Le représentant du Front Polisario en Europe et à l’UE, Oubi Bouchraya Bachir, dresse, dans une interview exclusive au Courrier d’Algérie, le bilan de l’action diplomatique sahraouie en Europe et à l’Union Européenne à la faveur du 45eme anniversaire de la proclamation de la République arabe sahraouie démocratique.
Le Courrier d’Algérie : Cette année le 45eme anniversaire de la proclamation de la RASD coïncide avec la reprise de la lutte armée du peuple sahraoui pour son indépendance. Quelle action diplomatique est entreprise au niveau de l’UE et d’autres pays européens pour gagner davantage de soutiens à la cause sahraouie et des batailles juridico-diplomatiques ?
Oubi Bouchraya : Comme toutes les expériences passées des luttes de libération nationale, il y a des phases et des cycles qui diffèrent les uns des autres mais qui convergent et s’intègrent permettant, au final, aux peuples combattants la réalisation de l’objectif ultime, à savoir la libération et l’indépendance nationale. En ce qui concerne le peuple sahraoui, une nouvelle phase a commencé depuis le 13 novembre 2020 caractérisée principalement par la reprise de la lutte armée. Elle tient compte des échecs des expériences passées et des leçons tirées de ces 30 ans de cruelle et frustrante attente d’un référendum promis mais jamais réalisé. En revanche, cette nouvelle phase bénéficie de nombreux acquis accumulés par le peuple sahraoui, qui n’a jamais cessé de lutter et de résister tout au long de cette longue période, malgré le silence des armes. À ce propos, notons que l’Union Européenne a été, et continue de l’être, un lieu important pour notre action diplomatique et qu’elle a été le théâtre d’âpres combats contre l’ennemi, notamment au cours des dernières années, combats qui nous ont permis de marquer de nombreux points positifs, parmi lesquels, la possibilité d’accéder à de larges pans de l’opinion publique européenne, la constitution de centaines de comités de soutien, d’organes et de groupes parlementaires de solidarité, la capacité de dénoncer les violations des droits des Sahraouis commises par le Maroc et, récemment, parvenir à d’importantes décisions juridiques émises par des instances judiciaires européennes, notamment par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) et par certaines juridictions, au niveau national.
Nous disposons d’outils d’action significatifs pour accompagner la lutte de notre peuple dans cette nouvelle étape de sa lutte armée et nous sommes décidés d’arracher de nouveaux acquis par les actions et programmes que mènent nos représentations au niveau de l’Europe, en compagnie des diverses institutions et comités qui soutiennent la cause sahraouie.
Pouvez-vous nous expliquer davantage ?
Nous agissons sur plusieurs volets, Il y a le volet politique, qui est l’axe le plus important, et nous nous y sommes déjà impliqués fortement depuis la crise de Guergarat et le déclenchement de la lutte armée. Nous nous sommes attelés à expliquer la position du Front Polisario devant les diverses et multiples instances officielles et populaires, en tenant le Maroc pour responsable des conséquences qui découlent de sa décision d’avoir gravement violé le cessez-le-feu.
Le deuxième volet est lié à notre action pour une mobilisation accrue en faveur des droits de l’Homme gravement et systématiquement violés par le Maroc et en faveur de l’Intifada de l’indépendance dans les villes occupées ainsi que de l’appui humanitaire au profit des réfugiés sahraouis. Le troisième volet concerne l’aspect médiatique qui vise à transmettre le message du peuple sahraoui et faire connaître davantage sa cause à l’opinion publique européenne. Les deux plus gros problèmes auxquels la cause sahraouie est confrontée en Europe sont tout d’abord une certaine ignorance de l’opinion publique vis-à-vis de la cause et, deuxièmement, l’implication négative de la France et, dans une moindre mesure, de l’Espagne dans l’adoption de la plupart des positions de l’Union relatives au conflit. Pour informer au mieux l’opinion publique européenne, agir face à la presse et aux divers médias constitue un volet fondamental dans l’agenda de nos Représentants déployés à travers l’Europe, s’y ajoute le rôle important que joue la communauté nationale établie à l’étranger, à travers son implication active dans les réseaux sociaux et vis-à-vis des médias locaux.
Qu’en est-il du rôle de la France et de l’ancienne puissance coloniale au Sahara Occidental, l’Espagne ?
En ce qui concerne le rôle joué par la France et l’Espagne, nous considérons qu’il faut convaincre la France et l’Espagne que le référendum et une solution démocratique conforme à la légalité internationale et reste la meilleure solution à même de garantir une paix juste et définitive dans la région, le contraire de cela serait vouloir perpétuer le conflit et au mieux retarder sa solution. La France doit reconsidérer sa position à l’égard du conflit, l’Espagne est appelée à se libérer de cette soumission, devenue coutumière, au chantage marocain.
