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ABDERREZAK DOURARI, Pr DES UNIVERSITÉS EN SCIENCES DU LANGAGE : «Le citoyen algérien a intégré et assume la notion du multiple et du multiculturalisme»

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Très au fait des réalités linguistiques et culturelles de la société algérienne, Abderrezak Dourari, professeur des universités et auteur de plusieurs études et ouvrages, fait, dans cet entretien, le bilan des quatre années – de 2016 à 2020 – qui ont suivi l’officialisation de la langue tamazight, ainsi que celui – quasi-nul – de l’Académie de la langue amazighe créée suite à cette même officialisation. Il revient également sur les mutations sociologiques qu’a connues la société algérienne, mutations que les protestations populaires (le Hirak) ont, non seulement mises en avant, mais aussi accentuées.

-Le Courrier d’Algérie : C’est en 2016, suite à un énième amendement de la Constitution, que tamazight est consacrée langue officielle. Quatre années se sont déjà écoulées. Quel bilan en faites-vous ?
-Abderrezak Dourari : Dans la Constitution de 2016, il y a eu l’article numéro 4 qui stipule que tamazight est également langue nationale et officielle dans ses différentes variétés en usage sur le territoire national. Donc l’officialisation, il faut bien le noter, n’a pas concerné une variété, mais la totalité des variétés existantes. Il a été aussi décidé qu’il allait y avoir une académie qui regrouperait les imminences grises dans le domaine, ainsi que dans les domaines connexes, pour, précisément, essayer de promouvoir cette langue en dehors des usages qu’on fait généralement d’une langue maternelle. Il était, en effet, question de sortir tamazight du domaine purement personnel et, de là, lui donner consistance dans le domaine qu’on appelle en sociolinguistique « formel » qui, lui, concerne les médias, l’administration, la recherche scientifique… C’est là un peu le contenu de cet article. Malheureusement, la loi organique qui a institué ladite académie a été fâcheusement bâclée. La commission ad hoc, nommée à cet effet, avait proposé un texte qui était certes suffisant pour monter une véritable académie. Mais le gouvernement de l’époque, dirigé par Ahmed Ouyahia, qui voulait contenter le président de la République (aussi) de l’époque, Abdelaziz Bouteflika, a complètement sabré, cassé, élagué, le texte. Il a été vidé de l’essentiel de ce qui pouvait faire d’une académie une véritable académie. Quand, dans le bureau du secrétaire général du Gouvernement, l’on a présenté la mouture finale aux membres de la commission, il y a eu deux professeurs, dont moi, qui l’ont catégoriquement refusée. On a alors dit que le texte en question ne permettait même pas la mise en place d’un groupe de recherche. C’est d’où, d’ailleurs, mon retrait. Ce n’est pas, en effet, une académie enfantée par cette loi qui allait pouvoir faire face à la demande identitaire, aux problèmes et la complexité de la situation créée, depuis l’Indépendance, par les différents gouvernements.
L’annonce de la liste des membres de l’Académie m’avait davantage surpris. Premièrement, parce qu’on avait gardé mon nom malgré ma démission annoncée en bonne et due forme. Deuxièmement, parce que 80% de ces membres – exception faite de quelques sept ou huit personnes – n’avaient rien à voir avec tamazight. Et cela, c’est tout le monde qui est capable de le vérifier. Il y a même de ceux qui étaient dans le courant baathiste et qui ont été carrément contre tamazight. Ceci dit, je n’ai rien contre eux, en tant qu’Algériens. Ils ont le droit d’avoir les opinions qu’ils voudront, mais ils n’ont pas à être dans une académie qui est destinée à promouvoir la langue amazighe. La preuve que les choses vont mal et que jusqu’à aujourd’hui, cette Académie, nommée officiellement par décret publié dans le Journal officiel, n’est pas encore installée. C’est, en fait, une imposture, une véritable imposture.

