Quand le pouvoir syrien a arraché aux jihadistes le quartier de Tadamon dans le sud de Damas, les habitants ont cru que l’heure du retour avait sonné. Mais l’écrasante majorité du secteur va être classée insalubre par les autorités et la colère gronde. Des résidents qui ont inspecté leur domicile assurent que leur logement a été classé ainsi à tort par les autorités locales, insistant que leur maison est habitable, dans ce quartier informel qui s’est construit de manière illégale. En mai, les forces gouvernementales avaient chassé les jihadistes du groupe Etat islamique (EI) d’un secteur au coeur de Tadamon, au terme d’un déluge de raids aériens. Cinq mois plus tard, des barrages de contrôle empêchent toujours tout accès à l’ancien fief de l’EI. Une équipe de l’AFP s’est vue également refuser l’entrée par les forces de sécurité sur le terrain. «Pourquoi ne pouvons-nous pas rentrer, moi et les milliers d’autres habitants», s’insurge l’avocat Othman al-Ayssami, qui a fui depuis plusieurs années Tadamon. A la fin des combats, les autorités avaient brièvement autorisé les habitants à venir inspecter leur domicile, avant de boucler le secteur. M. al-Ayssami avait fait le déplacement, se préparant à retrouver «d’importantes destructions». Pourtant, dans sa maison de quatre étages, seules «les fenêtres étaient brisées», se souvient le quinquagénaire. Abou Mohamed avait lui aussi été contraint de partir. Il assure que son domicile a été par erreur classé insalubre par les autorités. «J’ai inspecté ma maison, il n’y avait pas un seul impact de balle. Elle a juste été pillée», s’insurge cet habitant qui s’exprime sous un pseudonyme par crainte de représailles. «C’est injuste pour des citoyens ayant patienté des années et qui se sont tenus aux côtés de l’Etat».
«On ne se taira pas»
Le sort du quartier semble d’autant plus incertain que le gouvernorat de Damas avait annoncé en octobre que Tadamon tomberait sous la coupe d’une loi controversée, le décret numéro dix. Cette loi autorise le gouvernement à saisir des propriétés privées pour construire à la place des projets immobiliers, en contrepartie d’actions octroyées aux propriétaires. A Tadamon, le chantier ne s’ouvrira pas avant quelques années. En attendant, une commission a été chargée d’évaluer les dommages et de juger la salubrité des quelque 25.000 unités résidentielles, selon des responsables locaux. La commission a suscité le mécontentement il y a quelques semaines en annonçant que les résidents dont le logement est jugé habitable ne pourront revenir avant la fin des inspections. Pour tenter d’accélérer le processus, les habitants ont constitué un comité afin d’assurer le suivi avec les autorités. Sur la page Facebook «Les exilés de Tadamon», certains expriment leur colère. «C’est notre droit de retrouver nos maisons et nos propriétés», écrit un habitant. «On ne se taira pas avant d’être logé», renchérit un autre. La commission a divisé le quartier en trois secteurs pour les évaluations. «Nous avons visité jusque-là 10.000 logements, dont 2.500 sont habitables et 1.000 sont insalubres», indique à l’AFP son directeur, Fayçal Srour, précisant, de manière évasive, que le catalogage des 6.500 unités restantes était en cours. L’écrasante majorité des logements dans le troisième secteur -la poche de l’EI- risquent d’être classés insalubres, prévoit le responsable. «C’est là qu’ont eu lieu les combats», justifie-t-il.
Titre de propriété
Conquis en 2012 par les rebelles, Tadamon était tombé trois ans plus tard aux mains des jihadistes. Au fil des ans, les violences ont poussé à l’exode l’immense majorité des habitants. Quelque 65.000 personnes y résident aujourd’hui, contre 250.000 avant le début du conflit en 2011. Cette ancienne région de vergers s’était urbanisée de manière informelle dès la fin des années soixante, à la faveur de l’exode rural et de l’afflux de déplacés fuyant l’occupation israélienne sur le plateau du Golan. Aujourd’hui, les logements jugés habitables par la commission sont répertoriés et placés sous scellé, en attendant le retour des habitants. «l’Etat oeuvre sérieusement au retour des citoyens dans leur maison», promet le maire de Tadamon, Ahmed Iskandar. Mais à terme, un plan de reconstruction prévu d’ici quatre ou cinq ans selon le gouvernorat de Damas, devrait faire table rase pour laisser place à des projets immobiliers flambant neufs, conformément au décret numéro 10. Pour prétendre à une indemnisation, les habitants devront présenter un titre de propriété. Or c’est là où le bât blesse : c’est un quartier informel, où seul 10 % des constructions sont enregistrées dans les registres fonciers, et l’immense majorité des habitants n’ont pas de titre de propriété, et disposent uniquement d’attestations de logement qui permet d’avoir accès à l’eau et a l’électricité. Les habitants ne pourront donc pas être indemnisés, selon le décret numéro 10. «Personne ne sera jeté à la rue, ils auront des aides au logement ou un logement alternatif», promet toutefois M. Srour.