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L’analyste financier Noureddine Leghelile au « Courrier d’Algérie » : «Le dinar à deux valeurs, l’une réelle, l’autre subventionnée, pose problème !»

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Noureddine Legheliel, analyste financier, expert boursier et ex-sociétaire de «Carnegie Investment», réside en Suède depuis de longues années, où il est en contact avec ce qui se fait de mieux en Europe en matière d’économie, d’analyse financière et des marchés ; il intervient régulièrement et depuis de très longues années dans les médias, par le biais d’analyses prévisionnelles, annonçant notamment les crashs boursiers et pétroliers qui se sont produits dans les proportions et les temps désignés.
Dans cet entretien, il nous donne, comme à son habitude, les éclairages essentiels, les lignes directrices nécessaires et les clés pour comprendre des situations enchevêtrées où il n’est pas toujours évident de voir clair, dans un univers complexifié où l’information essentielle est noyée par les informations superflues, générant une hyper-visibilité des effets économiques alors que les sources demeurent en sous-visibilité chronique.

Entretien réalisé par F.O.

Le Courier d’Algérie : L’Algérie cherche des appuis économiques, des repères financiers, tâtonne pour sortir du cercle de la dépendance des seules ressources générées par les hydrocarbures ; mais on a l’impression qu’il manque un tableau de bord économique, serions-nous tentés de dire pour avoir une vue d’ensemble, panoramique, sur les priorités et les fondamentaux. Par quoi peut-on commencer ?
Noureddine Legheliel : Ecoutez, en économie, il y a des règles, des lois, des théories, anciennes et nouvelles, qu’il nous faut étudier ; l’économie de marché à des règles précises, rigoureuses, mais claires ; nous n’allons rien inventer, mais chercher à en comprendre les mécanismes et les ressorts pour s’en sortir.
Je vous donne un exemple clair et précis : on peut, par exemple, trouver des gens chez nous qui ont le monopole de l’industrie automobile, et en même temps qui ont le monopole du ciment, et en même temps le monopole d’un autre produit, alimentaire ou autre ; cela est strictement interdit dans une économie de marché ; les lois l’interdisent. Je me réfère aux lois américaines, qui sont le cœur battant de l’économie mondiale. Les États Unis, qui constituent le cœur du capitalisme et de l’économie de marché, interdisent ce type de comportements économiques.
Il y a quelques années, le DG de Microsoft, Bill Gates, avait dit que sa société avait les moyens d’acheter General Motors, Ford ou Chrysler, mais les lois américaines sur la concurrence lui interdisaient ce type d’action. Pourquoi ? Parce que Microsoft, c’est les micro-ordinateurs, les logiciels, les microprocesseurs, etc… l’automobile non.
Chez nous, il n’existe pas encore ce genre de lois sur la concurrence. Si quelqu’un qui a le monopole du ciment par exemple, veut demain investir dans l’industrie automobile, l’État doit lui interdire d’avoir accès à plus de 10%. Donc, les lois de la concurrence sont des méthodes économiques et de gestion d’importance.
Autre chose encore, la question du dinar doit être résolue, et vite. L’Algérie ne peut pas continuer à fonctionner avec le dinar à deux valeurs, l’une réelle, celle qui est monnayée au Square Port Saïd, l’autre subventionnée par l’État. Donc, soit il faut le laisser flotter librement, comme il se fait en Égypte, soit il faut trouver d’autres mécanismes, qui feront que le dinar ait un seul coût et une valeur unifiée, pas deux coûts, une subventionnée, l’autre libre.

-L’Algérie cherche pour le moment une solution rapide, qui réponde à l’urgente exigence du moment ; l’investissement étranger direct est le mieux indiqué par les experts…
-Les investissements étrangers sont une condition primordiale de la relance économique, certes, mais à quelle condition ? Je pense que dans cette logique, la loi de 49/51 doit être ou allégée, ou carrément supprimée. Pourquoi ? Je vais vous le dire. Quand les investisseurs étrangers arrivent en Algérie, la première chose qu’ils font, c’est de convertir leur argent en dinar, et qu’ils opèrent cet échange, le dinar s’apprécie, prend de la valeur. Or l’Algérie a encore le souci de la fuite de cet argent à l’étranger, ce qui n’est pas évident. Prenons l’exemple du Maroc, où la valeur du dirham demeure stable, parce que les capitaux étrangers qui rentrent au pays sont vite changés contre le dirham et maintiennent une certaine stabilité et cohésion monétaires.