-Et comment cette loi organique, que vous qualifiez de « sabrée », est traduite sur le terrain ? N’a-t-elle eu aucun fruit ?
-Il n’y a rien eu. Ce n’était tout simplement pas possible qu’il y ait quoi que ce soit. On ne peut pas faire une loi avec laquelle on ne peut même pas faire fonctionner un groupe de recherche et s’attendre à une vraie académie. C’est tout simplement irrationnel. C’était, dans le fond, une décision de transformer tamazight en un véritable nain institutionnel. L’amère vérité est qu’on ne voulait pas que tamazight puisse avancer ou évoluer naturellement. Aujourd’hui, si les autorités actuelles veulent vraiment faire prendre en charge les questions identitaires algériennes d’un point de vue scientifique et non d’un point de vue idéologique, elles doivent revoir cette loi organique, de donner à tamazight une académie digne de ce nom, exactement comme celle de la langue arabe dont le décret a été publié en 1989.

-L’Algérie vit une effervescence sans précédent. Il y a d’abord le Hirak qui a ébranlé beaucoup de « certitudes ». Il y a aussi l’annonce d’une nouvelle Constitution dont le nouveau Président semble faire une priorité. En quelques mots, c’est une accélération, sans précédent, de l’Histoire. L’on a souvent dit que l’Algérie ainsi que l’Algérien ne sont et ne seront plus ce qu’ils ont été avant le 22 février. Qu’en pensez-vous ?
-La société algérienne a beaucoup évolué. Elle le démontre, depuis maintenant 11 mois, sans cesse, à travers le Hirak. Aujourd’hui, le citoyen algérien a intégré la notion du multiple et du multiculturalisme. Il assume, en outre, les différences qui composent le peuple algérien dont l’Histoire – on ne le dira jamais assez – est multimillénaire et qui a, au même temps, un territoire immense. Un véritable continent, en fait. L’Algérien a intégré le fait qu’il y a des différences au sein du peuple algérien. Et, en assumant ces différences, le peuple est plus que jamais uni. Il a su dépasser les différences régionales, les différences culturelles, les différences linguistiques… Il le crie d’ailleurs haut et fort depuis plusieurs mois. Il est aussi à noter que les Algériens s’expriment – une autre preuve de cette prise de conscience – dans la langue arabe algérienne d’une manière évidente et dans toutes les régions du pays. Ça dépasse même l’Algérie. Cela se fait en Tunisie, en Libye, au Maroc… Et on se fait comprendre sans aucun problème. Donc, il y a des signes d’unification nationale qui sont là et que personne ne peut remettre en question. Présentement, c’est au pouvoir d’évoluer et d’aller vers le Hirak. Il n’y a, effectivement, aucun Etat dans le monde qui a pu s’établir et se consolider sans son peuple. L’État reflète le peuple et non pas l’inverse. En d’autres termes, c’est l’Etat qui doit être à la mesure du peuple. Aujourd’hui, les Algériens sont unis et savent bien ce qu’ils veulent. Ils veulent un Etat démocratique, citoyen, où ces mêmes différences linguistiques, culturelles, religieuses… seront respectées, un Etat dans lequel la liberté d’expression sera garantie, un État dans lequel la justice sera indépendante…

-On sent bien de l’optimisme dans vos propos ! Et pour tamazight – puisque c’est l’objet de notre entretien –, pensez-vous qu’elle aura la place qui est la sienne dans la « nouvelle » cartographie linguistique, culturelle et même scientifique que le Hirak semble amorcer ?
-Je suis peut-être trop optimiste (c’est un peu dans ma nature), mais je suis aussi un observateur de la société et de la politique. J’ose dire qu’il y a un frémissement positif. Le pouvoir a compris que la société algérienne a définitivement rompu avec un système politique qui nous a dominé et qui nous a maintenu dans le sous-développement depuis l’Indépendance. Il y a aujourd’hui – c’est indéniable – quelque chose de nouveau duquel le pouvoir en place essaie de s’approcher. Il essaie de trouver des voies. Par moments, il y a des maladresses à l’instar du processus constitutionnel qui est en train de se faire. Il en reste qu’il (le pouvoir) est en train de chercher un chemin pour se joindre à la position du peuple algérien. Je pense que c’est ce qu’il faut faire, car – je le redis – l’Etat algérien appartient au peuple algérien et non l’inverse. Il est aujourd’hui indispensable de reposer le pouvoir sur ses pieds et non pas sur sa tête. Et pour un pouvoir, se poser sur les pieds, c’est construire avec le peuple et non pas contre le peuple.
Entretien réalisé par Hamid Fekhart

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