Accueil MONDE Turquie : le pays en route vers de nouvelles élections

Turquie : le pays en route vers de nouvelles élections

0

Le Premier ministre n’a pas réussi à former un gouvernement de coalition, rendant inévitables de nouvelles élections. Un échec auquel le président Erdogan ne serait pas étranger… Seuls quelques rares optimistes y croyaient encore, mais l’annonce du Premier ministre turc a douché leurs espoirs, jeudi en fin d’après midi : la Turquie est bel et bien en route pour de nouvelles élections. Au terme d’un marathon de négociations, le parti islamo-conservateur AKP et la formation sociale-démocrate du Parti républicain du peuple (CHP) ne sont pas parvenus à trouver un accord pour former un gouvernement de coalition, soixante-sept jours après les élections législatives.
Le 13 juillet dernier, le Premier ministre (AKP) sortant Ahmed Davutoglu avait été chargé par le président Erdogan de mener des discussions avec les autres formations présentes dans le Parlement (CHP, nationalistes du MHP et pro-kurdes du HDP) après que le parti au pouvoir a perdu sa majorité absolue au Parlement, détenue pourtant depuis 2002.
« Il n’y a pas là, un terrain favorable pour un partenariat de gouvernement », a tranché jeudi, le chef du gouvernement temporaire, Ahmed Davutoglu, arguant, notamment qu’entre les deux formations (plus 65 % des votes à elles deux en juin) subsistaient de trop « profondes différences de point de vue ». Et d’annoncer dans la foulée que de nouvelles « élections sont aujourd’hui fort probables (courant novembre, NDLR) ».

L’équilibre du pays tout entier menacé
Si, entre l’AKP et le CHP, les pommes de discorde sont en effet légion (réforme de l’école, crise syrienne, libertés fondamentales, etc.), les sociaux-démocrates étaient les seuls à ne pas avoir fermé la porte des négociations, redonnant espoir aux marchés et investisseurs turcs. Volontariste, le leader du CHP, Kemal Kiliçdaroglu, avait ainsi proposé à l’AKP de monter un gouvernement de coalition durant les quatre prochaines années, faisant fi des désaccords pour se concentrer sur les urgences du pays. En effet, l’État est en proie à une sanglante vague de violences ces trois dernières semaines. À la suite à l’attentat de Suruç (33 morts), les rebelles du PKK et les forces de sécurité turques ont fait voler en éclats le cessez-le-feu du printemps 2013 et multiplient chaque jour les accrochages. Le bilan dépasse aujourd’hui les 300 morts et ces violences menacent à terme l’équilibre politique et économique du pays tout entier.
Une coalition gouvernementale d’un tel ordre semblait d’ailleurs être une occasion inespérée pour le CHP, relégué depuis 2002 au seul rôle de premier opposant en Turquie. « Ils ont mené une bonne campagne au printemps dernier, avec un vrai programme, et, pendant les négociations de coalisation, ils ont une fois de plus montré ce nouveau visage volontaire, faisant ainsi taire les critiques qui accusent le parti d’être incapable de gouverner », analyse le politologue Sinan Ulgen, du Centre d’études des affaires économiques et diplomatiques (Edam)

Un retour aux urnes plutôt qu’une coalition
Pas de quoi pour autant convaincre l’AKP et son leader, Ahmed Davutoglu, qui a sans nul doute gardé un œil sur les derniers sondages. 53 % des Turcs interrogés par l’institut OCR se diraient favorables à un retour aux urnes plutôt qu’une coalition. Selon une autre étude (Andy-Ar), le taux monterait à 78 % chez les électeurs de l’AKP.
Un parti qui remonte d’ailleurs doucement dans les intentions de vote : plus deux points par rapport au score électoral (40,9 %) de juin dernier. Pas étonnant, le Premier ministre n’ayant rien eu d’autre à offrir sur la table des négociations qu’un « gouvernement d’élection qui mènera juste le pays vers le prochain scrutin », rappelait, déçu, Kemal Kiliçdaroglu.
Une coalition qui aurait ainsi donné de l’air à une Turquie morose. « On a manqué une opportunité historique aujourd’hui », se désole un ancien parlementaire, membre de l’AKP (qui souhaite rester anonyme). « On avait là, l’occasion de faire asseoir ensemble ces deux grands partis, qu’ils réapprennent à s’écouter et ainsi à faire baisser les tensions. » Pour lui, ses collègues « ont été trop habitués à gouverner seuls, à ne discuter des problèmes avec personne d’autre : il faut que ça change ».

L’ombre d’Erdogan
Un échec des négociations sur lequel plane évidemment l’ombre présidentielle d’Erdogan, fondateur du parti conservateur. « Il ne voulait pas que cela se fasse, bien au contraire », explique le membre de l’AKP. Le président ne semble, en effet, pas trop affecté par la nouvelle. Mercredi, il en plaisantait : « Ce n’est pas comme si le Premier ministre allait se suicider s’il n’y a pas de coalition. » « Ce que veut Erdogan, c’est à nouveau tenter sa chance aux élections, espérant obtenir une majorité AKP pour continuer de mener à bien son projet politique », conclut un membre du parti islamo-conservateur. Mais, pour cela, le leader turc devra encore patienter. Son Premier ministre a en effet jusqu’au 23 août pour « tenter » de former une coalition avant que le président de la République n’ait, en vertu de la Constitution, la possibilité de dissoudre l’Assemblée et d’appeler les électeurs aux urnes. Une option qui est cependant loin de satisfaire Ankara.
Dans ce scénario, un gouvernement provisoire devrait être constitué et comprendre des membres de tous les partis, faisant ainsi entrer dans l’exécutif le parti pro-kurdes du HDP, véritable bête noire du président Erdogan.
Régulièrement taxée par la droite turque, d’être la vitrine politique du PKK, la formation de gauche a privé en juin dernier l’AKP de sa majorité et le président turc de ses réformes constitutionnelles. « C’est impensable pour lui de voir cela », atteste Aykan Erdemir, ancien parlementaire CHP et membre non permanent de la Fondation de défense des démocraties. « Pour Erdogan, ce type de gouvernement est trop risqué : il faudrait partager le pouvoir et s’attendre à ce que les ennemis d’hier déballent les dossiers de l’AKP sur la place publique. »
Une possibilité qui est également loin de satisfaire les ultra-nationalistes du MHP (80 députés), farouches opposants aux processus de paix avec les Kurdes et avec qui l’AKP partage un socle électoral commun. Seul calcul restant pour le président turc : négocier avec le MHP un soutien lors d’un vote de confiance au Parlement pour ainsi mettre sur pied un gouvernement AKP minoritaire. Islamo-conservateurs et nationalistes turcs excluraient ainsi les Kurdes de l’exécutif provisoire et ouvriraient la voie pour de prochaines élections.

Article précédentIrak : daesh sème la terreur sur un marché de Bagdad
Article suivantBlida : un été sans lait et sans eau

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.