La CJUE doit se prononcer sur le recours du Front Polisario, que peut-on en attendre ?
Oubi Bouchraya ; Nous sommes optimistes quant à la nature des jugements attendus. Il y aura deux auditions publiques sur les deux recours déposés par le Front Polisario devant la Cour européenne. Nous sommes optimistes pour trois raisons: premièrement notre cause est juste, deuxièmement les jugements rendus en 2015, 2016 et 2018 constituent une base déjà existante que l’on ne peut contourner. Troisièmement la situation est maintenant différente de celle de 2016; le Sahara occidental étant désormais directement et clairement concerné par les deux nouveaux accords à travers le mécanisme d’extension géographique qui inclut le Sahara occidental et qui a été explicitement approuvé en 2019 entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc. Nous attendons de la justice européenne qu’elle face triompher les mêmes principes qu’elle a approuvés lors d’occasions précédentes, et nous espérons que les institutions européennes cesseront de chercher à contourner les décisions judiciaires afin d’abolir immédiatement ces accords qui violent le droit international, le droit européen et le droit africain. L’Europe donne au monde une mauvaise image d’elle-même en violant de manière flagrante ses lois au Sahara occidental, en encourageant la poursuite de l’occupation militaire de ce territoire et la confiscation de tous les droits politiques, économiques et culturels de son peuple.
On observe une montée sans précèdent de la répression marocaine dans les territoires sahraouis occupés, notamment à aâyoune et Boujdour. Qu’elle action entreprendre au niveau international pour faire cesser cette répression ?
Le conflit du Sahara occidental en général et la permanente et catastrophique situation des droits de l’Homme dans les territoires occupés du Sahara occidental posent un problème majeur à la conscience humaine. Ce conflit est l’exemple parfait de la prédominance de la politique du double standard et des intérêts étroits au sein du système international au détriment du droit et des principes régissant le droit international. Au Sahara occidental, de graves violations des droits de l’Homme ont été perpétrées à quelques mètres de la MINURSO sans que celle-ci ne s’en émeuve ou lève le petit doigt. Le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas voulu donner à cette Mission le pouvoir de surveiller les droits de l’Homme malgré de nombreux appels internationaux. Ce qui se passe actuellement est en fait la continuation des mêmes pratiques, sauf que maintenant il y a la guerre, ce qui donne à l’occupant le prétexte d’accroître sa répression, et suscite son désir de se venger contre les civils sahraouis pour les pertes que ses troupes subissent sous les frappes de l’armée sahraouie. Ce qui arrive, par la répression et les violences de l’occupant marocain , à Sultana Khaya et à sa famille actuellement est une sorte d’écho des attaques que lancent les combattants sahraouis contre le mur militaire marocain, depuis le 13 novembre dernier. La situation actuelle est insupportable et la communauté internationale est appelée à agir afin de mettre un terme à cette tragédie. Parmi les raisons qui ont fait perdre au peuple sahraoui la confiance en l’ONU, au-delà du fait qu’elle n’a pas été capable d’organiser le référendum, c’est justement cette autre incapacité à fournir la protection la plus élémentaire aux civils sahraouis. L’ONU et ses divers organes ont une responsabilité centrale à cet égard. Quant à la Croix-Rouge International, sa responsabilité est directe, d’autant plus que le Front Polisario est partie prenante de la quatrième Convention de Genève. L’intervention du CICR doit être immédiate après la reprise des hostilités militaires. Face à cette inertie, il faut souligner la campagne vigoureuse menée par le mouvement de solidarité à travers le monde, par les organisations de défense des droits humains internationales et sahraouies. Espérons que cette campagne sera entendue par la communauté internationale. Il est tout à fait inacceptable que le royaume du Maroc puisse continuer de bénéficier d’une impunité que certains voudraient permanente. Venir par la suite faire l’apologie d’une solution politique tout en faisant semblant de ne pas voir que le Maroc est en train de commettre l’irréparable est tout de même un comble.
Pensez-vous qu’il convient de saisir le tribunal pénal international au vu du degré de la répression de l’occupant marocain contre les Sahraouis qui ne connaît aucune limite ?
En principe, rien ne l’empêche. Mais l’analogie avec le précédent palestinien est une analogie partielle et ne correspond pas parfaitement. Bien que les deux conflits soient identiques sur le plan politique et juridique, de nombreuses questions de procédure diffèrent entre eux. De manière générale, la question nécessite une décision politique de la part de la direction du Front, une décision que nous ne prendrons qu’après une étude minutieuse et approfondie de la question.
Propos recueillis par Mokhtar Bendib