L’œuvre du psychiatre et penseur martiniquais Frantz Fanon et l’impact sur la société sud-africaine post-apartheid des choix politiques du président Nelson Mandela ont été interrogés dans deux films documentaires projetés dimanche au 5ème Festival international du cinéma d’Alger (FICA). Présentés dans le cadre de la compétition officielle de ce Festival dédié au film engagé, «Concerning Violence» (concernant la violence) du Suédois Goran Hugo Olsson et «Mandela, The Myth and I» (Mandela, le mythe et moi) du Sud-africain Khalo Matabane ont proposé deux traitement différents de l’héritage de deux figures des luttes pour l’égalité et la dignité humaines. Réalisé en 2014, «Concerning Violence» (75mn) se veut un «hommage» et une «illustration» de l’œuvre «Les damnés de la terre» (1961) de Fanon, à travers une lecture des passages les plus marquants de ce livre- qui a pensé, entre autres, les luttes anticolonialistes et la place de la violence dans ces dernières- accompagnés d’images d’archives journalistiques suédoises de combattants indépendantistes en Angola, en Tanzanie ou encore en Guinée-Bissau. Scandés par la chanteuse et actrice afro-américaine Lauren Hill, les extraits du livre de Fanon (sur la violence intrinsèque du système colonial, ou celle nécessaire du combat pour la décolonisation, etc) s’accompagnent d’interviews de dirigeants des mouvements de libération dans ces pays d’Afrique ou de simples combattants. Le documentaire éclaire également sur l’actualité brûlante de la pensée fanonienne, particulièrement à travers les extraits mettant en garde les élites africaines post-indépendance contre la reproduction des mêmes comportements que le colonisateur, ou encore sur la nécessité de «repenser l’humain» en s’éloignant d’un modèle européen pris dans la «course folle» au profit (matériel) au détriment de valeurs essentielles d’égalité. Dans un registre plus personnel et avec une vision critique, Khalo Matabane s’adresse à la deuxième personne du singulier à son «héros d’enfance», Nelson Mandela, dans une tentative de comprendre les conséquences de sa politique de réconciliation menée entre sud-africains noirs et blancs durant son unique mandat présidentiel (1994-1999). Dans ce documentaire, qualifié de «courageux» par de nombreux présents à la salle El Mouggar où il a été projeté, le réalisateur interroge des militants anti-apartheid , des hommes politiques étrangers ou des parents de victimes de crimes racistes, en essayant de brosser un portrait de Mandela éloigné du dirigeant «sanctifié» par l’Occident. Avec un souci constant d’équilibre dans le propos, «Mandela The Myth And I» (2013, 86mn) évoque les questions du pardon, du besoin de vengeance chez certaines victimes ou encore de la réalité de l’égalité entre noirs et blancs dans l’Afrique du Sud aujourd’hui. Le documentaire se conclut par le témoignage de jeunes sud-africains dont la formule «aujourd’hui, nous sommes libres mais pas encore égaux» renvoie à l’exigence de continuer le combat de Mandela, tout en proposant un jugement à la fois critique et lucide sur ces choix politiques. Cette justesse dans le traitement de l’héritage de Mandela a d’ailleurs valu à son réalisateur de nombreux prix, notamment une mention spéciale du jury des 25èmes Journées cinématographiques de Carthage (novembre, Tunisie) Huit documentaires et autant de fictions sont en compétition au 5ème Fica qui se poursuit jusqu’au 18 décembre.