique. Chacun doit être responsable et professionnel dans son intervention et par rapport à son métier. Par ailleurs la société civile doit être associée pleinement pour une meilleure qualité de vie. Chacun doit apprendre à aimer son quartier, sa commune et sa ville. Par ailleurs, dans le souci de freiner le spectre des constructions inachevées les APC sont conseillées pour exiger à l’avenir à tout postulant un permis de construire un portefeuille financier suffisant ou une garantie bancaire pour entamer réellement et achever sa construction dans les délais .
Le conseil propose en outre à ce que les cahiers des charges soient enrichis et actualisés par des professionnels expérimentés et ne doivent plus être l’apanage des maîtres d’ouvrage, car c’est la base fondamentale et le point de départ de toute la chaine de conception des projets. Il doit coûte que coûte prévoir la famille des intervenants et parvenir ainsi à une codification de toutes les tâches. Les métiers d’ingénierie devront désormais intervenir avant le projet d’exécution.
« Nous vivons dans un monde d’ensemble et ce n’est qu’à partir de la programmation que commence la maîtrise d’œuvre. Compte tenu que toutes les revendications et propositions formulées antérieurement sont restées lettre morte ces rencontres sont à multiplier pour faire aboutir le combat. Le dialogue doit être poursuivi et les compétences doivent émerger », explique le conseil. Les différents experts, chacun dans sa spécialité, doivent s’organiser et s’ériger comme partenaires incontournables.
I. B.