Le Courrier d’Algérie : L’année 2014 a été riche en événements économiques. Il y a eu d’abord deux réunions de la tripartite. Quel commentaire faites-vous à ce sujet?
Smail Lalmas : C’est un rituel auquel nous nous sommes habitués, tripartite réunissant les partenaires et clients du pouvoir, pour applaudir tout ce qui a été préparé à l’avance par le gouvernement. Schéma de réunion classique avec commissions ou groupes de travail traitant de sujets, sans aucune suite avec bien sûr, et surtout un travail médiatique intense, et un communiqué à la fin qui, au passage, ressemble à tous les précédents. Des rencontres qui ont pris un aspect politico-politique, s’éloignant du bon sens économique censé être l’objectif initial, donc des tripartites incapables, finalement , de mettre en place une stratégie économique capable de nous sortir de cette fragile dépendance aux hydrocarbures et de nous mettre sur orbite pour rejoindre l’espace des pays émergents. Quand on sait surtout, que les rendez-vous des « Tripartites » que vous citez, coïncidaient avec les présidentielles, vous devez comprendre que l’enjeu est plus politique qu’économique, donc vidé de tout bon sens.
Un autre problème, c’est celui de la représentativité, absence des syndicalistes autonomes, à vrai dire, ne sont invités que ceux qui partagent la même vision que celle du gouvernement, donc pas d’opposition à la ligne tracée, et pas de débats constructifs. Quand aux résultats de ces réunions, vous savez, nous en sommes à la 16éme ou 17éme « édition », notre économie est toujours aussi fragile, dépendante des hydrocarbures, la corruption est toujours au top, bien entretenue, chômage élevé, nous importons 2.5milliards $ de blé, idem pour les médicaments, à la merci de la bureaucratie, agriculture au même stade, la santé malade, l’industrie absente, en plus de tout cela, ce sont les mêmes personnes qu’on retrouve à chaque rendez-vous, alors que la logique serait de changer justement les équipes qui échouent, au moins faire cet effort …donc honnêtement, à quoi servent ces tripartites ?
L’année 2014 a été également riche en signature d’accord et de partenariat dans divers domaines d’activités avec plusieurs pays à savoir la France. Que pensez-vous de ces accords, vont t-il booster notre économie?
Les échanges économiques entre l’Algérie et un certain nombre de pays ont vu effectivement la signature de plusieurs accords de partenariat, notamment avec la France, l’Italie, la Grande- Bretagne, le Portugal, l’Egypte…
Des actions classiques, pour dynamiser les échanges avec certains pays et se positionner en tant que partenaire stratégique avec d’autres. Cela dit, il est nécessaire pour l’Algérie de diversifier ses partenaires économiques et commerciaux, pour cela, il faudrait définir et connaître les priorités du développement, du commerce, de l’aide technologique et de l’investissement pour bien cibler ses partenaires et pouvoir en récolter les bénéfices attendus.
Nous constatons un retour en force de la France, une nouvelle page de coopération se dessine, entre nos deux pays, après des années de doute. Cette nouvelle ère se distingue par la volonté exprimée des deux cotés pour lever d’éventuels obstacles qui ralentiraient la réalisation des objectifs, et aussi , par la conclusion de plusieurs accords de partenariat dans divers domaines d’activité. L’enjeu finalement de tous ces accords, c’est d’en faire une relation gagnant-gagnant. Mais pour cela, il faudrait les accompagner pour réussir les différents partenariats qui en découleraient, en structurant notre économie, et en mettant en valeur notre matière grise.
L’autre événement important, celui de la sortie de la première voiture « made in Algéria ». Est-ce important pour le secteur des exportations hors hydrocarbures?
-Vous devez savoir que les exportations hors hydrocarbures demeurent toujours à des niveaux insignifiants en Algérie, environ 1milliard $ hors dérivés de pétrole, en dépit des différentes actions déployées par les pouvoirs publics ces dernières années. Outre la faiblesse du tissu industriel algérien qui n’arrive toujours pas à produire des produits aux normes souhaitées, l’absence d’une tutelle bien identifiée, d’une stratégie à l’international et la mauvaise gestion du dossier des IDE, compliquent davantage la tâche aux opérateurs économiques algériens. Le cas de Renault en Algérie est un investissement direct à stratégie horizontale ou de marché, qui vise à desservir le marché Algérien exclusivement, pour la simple raison que notre marché présente des avantages à s’implanter à proximité des consommateurs. Il faut savoir que Renault est déjà présent sur notre marché avec 120 000 véhicules /an, tous modèles confondus. Vous avez compris donc, vu la nature de l’investissement, l’activité export ne va pas en bénéficier, par contre, la facture d’importation augmentera, puisque nous fabriquons chez nous que 12% du véhicule, le reste c’est-à-dire 88% est importé et viendra de France, de Roumanie, ou de Turquie.
Il faut donc comprendre une fois pour toute que l’export représente un enjeu socioéconomique important pour l’Algérie, d’une manière générale, l’exportation est une nécessité vitale pour l’entreprise et l’État, c’est un certificat de bonne santé et un vecteur de développement économique, un facteur de dynamisme pour les entreprises et non pas un sujet conjoncturel.
La baisse du prix du pétrole au dessous de 60 dollars le baril inquiètent plusieurs pays exportateurs, certains spécialistes tirent la sonnette d’alarme pour l’économie algérienne, d’autres rassurent. De quel camp vous vous positionnez et pourquoi ?
Pour l’Algérie ainsi que les pays très dépendant des recettes pétrolières comme, le Venezuela, l’Iran ou la Russie, sont très inquiets de cette baisse rapide des prix du pétrole qui tournent pour la première fois depuis 2009, en dessous de la barre des 60 dollars, une baisse de +40% depuis la mi-juin où il était un peu plus de 100 dollars. Certains spécialistes prédisent un baril à 50 dollars, si rien n’est fait pour stopper cette hémorragie.
Notre économie est très fragile, pas uniquement depuis cette baisse, mais plutôt du fait de sa structure, sachant qu’elle dépend d’une richesse dont elle ne maitrise ni le paramètre prix, ni la quantité ni la pérennité. Qu’un pays se retrouve en crise de temps à autre, c’est fréquent je dirai même normal, mais qu’un pays comme l’Algérie qui a déjà vécu et connu des scénarios similaires par le passé sans en tirer les conséquences, sans qu’aucunes grandes réformes ne soient réalisées pour éviter de tomber dans les mêmes erreurs, et les mêmes situations, cela je n’arrive pas à l’accepter.
Plus de 30 ans qu’on parle de diversification de notre économie, de la mise en place d’une économie stable structurée et surtout pérenne, développant un climat d’affaire pour encourager les investisseurs étrangers à s’implanter sur le territoire pour accompagner notre développement, mais malheureusement rien de concret. Le modèle rentier a montré encore une fois ses limites, et si le pays poursuit sur cette voix économique et que les prix du pétrole restent très bas, il est évident que des turbulences risquent de voir le jour, et ce, dans les meilleurs délais.
En parlant de clan dans votre question, moi je fais plutôt partie du clan de l’Algérie qui travaille, qui ne triche pas, qui ne fait pas semblant de travailler, qui innove, qui mise avant tout et surtout sur sa richesse humaine compétente, pour construire une économie solide et durable, qui à vrai dire, ne se construit pas avec des paroles, mais plutôt avec des actes.
Entretien réalisé par I. B.