Depuis près d’un demi-siècle que Yavuz Indere travaille comme réceptionniste dans des hôtels d’Istanbul, il a été le témoin de coups d’État, de diverses vagues d’instabilité et de crises économiques.
Mais la période actuelle est de loin la plus difficile pour le tourisme qu’il ait connue, après une année marquée par une série d’attentats et un coup d’État manqué, qui ont fait fuir les touristes. «Je fais ce travail depuis 45 ans, évidemment que j’ai déjà vécu des années difficiles, mais cette fois c’était différent», raconte-t-il à l’AFP, dans un minuscule hôtel au cœur du quartier historique de Sultanahmet.
Il y a un an, le 12 janvier 2015, un attentat-suicide dans ce quartier très touristique, sur l’ancien hippodrome qui borde la basilique Sainte-Sophie et la Mosquée bleue, a causé la mort de 12 Allemands. Depuis, de nombreux hôtels ont dû mettre la clé sous le paillasson. «C’est le cœur du problème, les attaques terroristes ne s’arrêtent pas. Les gens qui partent visiter un pays veulent une garantie (…) qu’il ne se passera rien», ajoute le réceptionniste. «C’est un réflexe humain.» Le nombre de touristes étrangers à Istanbul, hub touristique avec ses mosquées historiques et ses palais ottomans, est tombé à 9,2 millions en 2016, soit une baisse de 26% par rapport à l’année précédente, selon des chiffres publiés par la dDirection de la culture et du tourisme d’Istanbul. La plupart des touristes viennent d’Europe, avec 3,9 millions d’arrivées, et du Moyen-Orient avec 2,3 millions. Le nombre de touristes en provenance des pays arabes a chuté de 22% en 2016 par rapport à 2015, alors que leur nombre avait presque triplé entre 2011 et 2015.
«Cœur du tourisme»
2016 a été une année sanglante pour la métropole turque s’étendant entre l’Europe et l’Asie, de part et d’autre du Bosphore. «L’aéroport a été attaqué, Sultanahmet a été attaqué, puis Taksim a été attaqué. Et finalement c’est (la boîte de nuit) Reina, ce qui représente pour moi, une attaque contre le cœur du tourisme», estime Cetin Gurcun, Secrétaire général de l’Association des agences de voyage turques (Tursab). Le secteur du tourisme a payé un lourd tribut et pas seulement à Istanbul : la Turquie a accueilli 42 millions de touristes en 2015, et s’attend à une chute de 10 à 12 millions de visiteurs en 2016, selon M. Gurcun. «En termes de devises, les recettes représentaient 31,6 milliards de dollars en 2015 et nous avons une baisse de près de 10 milliards de dollars en 2016», explique-t-il.
L’attentat de Sultanahmet, imputé au groupe État islamique (EI), a été suivi en mars d’un attentat sur l’avenue Istiklal, célèbre artère piétonne, qui a coûté la vie à trois Israéliens et un Iranien. Dix-neuf étrangers ont ensuite perdu la vie dans un attentat contre l’aéroport Atatürk, imputé aussi à l’EI.
Sécurité renforcée
Alors que la Turquie se remettait du coup d’État manqué du 15 juillet, un double attentat revendiqué par un groupe radical kurde aux abords du stade de football de l’équipe de Besiktas a causé la mort de 46 personnes – principalement des policiers – en décembre. Et au moment où la Turquie tournait la page d’une année noire, elle a accueilli le Nouvel An avec un nouvelle tuerie dans une discothèque d’Istanbul, où 39 personnes ont été abattues par un homme armé qui est toujours en fuite. Ce massacre a été revendiqué par l’EI.
«Cela m’inquiète bien sûr, mais si vous ne venez pas, c’est que les terroristes ont gagné», affirme John Plas, un touriste venu des Pays-Bas, rencontré à Sultanahmet. Noémie Deveaux, une Française installée en Turquie, explique avoir décidé de rester dans le pays et de ne pas trop penser aux événements passés ou à venir. «Sinon c’est invivable». Dans les zones touristiques, des policiers lourdement armés patrouillent, les rues, signe des mesures de sécurité renforcées à la suite des attaques. «Quand je les vois, je me sens en sécurité parce que ça veut dire qu’il y a des gens ici qui veulent nous protéger», dit Ümran Aslan, une guide touristique. «Cette année, personne n’est venu», déplore la guide. «C’est triste, parce que j’aime beaucoup mon travail.»