-La Bourse a toujours constitué pour vous une constante de vos critiques. Pourquoi ?
-La Bourse est une autre condition essentielle du sérieux économique que peut présenter un pays aux investisseurs étrangers. Il n’y a pas d’économie de marché sans Bourse. Il est regrettable de dire que l’Algérie demeure un des très rares pays au monde qui n’est pas doté d’une Bourse.

-Quel pouvait, ou devait être, le rôle exact de la Bourse d’Alger, qui peine à être fonctionnelle ?
-La Bourse est la vitrine de l’économie des pays. L’économie moderne diffère de l’économie de naguère, en ce sens que maintenant l’investisseur ne vient plus avec son armada et de logistique pour construire une usine chez vous et s’y installer ; aujourd’hui, il va à la Bourse, il constate la santé financière des usines, et il investit en achetant des parts ; c’est cela l’investissement moderne. Donc, la Bourse est devenue primordiale pour notre économie ; sans Bourse, les chefs d’entreprises et les entreprises elles-mêmes opèrent sans un tableau de bord.
Les entreprises étatiques ont bénéficié de 38 milliards de dollars pour des opérations d’épuration et de remise à niveau ; or, avec une Bourse, ces entreprises déficientes auraient pu s’appuyer sur la Bourse et se faire prêter de l’argent sans recourir aux aides étatiques.
Je profite de cette occasion pour relever une autre incohérence : l’interdiction d’importer certains produits par les importateurs privés. Là encore, nous sommes devant un type de dispositif qui n’entre pas dans la droite ligne des lois économiques du marché moderne. Interdire à des importateurs de faire rentrer certains produits anodins est une pratique qui n’a plus aujourd’hui raison d’être ; alors qu’il y avait une autre décision qu’on peut prendre en matière d’importation, c’est la création de bureaux étrangers de contrôle de la qualité au niveau des ports. Nous avons des produits qui viennent de la Chine, ces bureaux étrangers de la qualité vous diront immédiatement si les produits au port répondent aux normes et standards internationaux ou non.

-Pourquoi la Chine précisément ?
-C’est juste un exemple parmi tant d’autres, mais les rapports d’échanges de l’Algérie avec la Chine présentent un contre-sens que l’on doit corriger. Imaginez que l’Algérie exporte vers la Chine pour 800 millions de dollars, alors qu’elle importe de ce même pays pour l’équivalent de 8 milliards de dollars. Le déséquilibre est criard, quand même, donc, il faut s’attaquer à ce déséquilibre de la balance commerciale, soit en incitant les Chinois à venir investir massivement en Algérie, de manière à équilibrer la balance, soit qu’on exige un transfert technologique. Pourquoi on ne parle pas de cela ? Est-ce un sujet tabou ? Où est le transfert technologique des Chinois vers les Algériens ? Il ne faut pas rester dans le commerce de vente et d’achat, car c’est nuisible pour la santé déjà fragile du pays.

-Qu’en est-il du processus des privatisations toujours évoqué et sans cesse sujet à polémiques ?
-Les privatisations en Algérie ont été, jusque-là, catastrophiques et je pense qu’il est temps de changer de modèle. La meilleure manière de privatiser une société c’est de l’introduire en Bourse, le marché fera le reste, et si la société est lourdement endettée, elle va être cédée alors. Depuis l’époque de Chadli Bendjedid, des centaines, voire des milliers de sociétés ont été déficitaires, déficientes ; pourquoi n’a-t-on pas démis en force le personnel dirigeant ? Je vous donne l’exemple de ce qui se fait en Suède. L’État donne la gestion de l’entreprise à une équipe dirigeante qui est soumise à deux années de grâce, pendant lesquelles elle doit sortir des indicateurs rouges et les mettre au vert ; dans le cas d’échec, l’équipe défaillante est relevée de ses fonctions immédiatement, mais dans le cas de réussite, les personnels ont droit à partager entre eux 15% des gains générés. La méthode suédoise est efficace et l’a démontré dans de nombreux cas, car elle est incitative à plus d’un titre et à produit de bons résultats.

-Sonatrach, qui demeure l’unique et constante source de rentrées d’argent pour l’Algérie est soumises depuis 2014 aux aléas du marché. Vous qui êtes très près des jeux des prix pétroliers, pensez-vous que l’offre et la demande sont seules responsables de la tendance baissière du prix du baril sur les marchés pétroliers ?
-Les aléas du marché pétrolier sont d’une complexité extraordinaire dont vous ne pouvez même pas en soupçonner les ramifications. Le marché pétrolier d’aujourd’hui est un marché très sophistiqué, en ce sens où il réuni plusieurs paramètres qui obéissent à des signaux précis.
Dans les années 1930-40 et remontant jusqu’aux années 1950-60, le marché du pétrole était entre les mains des acteurs traditionnels, qui sont les compagnies pétrolières, les raffineurs et ceux qui ont un lien direct avec l’activité pétrolière ; et là, je voudrais que vous vous concentriez, parce que c’est très important, en 1999, le président américain Bill Clinton avait supprimé une loi qui date de 1933 et qui disait que les banques d’affaires et les institutions financières n’avaient pas le droit d’investir dans les matières premières ; Clinton a aboli cette loi ; écoutez bien : Clinton était un démocrate, or cette loi abolie avait été applaudie par les républicains ; c’est-à-dire qu’il y eu consensus.
À partir de là, les banques d’affaires, les compagnies d’assurance, les maisons de courtage et les institutions financières, en un seul mot, toute la communauté financière, avaient désormais le droit d’investir dans le marché pétrolier et les autres marchés des matières, avec des capitaux solides. Vous imaginez-vous les conséquences ? Beaucoup de gens ne le savent pas, mais c’est à partir de là que la spéculation sur les prix a pris des formes de puissance, et les fondamentaux, qui sont les deux paramètres de l’offre et de la demande, ont été réduits.

-Quand on entend parler des prix, on parle des producteurs, de l’Arabie saoudite, de la Russie, on parle de la production, de l’offre et de la demande…
-Oui, mais est-ce que vous entendez parler des acteurs du marché ? Non, vous n’entendrez jamais parler des véritables acteurs cachés du marché, pour la simple raison que ces acteurs sont les véritables influents sur les cours. Il faut garder en tête que le marché pétrolier est un marché à terme ; de ce fait, ces acteurs pétroliers achètent des contrats à terme, pour le mois de juin à venir, ou juillet, pour 2019 ou 2020, c’est ce qu’on appelle des contrats à terme. Là vous allez constater toute la différence qui existe entre le baril papier et le baril liquide, le premier étant le baril virtuel, à terme, dont on parlait, le second, le baril physique, ou liquide. Imaginez aussi que sur le marché du Nymex, de New York, il y a 1 400 000 contrats par jour qui se font. Chaque contrat est l’équivalent de 1000 barils de pétrole, et faites votre compte !
En termes clairs il y a 1 400 000 000 barils qui changent de main chaque jour. Vous pouvez vous en imaginer les conséquences sur la courbe des prix. Le baril papier, qui n’est que virtuel, a une grande influence sur le prix du baril physique. Les deux sont interdépendants : les informations qui proviennent du marché physique, de l’Arabie saoudite, de la production, des tensions politiques, etc… sont intégrées et prises en ligne de compte par le baril papier, lequel, par le biais de sa spéculation et sa projection, influe fortement sur le coût final.
La communauté financière, les banques d’affaires et les hadgers peuvent acheter, pour se prémunir contre une hausse future, mais acheter à moindre coût ; de ce fait, là, entrent en ligne de compte les paramètres spéculatifs.
Beaucoup d’analystes algériens continuent à se baser sur les seuls fondamentaux, or l’analyse est faussée d’avance ; d’autant plus que l’information qui vous tombe entre les mains pour votre évaluation, a été déjà traitée par les acteurs du marché et intégrée dans le contrat à terme contracté, de sorte que lorsque vous essayez d’analyser et d’apprécier le marché, votre analyse est dépassée car l’information influente a déjà été intégrée et évaluée. Il y a chez la communauté financière qui s’occupe des marchés pétroliers une sentence qui dit que lorsque l’information atterrit chez les médias, elle est déjà dépassée, parceque intégrée dans la valeur qui a fait que le coût du baril a baissé ou augmenté.
F. O.

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